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Moyen-Orient - REPORTAGE

En Irak, l’étau se resserre autour de l’opposition kurde iranienne

Malgré des moyens humains et matériels très limités, les groupes d’opposition kurdes d’Iran exilés en Irak constituent une cible prioritaire pour la République islamique. Une obsession au croisement d’enjeux nationaux et internationaux.

En Irak, l’étau se resserre autour de l’opposition kurde iranienne

Dans une des bases secrètes du parti, Shkoma (de face) est entourée de nouvelles recrues du PDKI fraîchement arrivées d'Iran qui prennent leurs consignes, le 11 octobre 2022. Laurent Perpigna Iban / Hans Lucas

Hana, Shkoma et Shima sont des miraculées. Réfugiées au Kurdistan irakien, ces jeunes Kurdes originaires d’Iran ont échappé à deux reprises à des frappes aériennes en provenance de la République islamique. La première, c’était le 28 septembre dernier, dans la petite ville de Koya – située à une soixantaine de kilomètres à l’est d’Erbil – où elles quittaient un bâtiment appartenant au Parti démocratique du Kurdistan iranien (politico-militaire, PDKI) quelques minutes avant qu’une pluie de missiles balistiques ne vienne éventrer l’édifice. Quatorze personnes, dont une femme enceinte, y ont laissé la vie. Puis, une seconde fois, le 14 novembre, où les trois jeunes femmes se trouvaient à quelques centaines de mètres de l’impact creusé par une nouvelle frappe aérienne. Si elles s’en sortent encore indemnes, deux de leurs compagnons ne s’en relèveront pas.

Des attaques qui viennent s’inscrire dans une stratégie de pilonnage intense. Débutée aux premières heures du soulèvement lié à la mort de la jeune kurde Mahsa Amini, cette guerre du ciel menée à grands renforts de drones vise de manière presque quotidienne les Kurdes iraniens exilés du PDKI, mais aussi de Komala (organisation communiste) et du PJAK (filiale iranienne du Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK).

« Ces attaques prouvent que la République islamique a peur de nous. Notre vision du monde et de la vie en société les effraie », explique Shkoma, en référence aux valeurs laïques, fédéralistes et démocratiques portées par son parti. La jeune peshmerga de 24 ans, par mesure de sécurité, se tient à l’abri d’une tente au cœur des monts Zagros. « En nous frappant ici, ils nous adressent un message clair : aucune opposition n’est tolérée, ni en Iran ni ailleurs. »

Un groupe de six jeunes Kurdes arrivés d’Iran au début du mois de septembre rejoignent une position du PDKI dans les montagnes du nord de l’Irak, le 11 octobre 2022. Laurent Perpigna Iban/Hans Lucas

Éradiquer l’opposition

Depuis leurs bases irakiennes, le PDKI et Komala ont appelé à la grève générale au lendemain de la mort de Mahsa Amini. Une attitude qui a profondément irrité le régime de Téhéran. « Au Rojhelat (Kurdistan iranien), des manifestants ont réclamé que nous venions les défendre face à la répression. Mais militariser le mouvement (de protestation en Iran) serait une catastrophe, il ne faut pas en arriver là », argumente le responsable d’une unité de peshmergas, kalachnikov à l’épaule, depuis un camp de fortune.

Si selon le PDKI, aucun des membres du parti n’a traversé la frontière afin de se joindre aux manifestations, des dizaines de jeunes ont fait le chemin inverse. C’est le cas d’Ehsan, tout juste 19 ans, qui est arrivé il y a quelques semaines d’Iran. Pudiquement, il dévoile les marques encore visibles de blessures sous son uniforme militaire de couleur ocre. Il y a peu, le jeune Kurde manifestait encore avec ses proches. « On nous a tiré dessus, c’était un déluge de balles. J’ai pleuré de peur, j’ai cru que j’allais mourir », confie-t-il.

« Je ne pouvais pas aller à l’hôpital, c’était trop risqué, le régime m’aurait placé en détention, raconte-t-il. Ce sont des manifestants qui m’ont mis dans une maison et qui m’ont soigné. Dès que j’ai pu, je suis parti et j’ai traversé la frontière. »

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Pourtant, et bien que ces partis ne semblent pas constituer de péril imminent pour la République islamique, l’Iran a fait de ces Kurdes exilés une cible prioritaire. « La pression est constante depuis des années. Aux tirs de drones, il faut ajouter des bombardements en 2018 et des attaques avec toutes les armes létales possibles », explique un cadre du PDKI, Karim Parvizi, depuis des bureaux secrets du parti.

Depuis l’avènement de la République islamique en 1979, des dizaines de membres du PDKI ont été abattus mystérieusement hors des frontières nationales. Ce fut le cas de deux leaders historiques du parti, Abdul Rahman Ghassemlou et Sadegh Sharafkandi, respectivement tués à Vienne et à Berlin en 1989 et 1992, mais également de Moussa Babakhani, une figure historique du PDKI abattu dans un hôtel d’Erbil en août dernier. Conséquence, les membres de l’organisation tâchent de se faire discrets dans leur vie quotidienne.

Un courroux iranien qui s’explique facilement : alors que le régime est parvenu à éradiquer toute opposition sur son sol, la persistance de ces partis à ses frontières est vue comme une provocation. Avec quelque 3 000 membres exilés dans ses quartiers généraux en Irak – des civils et des combattants –, le PDKI, créé en 1945, est le plus puissant et le plus populaire des groupes d’opposition kurdes iraniens. Interdit en Iran, il a survécu à l’intense répression qui l’a visé après 1979 en se reconstituant sur le versant irakien de la frontière, et en maintenant des activités politiques et militaires.

Ces dernières semaines, ce sont les liens grandissants entre Kurdes et Baloutches – autre minorité ethnique et religieuse, située au sud-est de l’Iran – qui semblent inquiéter le pouvoir. « Cela fait des années que nous travaillons à joindre les oppositions des différents groupes ethniques. Nous échangeons au travers d’une plateforme commune, composée de quatorze structures, baloutche, turkmène, kurde, azéri ou arabe », avance Karim Parvizi.

Des jeunes arrivés d’Irak il y a quelques jours suivent une formation au maniement des armes dans la région du Kurdistan irakien, le 11 octobre 2022. Keiwan Fatehi/Middle East Images

Tensions diplomatiques

Mais, encore plus qu’un soulèvement coordonné, c’est surtout l’idée que l’opposition kurde puisse servir de supplétif à des puissances étrangères, États-Unis en tête, qui semble irriter Téhéran.

En juin 2018, dans un contexte de tensions régionales importantes – marquées par le désengagement de Donald Trump de l’accord nucléaire –, le secrétaire général du PDKI était invité à Washington. Mustafa Hijri s’était alors entretenu avec le chef de la section iranienne au département d’État et avait rencontré divers membres du Congrès.

Si ces entrevues n’ont « pas abouti à grand-chose de concret », selon un cadre, il ne fait nul doute que les États-Unis soient très attentifs à la présence du PDKI le long de la démarcation entre les régions kurdes d’Iran et d’Irak. Et pour cause : même en nombre réduit, ces groupes sont capables de fragiliser la République islamique sur sa frontière occidentale, qui lui sert par ailleurs de passerelle logistique avec ses partenaires en Irak, en Syrie et au Liban.

Pour le régime iranien, s’il ne peut l’annihiler, rendre cette opposition invisible aux yeux du monde est un enjeu prioritaire : le déploiement en 2014 de Kurdes iraniens sur les lignes de front en Irak lors de la lutte contre l’occupation territoriale de l’État islamique avait provoqué la fureur du commandant de la force al-Qods, Kassem Soleimani. « Il avait averti les autorités kurdes d’Irak que nous serions considérés comme des ennemis, au même titre que Daech, et qu’il nous viserait à la première occasion », se souvient un membre du PDKI ayant requis l’anonymat. Immédiatement, sur injonction du leader du Gouvernement régional du Kurdistan (GRK) Massoud Barzani, les Kurdes d’Iran repartaient immédiatement dans leurs bases.

Il y a quelques semaines, en coulisses, l’Iran exerçait une pression directe sur Bagdad ainsi que sur Erbil pour que soient fermés les camps du PDKI et de Komala au Kurdistan irakien. Une information confirmée par la direction des partis, ainsi que par plusieurs sources proches des pouvoirs de Bagdad et d’Erbil, qui ont par ailleurs fait état de « l’agacement avancé » des autorités iraniennes. Si pour l’heure les autorités kurdes d’Irak ont fermement décliné la demande, elles auraient, toujours selon nos sources, intimé aux partis kurdes iraniens la plus grande discrétion dans les médias et sur les réseaux sociaux. À Bagdad, comme c’est également le cas pour les frappes turques, les autorités se contentent de condamner ces actes qui « empiètent sur la souveraineté irakienne », sans pour autant être en mesure de réagir plus fermement.

Au cœur des monts Zagros, les bastions du PDKI, d’ordinaire bouillonnants, sont toujours déserts. Les dortoirs habités par les forces armées du parti sont inhabités, les entraînements militaires suspendus et les salles de classe des enfants désespérément silencieuses. En plus de la menace aérienne, beaucoup de Kurdes iraniens confient craindre une opération terrestre d’envergure. « C’est déjà arrivé en 1996, se souvient Karim Parvizi. Deux mille pasdaran étaient entrés au Kurdistan irakien pour nous chasser. »

À quelques minutes à pied, derrière des collines arides, un commandant entraîne pourtant de nouvelles recrues, fraîchement arrivées d’Iran, au maniement des armes à feu. « Nous n’avons pas le choix. La menace est partout et tout le temps. Mais nous sommes là pour ça. Pour résister. »

Hana, Shkoma et Shima sont des miraculées. Réfugiées au Kurdistan irakien, ces jeunes Kurdes originaires d’Iran ont échappé à deux reprises à des frappes aériennes en provenance de la République islamique. La première, c’était le 28 septembre dernier, dans la petite ville de Koya – située à une soixantaine de kilomètres à l’est d’Erbil – où elles quittaient un...

commentaires (1)

En observant bien la première photo ( surtout) ces pauvres jeunes sont ...très jeunes justement. Ils ont même l'air terrorisés. Comme si leurs familles ou leurs traditions les obligeaient à suivre ce parcours militaire alors qu'ils n'en veulement ( sans doute) pas. Pauvre jeunesse sacrifiée au nom de politiques diverses , ils sont si jeunes. Surtout que dans le fond d'eux-mêmes, ils doivent se douter qu'une fois "la carte kurde" utilisée par les pays de la région et les puissances du monde...Ce sont eux qui vont payer les pots cassés ; comme d'habitude: Comme "à chaque fois qu'il y a négociations régionales" . Ce sont les seuls qui, malgré quelques avancées, n'ont toujours pas de pays, de territoire et sont divisés entre turquie, syrie et Irak. ils ont juste des territoires mais dépendant d'autres pays. Chacun de ces groupes kurde jouant le jeu des pays de la région. Même au Liban, les années 70, ils étaient un pion au nom des organisations palestiniennes et ont payé très cher leur alligement à l'OLP et furent victimes collatérales ( la libération du camp de la quarantaine : "Karantina" où les palestiniens pratiquaient leurs agressions à l'encontre des villes et régions beyrouthines avoisinantes, à partir du célèbre camp Kurde) et bloquaient la circulation saine et sécurisée entre Beyrouth et le littoral du Metn. Bref..Pour dire que ce sont des pions utilisés par tous malheureusement.

LE FRANCOPHONE

10 h 53, le 16 novembre 2022

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Commentaires (1)

  • En observant bien la première photo ( surtout) ces pauvres jeunes sont ...très jeunes justement. Ils ont même l'air terrorisés. Comme si leurs familles ou leurs traditions les obligeaient à suivre ce parcours militaire alors qu'ils n'en veulement ( sans doute) pas. Pauvre jeunesse sacrifiée au nom de politiques diverses , ils sont si jeunes. Surtout que dans le fond d'eux-mêmes, ils doivent se douter qu'une fois "la carte kurde" utilisée par les pays de la région et les puissances du monde...Ce sont eux qui vont payer les pots cassés ; comme d'habitude: Comme "à chaque fois qu'il y a négociations régionales" . Ce sont les seuls qui, malgré quelques avancées, n'ont toujours pas de pays, de territoire et sont divisés entre turquie, syrie et Irak. ils ont juste des territoires mais dépendant d'autres pays. Chacun de ces groupes kurde jouant le jeu des pays de la région. Même au Liban, les années 70, ils étaient un pion au nom des organisations palestiniennes et ont payé très cher leur alligement à l'OLP et furent victimes collatérales ( la libération du camp de la quarantaine : "Karantina" où les palestiniens pratiquaient leurs agressions à l'encontre des villes et régions beyrouthines avoisinantes, à partir du célèbre camp Kurde) et bloquaient la circulation saine et sécurisée entre Beyrouth et le littoral du Metn. Bref..Pour dire que ce sont des pions utilisés par tous malheureusement.

    LE FRANCOPHONE

    10 h 53, le 16 novembre 2022

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