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Moyen-Orient - COMMENTAIRE

Pour que vive Alaa Abdel Fattah


Pour que vive Alaa Abdel Fattah

Un manifestant lors d’un sit-in pour la libération de l’activiste égyptien Alaa Abdel Fattah, à Beyrouth, le 7 novembre courant. Mohamed Azakir/Reuters

Il y a l’homme. Ses longs cheveux frisés qui n’ont plus été aperçus depuis des mois. Son visage, dissimulé au regard du monde extérieur, que l’on imagine pâle et diminué. Son corps captif, privé de lumière et de soins, devenu lieu de résistance. Ses mots, qui s’échappent par bribes en direction des siens. Sa joie après avoir étreint pour la première fois un fils qu’il n’a pas vu naître. Sa peine après avoir manqué les funérailles de son père, lui-même emprisonné et torturé du temps d’Anouar Sadate et de Hosni Moubarak. Dont il dit avoir reçu en héritage « une cellule de prison et un rêve ». Et ce geste, celui de quelqu’un qui n’a plus grand-chose à perdre. En déclarant début novembre durcir sa grève de la faim entamée sept mois plus tôt, Alaa Abdel Fattah annonce sa dernière intention : après une décennie d’enfermement quasi continu, ce sera la liberté ou la mort.

Avant d’en arriver là, il a tout essayé, ou presque. Il a tenté de se plier aux règles de l’arbitraire. De jouer la carte de la justice, même si elle est d’exception. De continuer le combat depuis sa cellule, malgré les privations. D’interpeller les puissants de ce monde, pourtant durs d’oreille. Il a entrepris de témoigner à travers l’écriture. De dénoncer « ces jugements qui ne viennent jamais », de pointer du doigt la volonté de détruire au plus intime, d’admettre sa peur de devenir « l’une de ces créatures misérables qui peuplent les prisons ». Dans l’espoir de contraindre le régime de Abdel Fattah el-Sissi de le libérer, l’icône révolutionnaire, devenue l’un des prisonniers de conscience les plus célèbres au monde, est même parvenue à obtenir un passeport britannique. En vain. De la prison de Tora à Wadi el-Natroun, le nouveau complexe flambant neuf où il est transféré en mai, les perspectives sont restées les mêmes. Des murs de béton pour seul horizon.

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Il y a l’homme. Le père, le fils, l’ami. Et puis, il y a tous les autres. Les dizaines de milliers de détenus égyptiens, moins médiatisés, mais tout aussi enfermés. Les centaines d’autres qui ont disparu de la circulation du jour au lendemain sans laisser de trace. Les Asmaa el-Beltagy et autres manifestants assassinés en pleine rue sous couvert de « maintien de l’ordre » et de « lutte antiterroriste ». Une génération de morts, d’emmurés ou d’exilés qui a eu l’effronterie de croire « qu’un autre monde était possible ». Il y a l’homme. Et puis, il y a ce qu’il incarne. Ce qu’il dit d’un système, du monde qui l’entoure. Une république qui se fissure. Un régime aux desseins absolutistes qui, de la gestion des libertés individuelles aux grands travaux pharaoniques, n’est plus guidé que par la soif de toute-puissance. Une schizophrénie nationale au sein de laquelle l’écart entre les discours officiels et la vie quotidienne des Égyptiens s’est récemment transformé en gouffre. Une mécanique de la répression touchant désormais à tous les domaines : l’arbitraire érigé en règle ; la règle érigée en système ; le système érigé en « commandement divin ».

L’ouverture de la COP27 à Charm el-Cheikh, dimanche 6 novembre, a replacé Alaa Abdel Fattah au centre du débat médiatique. Tandis qu’une centaine de dirigeants du monde entier s’affairent dans la cité balnéaire de la mer Rouge afin de parler environnement et urgence climatique, son ombre plane sur les discussions. L’impressionnante campagne publique déployée par ses proches – sur internet, à l’étranger, et en Égypte – est parvenue à transformer l’homme en symbole. Pour la première fois depuis le coup d’État du 3 juillet 2013, le huit clos égyptien se joue à ciel ouvert. Avec lui, c’est tout un régime qui semble être convoqué sur le banc des accusés.

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Mais il n’y a pas que le pouvoir de Abdel Fattah el-Sissi qui sera jugé à Charm el-Cheikh. Les ambivalences internationales sont en train, une nouvelle fois, d’affleurer à la surface. Le nouveau Premier ministre britannique avait promis de faire valoir la cause de l’informaticien, mais il a d’ores et déjà déçu en évitant le sujet face aux caméras mardi. Alors que les capitales occidentales se vendent à travers le monde en émissaires des droits humains, c’est la logique contractuelle, celle des alliances avec les régimes autoritaires au nom d’un certain pragmatisme national, qui continue de dominer les relations internationales.

Face aux ambiguïtés de Washington, Paris ou Londres, il reste l’espoir d’une solidarité entre les peuples. Dans un monde où les régimes autoritaires parviennent à se poser en garants de la stabilité, l’élan mondial en faveur de Alaa Abdel Fattah semble indiquer qu’une forme d’internationalisme, à défaut d’être incarnée au sommet, survit à la base. Pour que Alaa Abdel Fattah, aussi, reste en vie.

Il y a l’homme. Ses longs cheveux frisés qui n’ont plus été aperçus depuis des mois. Son visage, dissimulé au regard du monde extérieur, que l’on imagine pâle et diminué. Son corps captif, privé de lumière et de soins, devenu lieu de résistance. Ses mots, qui s’échappent par bribes en direction des siens. Sa joie après avoir étreint pour la première fois un fils qu’il...

commentaires (1)

Bravo Steph, bien dit !

Selim Nassib

17 h 03, le 10 novembre 2022

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Commentaires (1)

  • Bravo Steph, bien dit !

    Selim Nassib

    17 h 03, le 10 novembre 2022

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