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Culture - Beyrouth Livres

Geneviève Damas : Le roman est à la fois une nécessité, un luxe et un miracle

« Votre pays représente beaucoup pour moi depuis l’enfance », affirme cette auteure belge qui n’a pas hésité à signer le manifeste des écrivains et intellectuels appelant à ce que « le livre reste un espace de liberté non négociable au Liban ». Entretien express avec cette chantre de la tolérance. Sans conteste, l’une des belles découvertes de ce festival du livre de Beyrouth.

Geneviève Damas : Le roman est à la fois une nécessité, un luxe et un miracle

Geneviève Damas : « Si le théâtre est l’expérience collective du dire, le roman est par essence celle de l’intime. » Photo Francesca Mantovani pour les éditions Gallimard

Dramaturge, comédienne, metteuse en scène, mais aussi et surtout auteure de romans et de nouvelles, récompensée de plusieurs prix, dont celui des Cinq Continents de la francophonie en 2012 pour Si tu passes la rivière (éd. Luce Wilquin ), Geneviève Damas est certainement une plume à découvrir. Pour son univers empreint d’un humanisme lumineux. Pour ses petites histoires qui parlent sans emphase et avec sincérité d’inclusion, d’égalité et de tolérance… Comme dans Jacky, récit d’une émouvante amitié entre deux adolescents bruxellois, l’un juif, l’autre musulman ; Bluebird qui traite du déni de grossesse ou encore Patricia : évocation sensible et originale du drame des migrants. Trois romans (publiés aux éditions Gallimard) disponibles au cours de la séance de signature à la galerie Art District, à Gemmayzé, à laquelle l’écrivaine belge participe dans le cadre de l’itinéraire littéraire de Beyrouth Livres qui s’ouvre aujourd’hui à 16h.

Geneviève Damas, est-ce la première fois que vous visitez le Liban ? Qu’est-ce qui vous a motivée à y venir ?

C’est la première fois que je me rends au Liban. Je suis très émue d’être ici. Votre pays représente beaucoup pour moi depuis l’enfance. À l’école primaire, j’avais une amie libanaise qui avait fui la guerre civile avec sa mère et sa sœur. Parce que je l’aimais infiniment, votre pays est à jamais entré dans mon cœur. Si elle me parlait du conflit et de sa terreur de perdre son père qui était resté là-bas, elle m’a raconté la beauté des paysages, la mer, la finesse de la culture libanaise, l’énergie et la fierté d’un peuple qui se relève toujours.

L'éditorial de Issa Goraïeb

... Et tous les autres?

En Belgique, nous devons former un pays en nous appuyant sur plusieurs communautés. Il me semble qu’à cet égard, le Liban est un pays frère, image d’une multiculturalité vivante, d’un pacte de la diversité sans cesse à réécrire. L’endroit où se construit la possibilité du vivre-ensemble.

Il y a dix ans, le Liban était l’invité d’honneur du Salon du livre de Québec, j’y ai rencontré Hyam Yared, dont j’admire l’œuvre pour son engagement et sa poésie. Nous sommes restées en contact et échangeons régulièrement, en dépit de la distance, sur des questions qui nous importent : la littérature, la famille, la place de la femme dans la société, la nécessité de l’engagement. C’est à son initiative et celle de l’Institut français que j’ai la chance de me retrouver à Beyrouth dans le cadre du festival du livre et du Parlement des écrivaines francophones (NDLR : un think tank espace de réflexion et d’échanges entre femmes écrivaines ayant le français en partage).

Vous avez commencé par écrire pour la scène avant de vous lancer dans l’écriture romanesque. Quel a été le déclic ?

L’écriture de théâtre est relativement contraignante. Pour des raisons financières, liées à la réalité du théâtre francophone en Belgique, un dramaturge doit limiter le nombre de ses personnages, des lieux, des époques… Le roman est à mes yeux une terre de liberté. Il peut donner à voir une foule de personnages, parler du passé sans s’inquiéter des costumes, proposer de nombreux flash-backs…

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Il y a aussi que si le théâtre est l’expérience collective du dire, le roman est par essence celle de l’intime. Un auteur écrit pour un lecteur, et ce qu’il ne peut dire à voix haute et qui s’inscrit au plus profond de son être. Le roman est à la fois une nécessité, un luxe et un miracle.

Est-ce que passer de l’oralité à l’écrit a contribué à libérer plus largement la parole chez vous ?

Sûrement. Il me semble surtout que cette expérience de l’oralité m’a permis de faire entrer dans le roman des personnages absents du monde littéraire. Mon travail consiste à faire entendre la voix des êtres qu’on entend et qu’on écoute peu. Ceux qui sont écrasés par la honte, ceux qui ne savent ni lire ni écrire, ceux qui se cachent car ils n’ont pas de papier, ceux qui ont conscience d’avoir irrémédiablement déçu… Je tente de leur donner la parole, de faire entendre comment ils organisent leurs mots et leurs pensées pour mettre en lumière leur humanité. L’écrivain est celui qui peut les défendre, et rappeler la complexité du monde et qu’une existence humaine ne se décline pas en noir et blanc.

Vous abordez souvent, semble-t-il, dans vos livres les thèmes de l’inclusion et du rapprochement identitaire et social à travers des personnages que tout oppose a priori. Êtes-vous une écrivaine engagée ? Et croyez-vous que la littérature peut encore changer les esprits et les mentalités dans notre monde contemporain dominé par la « cancel culture » et les réseaux sociaux ?

Un écrivain doit s’engager. Son travail est de questionner le monde, l’injustice du monde, la violence du monde, l’incohérence du monde, mais aussi sa beauté. L’écrivain est là pour mettre en mouvement le lecteur, pour lui demander : « Et toi, dans cette situation, que ferais-tu ? »

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Si nos vies sont belles, elles restent étroites, tributaires d’un territoire, d’un milieu, d’une langue, d’une histoire. La littérature nous permet de sortir du cadre, de traverser les frontières, les époques, les genres, les identités… En lisant un roman, on fait l’expérience intime d’une autre vie et parfois, cela amène à changer son regard. Je me rappelle du choc que j’ai eu en lisant Crime et châtiment de Dostoïevski et d’entrer dans le cerveau d’un meurtrier. Je pensais : « C’est quelqu’un qui pourrait être moi. » Lire un roman vous pousse à plus d’humanité, plus d’ouverture, plus de compréhension, plus de tolérance. En cela, il élargit l’existence.

Deux des trois romans que vous allez signer au cours du festival Beyrouth Livres, en l’occurrence « Jacky » et « Patricia », résonnent tristement avec l’actualité libanaise. Simple coïncidence ?

Nos pays sont liés. Nord et Sud sont indissociables pour toujours. En Europe, on a souvent tendance à considérer que les problèmes du reste du monde ne nous concernent pas. Rien de plus faux. La manière dont nous entrons en contact, les relations économiques que nous créons, les dépendances que nous choisissons ou non, nos silences et nos lâchetés ont des conséquences qui dépassent l’échelle européenne. Nous devons en tenir compte. Et endosser la responsabilité.

Ce week-end, à Beyrouth Livres

Samedi 22 octobre

- Itinéraire littéraire avec l’Agenda culturel, Gemmayzé, Beyrouth, de 16h à 18h.

- Édition spéciale Beyrouth Livres, Souk el-kotob, Beyrouth, de 17h à 23h.

- Vernissage exposition Samir éditeurs – Gemmayzé sur nos murs, Gemmayzé,

Beyrouth, de 16h à 20h.

- Rencontre Ryoko Sekiguchi / Kamal Mouzawak – Cluster 001, Beyrouth, à 19h.

- Lecture-concert alternant poésie et orgue par Henri de Rohan et Olivier Barbarant – chapelle du Sacré-Cœur, Gemmayzé, à 19h30.

- Soirée de lecture à Souk el-kotob, Beyrouth, à 20h.

Dimanche 23 octobre

- Vernissage de l’exposition « Ruines modernes » d’Anne-Lise Broyer – Beit Tabaris, Beyrouth, à

16h.

- Édition spéciale Souk el-kotob, Beyrouth, de 15h à 20h.

Dramaturge, comédienne, metteuse en scène, mais aussi et surtout auteure de romans et de nouvelles, récompensée de plusieurs prix, dont celui des Cinq Continents de la francophonie en 2012 pour Si tu passes la rivière (éd. Luce Wilquin ), Geneviève Damas est certainement une plume à découvrir. Pour son univers empreint d’un humanisme lumineux. Pour ses petites histoires qui parlent...

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