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Moyen-Orient - Éclairage

En Iran, les « black-out » et la censure sur internet s’intensifient

Le régime, qui dispose d’un réseau de télécommunications national, poursuit sa répression sur le numérique à l’aide de moyens de plus en plus sophistiqués.

En Iran, les « black-out » et la censure sur internet s’intensifient

Des vidéos postées sur les réseaux sociaux indiquent que les manifestations se sont poursuivies à différents endroits de Téhéran et dans d’autres villes du pays ces derniers jours. Photo AFP

« Pendant les deux ou trois premières semaines du mouvement, le réseau internet national se coupait. C’était souvent entre 16 heures et minuit, pile au moment où les manifestations se déroulent », retrace Marjan*, 21 ans. Cette étudiante en littérature anglaise vit dans le sud de l’Iran, où plusieurs protestations ont éclaté depuis la mort de Mahsa Amini, cette jeune femme kurde décédée le 16 septembre dernier, trois jours après avoir été arrêtée par la police des mœurs. « Mais rien de comparable à ce qu’il se passe à Téhéran ou Sanandaj », précise-t-elle. Difficile pour l’étudiante, qui ne participe pas aux manifestations, de vivre, du moins sur les réseaux sociaux, le vaste soulèvement populaire qui embrase son pays depuis sept semaines. Car à mesure que la répression du régime s’intensifie dans la rue et alors que le hashtag #MahsaAmini devient le plus utilisé au monde sur Twitter sur les six derniers mois, l’emprise du régime se fait également sentir sur le terrain numérique, à travers la censure de certains sites et plateformes, ainsi que les coupures d’internet. Si la stratégie a déjà été utilisée par le régime iranien dans le passé, pour garder sa population dans un huis clos informationnel, la modernisation des outils à disposition du régime semble avoir porté la répression numérique à un niveau inégalé.

Coupures intermittentes

« Depuis cinq jours, nous constatons que le gouvernement iranien est très agressif et s’attaque à tous les outils de contournement de la censure, dans le but d’empêcher les Iraniens de les utiliser », avance Amir Rashidi, chercheur sur la sécurité internet et en droits numériques au Centre pour les droits de l’homme en Iran. En effet, depuis le début des mouvements, des perturbations intermittentes de la connexion internet retracent chronologiquement les exactions brutales commises par le régime contre sa population. Quarante jours après la mort de Mahsa Amini, une mobilisation exceptionnelle et lourdement réprimée prend la forme d’un cortège interminable le long d’une route de campagne dans le Kurdistan iranien, la région d’origine de la victime. Les images font le tour de la planète mais, en Iran, la connexion internet dans la zone des manifestations est subitement suspendue, selon Netblock, un observatoire indépendant qui documente en temps réel l’état de la connectivité à internet dans le monde. Trois jours après la mort de Mahsa Amini, les données réseau confirmaient déjà une perturbation quasi totale du service internet dans certaines parties de la province du Kurdistan, dans l’ouest de l’Iran. Une panne régionale des télécommunications à Sanandaj et dans ses environs avait également été recensée, précédée par une interruption partielle du service internet à Téhéran et dans d’autres régions du pays. Instagram et WhatsApp, deux des dernières plateformes internationales qui avaient jusqu’alors échappé à la censure du régime, ont également fait l’objet de restrictions nationales dès le 21 septembre.

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Une mise sous cloche digitale qui souligne l’avantage mais aussi la menace que représente internet pour la République islamique, à l’heure où celle-ci durcit le ton, le chef des gardiens de la révolution, le général Hossein Salami, ayant menacé samedi les manifestants « d’arrêter la fronde ». « Peu après l’élection présidentielle de 2009, sur ordre du guide suprême iranien Ali Khamenei, le pays a commencé à développer des organes politiques tels que le Conseil suprême du cyberespace tenues par des personnes nommées directement par les dirigeants suprêmes », rappelle Amir Rashidi. « En accordant des prêts à taux zéro à toute entreprise liée au gouvernement qui souhaite développer une application, telle qu’une application de messagerie nationale ou un moteur de recherche national », selon le chercheur, le régime bâtit un réseau internet local dont il a entièrement le monopole. Plusieurs réseaux sociaux appartenant à l’entreprise américaine Meta, à l’instar de Facebook et Twitter, sont remplacés par des plateformes nationales et des milliers de sites sont interdits dans le pays. En avril 2018, le gouvernement iranien a annoncé bannir la populaire application Telegram, qui comptait alors près de 40 millions d’utilisateurs en Iran. Grâce à cette mainmise, il n’avait fallu que 24 heures au régime pour couper l’accès à internet à sa population, lors des manifestations de 2019 contre l’augmentation du prix de l’essence à la pompe et la réforme de son mode de subvention.

Réseau local

« Tout le monde utilise les réseaux virtuels privés (VPN) pour avoir accès aux réseaux sociaux et obtenir des informations sur ce qu’il se passe. Ils s’achètent pour une bouchée de pain », témoigne Farhad*, originaire de Téhéran et responsable du marketing dans une entreprise d’électroménager. Anciennement responsable du développement web pour plusieurs chaînes de télévision nationales, il documente sur son compte Twitter les manifestations actuelles, sous couvert d’un pseudonyme, et en contournant le réseau national grâce à un VPN. Alors que 48 millions d’Iraniens sur une population de 85 millions sont sur les réseaux sociaux, la demande de ces réseaux virtuels privés a augmenté de 3 000 % d’après le site Top10VPN. Mais les Iraniens ont de plus en plus de difficulté à se procurer cet outil de contournement de la censure. Mi-octobre, le ministre des Télécommunications, Issa Zarepour, déclarait à la télévision d’État vouloir « criminaliser » la vente de VPN, prétextant que « l’usage de logiciels de contournement ou de VPN pour les équipements comme les tablettes, les ordinateurs et les téléphones portables entraînera de manière certaine de graves failles, car il facilite l’accès pour les pirates informatiques ».

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« Il est intéressant de voir comment l’Iran incite la population à utiliser le trafic internet local à travers des politiques de subventions. Si vous utilisez le trafic international, vous payez le double du prix par rapport au trafic local qui est plus rapide. C’est ainsi qu’ils encouragent les gens à utiliser les services locaux, surtout avec la crise économique qui sévit en Iran », analyse Amir Rashidi. « Certaines personnes n’ont pas accès au réseau international. Ils regardent la télévision et pensent qu’il n’y a pas de manifestation, que tout va bien, raconte Marjan*, étudiante. Lors du grand rassemblement à Berlin en soutien aux Iraniens (le 22 octobre, NDLR), la télévision d’État a fait croire que les gens manifestaient à cause du prix de l’essence ! »

En parallèle, le gouvernement organise un muselage massif des moyens de communication. Plus d’une vingtaine de journalistes sont actuellement détenus en Iran. Parmi eux se trouvent la journaliste Elaheh Mohammadi du quotidien Sazandegi et la photographe Niloufar Hamedi du journal Shargh, qui avaient contribué à rendre publique l’affaire de Mahsa Amini, contredisant ainsi la thèse de la mort accidentelle avancée par le régime. Pour autant, la censure de l’État n’est pas infaillible. Le 8 octobre, une cyberattaque revendiquée par Edalat-e Ali (La justice d’Ali), un groupe qui appuie le mouvement de contestation, a brusquement interrompu le journal d’une chaîne de télévision nationale. À côté du visage du guide suprême Ali Khamenei entouré de flammes et la tête dans un viseur, on pouvait y lire « Le sang de nos jeunes dégouline de tes doigts ».

*Les prénoms ont été modifiés.

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