Rechercher
Rechercher

Économie - Finances publiques

Le nouveau budget intervient insidieusement sur le taux de change

Certaines mesures fiscales sont rétroactives, d’autres seront fixées selon des modalités définies par le ministre des Finances.

Le nouveau budget intervient insidieusement sur le taux de change

Les murs érigés pour protéger l’entrée du Parlement lors du mouvement de contestation de 2019 ont été démontés il y a quelques mois. Photo João Sousa

Plus de sept semaines après avoir été adopté et avec 10 mois et demi de retard sur le début de sa période d’exécution, le budget de l’État pour 2022 a été publié au Journal officiel mardi en milieu de journée, mettant ainsi fin au suspense qui durait depuis la fin du mois dernier. Il est désormais exécutoire et s’applique aux contribuables qui peuvent le consulter en ligne, à condition d’y avoir un compte.

Le texte contient 120 articles et ne compte que 208 pages, les mille pages détaillant les dépenses des ministères n’ayant pas été publiées au Journal officiel. Le préambule, qui fixe la philosophie générale du texte, n’a pas non plus été inclus dans cette version.

Loin d’être le budget de réformes capable de commencer à adresser les causes de la crise qui sévit dans le pays et à en régler les effets, il s’agit davantage d’une loi de finances visant à couvrir coûte que coûte un paquet de dépenses publiques. Dépenses qui incluent entre autres une majoration des rémunérations des fonctionnaires (pour chaque salaire, l’intéressé reçoit l’équivalent de deux fois son salaire de base, selon l’article 111), à condition que cette hausse s’inscrive dans une fourchette allant de 5 à 12 millions de livres à partir du 1er octobre 2022.

Lire aussi

Le budget 2022 est enfin publié et entre en vigueur

Mais alors que tous les contribuables s’attendaient à ce que les députés officialisent ouvertement une majoration du taux de change à prendre en compte pour calculer les mesures fiscales, à savoir les 15 000 livres pour un dollar évoqué lors du vote, le texte introduit en réalité de manière beaucoup plus insidieuse un changement de cap entérinant l’abandon de la parité officielle de 1 507,5 livres pour un dollar, devenue obsolète dans un contexte de brutale dépréciation de la livre (près de 40 000 livres pour un dollar hier encore).


Une catégorie de prélèvements en dollars

L’avocat fiscaliste Karim Daher, qui a examiné une première fois le document dès sa parution, a ainsi relevé certaines dispositions qui vont dans ce sens, comme la mention de « taux effectif » qui figure dans l’article 35, pour désigner le montant en livres de l’impôt sur les traitements et salaires retenu à la source par l’employeur et qui est dû par les employés à l’administration fiscale. Ce taux effectif (par rapport implicitement au montant acquitté en devises) doit être défini par « une décision issue du ministère des Finances et de la Banque du Liban ».

Autre indice, le fait que l’article 19 prévoit l’ouverture d’un compte en devises à la Banque du Liban pour y accueillir les « droits et taxes dus en dollars américains ou toute autre devise étrangère » qui sont prévus par le texte. L’article 87 détaille, lui, la liste des catégories de prélèvements obligatoires exigibles en dollars, dont l’impôt sur les revenus des capitaux mobiliers perçus de l’étranger, mais aussi les revenus des placements fiduciaires ou d’obligations, ou même des intérêts sur les comptes de dépôts bancaires au Liban.

Les rédacteurs du budget ont été encore plus loin à l’article 77 en inscrivant la mention de dollars et d’euros « frais », une invention du système bancaire créée suite à la généralisation des restrictions illégalement mises en place par les banques du pays pour restreindre l’accès des déposants à leur fonds en devises depuis le début de la crise. L’article 77 traite, lui, des droits perçus sur les instances diplomatiques et consulaires. C’est une manière de consacrer d’une manière indirecte ce concept « inique » afin de pouvoir s’y référer dans d’autres textes ou mesures réglementaires ou législatives.

Enfin, si le fameux dollar douanier – le taux employé pour calculer les droits de douane en livres à partir des prix hors taxes en dollar des produits dédouanés – n’a pas été introduit, rien n’empêche à ce stade que l’exécutif compte sur la délégation de cinq ans donnée en 2018 au Conseil des ministres par le Parlement. Le gouvernement a, lui, mandaté le Haut Conseil des douanes pour le faire à sa place.

Rétroactivité des mesures fiscales

Mais la question du taux de change n’est pas la seule à poser problème. Comme beaucoup d’experts le craignaient, le nouveau budget introduit également des mesures fiscales qui s’appliquent rétroactivement. C’est par exemple le cas des articles 27 et 28 (abattements et tranches progressives pour l’impôt sur le bénéfice industriel, commercial et non commercial) ; 33 (tranches progressives pour les impôts sur les traitements, salaires et pensions de retraite) ; 41 (impôt forfaitaire sur les holdings) ou encore 43 (impôt forfaitaire pour les sociétés offshore) ; mais aussi 57 et 59 (pour les droits mutation à titre gratuit) ; et enfin 63 (pour les revenus fonciers), pour ne citer que ceux-là. À la fin de chacun de ces articles figure en effet explicitement une mention précisant que les dispositions s’appliquent rétroactivement à partir du 1er janvier 2022.

« Cela va à l’encontre du principe de non-rétroactivité qui prévaut en matière fiscale. Ces mentions pourraient aisément faire l’objet d’un recours devant le Conseil constitutionnel », souligne Me Daher comme d’ailleurs d’autres griefs tels les cavaliers budgétaires ou encore l’atteinte à certaines « règles en or » des finances publiques comme le principe de spécialité.

Lire aussi

Le taux de change des impôts et taxes devrait passer à 15 000 LL mardi

Le budget prévoit de plus que les modalités et périodes d’application d’une majorité d’autres mesures fiscales soient fixées par « le ministre des Finances ». Le poste est actuellement occupé par l’ancien cadre de la BDL, Youssef Khalil, membre du gouvernement sortant de Nagib Mikati.

Vue globale et mesures fiscales

Les problèmes liés au taux de change et à la rétroactivité des mesures fiscales sont loin d’être les seuls défauts du budget 2022, qui contient également plusieurs cavaliers budgétaires – des dispositions qui n’ont pas leur place dans une loi de finances – à l’image de l’article 119 qui modifie plusieurs dispositions du nouveau code des marchés publics relevées par Me Daher. « C’est aussi un budget particulièrement pauvre en réformes et inéquitable vis-à-vis des contribuables, vu qu’il augmente de nombreux impôts indirects (droits de timbre et pléthores d’autres taxes administratives) qui montent en flèche », ajoute-t-il.

Au niveau des chiffres, le texte table sur un déficit de 10 887 milliards de livres, un nombre qui correspond à celui annoncé à l’issue du vote le 26 septembre dernier. Il inclut de plus des dépenses courantes de 37 710 milliards de livres et des dépenses en capital de 3 170 milliards de livres pour des dépenses totales de 40 870 milliards. Les recettes sont prévues à 29 990 milliards de livres pour un déficit de 10 890 milliards de livres, que l’État compte financer en émettant des bons du Trésor.

Le budget tient enfin compte d’un certain nombre de mesures fiscales qui semblent conçues pour réformer l’économie, mais dans le désordre. Afin de promouvoir la production nationale, un droit de douane de 10 % est imposé sur les marchandises importées « si des biens et marchandises similaires sont fabriqués au Liban en quantité suffisante pour la consommation locale ». Les ministres des Finances, de l’Industrie et de l’Agriculture détermineront quels produits entrent dans cette catégorie. Les entreprises investies dans l’industrie pourront bénéficier d’une déduction fiscale permanente de 50 % sur les bénéfices des exportations industrielles, à condition que ces bénéfices soient ramenés au Liban. Pendant les cinq premières années, cette déduction fiscale pourra s’élever à 75 %.

Les start-up établies au cours des cinq prochaines années pourront, elles, être exemptées sur les bénéfices pendant leurs cinq premières années d’activité. Les autres entreprises créées avant le 31 décembre 2024 dans des domaines que « le gouvernement souhaite développer » ne paient pas d’impôt sur les bénéfices pendant sept ans à compter de leur date de création et bénéficient de réductions sur les autres frais, entre autres mesures. Les systèmes d’énergie solaire importés sont exonérés de TVA et de droits de douane jusqu’à la fin de l’année 2023 et les nouvelles voitures électriques sont également exonérées de TVA et de droits de douane, tandis que les voitures hybrides bénéficient d’une déduction partielle.

Plus de sept semaines après avoir été adopté et avec 10 mois et demi de retard sur le début de sa période d’exécution, le budget de l’État pour 2022 a été publié au Journal officiel mardi en milieu de journée, mettant ainsi fin au suspense qui durait depuis la fin du mois dernier. Il est désormais exécutoire et s’applique aux contribuables qui peuvent le consulter en ligne, à...

commentaires (7)

Le plus desolant dans cette crise c'est que les pouvoirs publics, censes proteger les citoyens, rivalisent, au contraire, d'inventivite pour mieux les depouiller. La canaille devra payer un jour ou l'autre. Toute la canaille. Le peuple devra etre sans pitie.

Michel Trad

12 h 50, le 16 novembre 2022

Tous les commentaires

Commentaires (7)

  • Le plus desolant dans cette crise c'est que les pouvoirs publics, censes proteger les citoyens, rivalisent, au contraire, d'inventivite pour mieux les depouiller. La canaille devra payer un jour ou l'autre. Toute la canaille. Le peuple devra etre sans pitie.

    Michel Trad

    12 h 50, le 16 novembre 2022

  • La seule issue pour sortir de ce système de magouilles, de fraudes et d’exactions aux lois et à la constitution serait que le peuple UNI déclare la guerre à cet étable qui se veut un état en entamant une désobéissance civile jusqu’à ce que l’eau, l’électricité, le carburant, les médicaments et tout le reste, qui ne sont que leur droit le plus stricte, leur soient fournis et que les dépenses des institutions soient publiées dans le journal officiel avec toutes les failles afin de connaître ceux qui les ont causées et les traduire en justice pour qu’enfin on puisse prétendre à vivre dans un pays de droits. Tant que ce peuple continue à se soumettre et à payer des services qui ne leur sont pas fournis, ces mafieux n’arrêteront jamais et resteront en place pour se gaver du sang de la population.

    Sissi zayyat

    10 h 57, le 16 novembre 2022

  • Mais à quoi sert donc ce budget? N'avons-nous pas un spécialiste qui peut apprendre aux Amerloques et aux British comment gouverner un pays sans budget???

    Georges MELKI

    10 h 22, le 16 novembre 2022

  • LIBERTE DE PENSER ET D,ECRIRE : COMMENTAIRE 3

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 14, le 16 novembre 2022

  • Le hold up généralisé de la population par les gangsters du pouvoir continue de façon éhontée. Cette population docile et pacifique ressemble de plus en plus au troupeau d’agneaux qu’on emmène à l’abattoir et qui se laisse faire. Bien fait pour vous, aux prochaines élections votez pour les mêmes ou leurs enfants et leurs proches en scandant des slogans les élevant au rang de demi dieux alors que ce sont des vrais diables

    Lecteur excédé par la censure

    09 h 01, le 16 novembre 2022

  • UN BUDGET DIGNE D,UNE REPUBLIQUE BANANIERE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    07 h 26, le 16 novembre 2022

  • Ma parole, un budget de riches avec des exonérations fiscales en veux-tu en voilà et puis des droits de douane à l’importation « sauf si ». À part ça, je veux bien qu’on m’explique ce passage: « Enfin, si le fameux dollar douanier – le taux employé pour calculer les droits de douane en livres à partir des prix hors taxes en dollar des produits dédouanés – n’a pas été introduit, rien n’empêche à ce stade que l’exécutif compte sur la délégation de cinq ans donnée en 2018 au Conseil des ministres par le Parlement. Le gouvernement a, lui, mandaté le Haut Conseil des douanes pour le faire à sa place. » Qui va faire quoi à la place de qui?

    Marionet

    01 h 23, le 16 novembre 2022

Retour en haut