Rechercher
Rechercher

Idées - Commentaire

Permettre au Liban de retrouver le chemin du développement humain

Permettre au Liban de retrouver le chemin du développement humain

Un homme démonte et trie des appareils électriques dans un atelier du quartier de Bab el-Tebbané à Tripoli, en juin 2020. Joseph Eid/AFP

C’est désormais établi : la crise multiforme que traverse le Liban a inversé les progrès du pays en matière de développement humain. Selon les statistiques du PNUD publiées en septembre dernier, le Liban a ainsi connu la plus forte baisse de l’indice de développement humain (IDH) des Nations unies dans le monde entre 2019 et 2021, atteignant un plus bas en la matière depuis 2005. Ce déclin significatif représente une restriction alarmante des capacités des Libanais à améliorer leur situation et à se remettre de la crise à plusieurs niveaux. Cela menace de les piéger dans des cycles d’insécurité et de vulnérabilité.

L’IDH saisit simultanément trois capacités essentielles dans la vie des gens, à savoir : vivre longtemps et en bonne santé, être éduqué et bien informé, et gagner un revenu permettant un niveau de vie décent. La crise au Liban a entraîné un déclin simultané de ces dimensions, accéléré par la négligence de longue date des gouvernements successifs sur ces questions. Si, avant la crise, ces lacunes étaient partiellement compensées par une implication importante du secteur privé et des particuliers dans la fourniture de services sociaux, la capacité de ces derniers à agir est désormais érodée, soulignant encore davantage les échecs persistants des pouvoirs publics.

Négligence persistante

Les pertes subies par les Libanais en matière d’espérance de vie sont parmi les pires au monde, avec une baisse de 5 % de l’espérance de vie moyenne entre 2019 et 2021 (contre -1,4 % dans le monde), ce qui ramène le Liban à son niveau de 2009. Cette détérioration n’est pas seulement due aux conséquences sanitaires de la pandémie, mais reflète surtout l’accès restreint de la population à des soins de santé de qualité, dans un contexte de pénurie d’électricité et de carburant dans les hôpitaux et de carences en médicaments, en fournitures médicales et en personnel.

L’accès limité aux soins et les faiblesses du système de santé n’ont pas été provoqués par la récente crise économique, mais seulement précipités par elle. Depuis la fin de la guerre civile, le rôle du ministère de la Santé s’est concentré presque exclusivement sur la fourniture de services. En outre, au cours des deux dernières décennies, les dépenses annuelles de santé du gouvernement libanais (41 % des dépenses totales de santé de 2000 à 2019) ont été constamment inférieures à celles des autres pays à revenu (51 % en moyenne sur la période). En 2019, les ménages ont dû payer un tiers des dépenses de santé de leur poche.

Lire aussi

La prise en otage des enfants libanais

En outre, dans un contexte de dépréciation monétaire et d’inflation massives, le Liban a connu en 2021 la plus forte baisse au monde du revenu national brut (RNB) par habitant – devenu inférieur à sa valeur de 1991, au sortir de la guerre civile. Cette chute drastique du revenu par personne, et donc de la capacité des gens à s’assurer une vie décente, reflète le sombre état du marché du travail au Liban. Selon l’enquête menée en janvier 2022, le taux de chômage a presque triplé entre 2019 et 2022. Alors même que les prix des produits de base ont souvent plus que quadruplé pour tous les consommateurs, les salaires ne se sont pas adaptés et le gouvernement n’a pas pris de mesures efficaces pour ajuster le salaire minimum et les salaires du secteur public. Le marché du travail libanais était pourtant déficient depuis des décennies : une conjonction de facteurs, notamment des inadéquations sur le marché du travail, de faibles niveaux de création d’emploi et une forte prévalence d’emplois de faible qualité et de faible productivité, impliquait que le Liban maintenait un chômage élevé. La protection sociale a également été insuffisante ; le Fonds national de Sécurité sociale (FNSS), le plus grand fournisseur de services sociaux basés sur l’emploi au Liban, ne couvrait que 30 % de la population active, et un fonds pour l’emploi destiné à protéger ceux qui perdent leur emploi ou ne parviennent pas à en trouver n’a pas encore été créé.

Entre-temps, la résilience du système éducatif a été longtemps compromise par l’allocation, l’efficacité et la gestion limitées des ressources publiques. Oscillant entre 1,7 % et 2,8 % du PIB depuis 1992, les dépenses du Liban en matière d’éducation n’ont pas atteint le minimum recommandé (de 4 % à 6 %), alors même que les écoles publiques libanaises tentaient d’absorber plus de cent mille réfugiés syriens depuis 2011. Depuis des décennies, les ménages supportent une charge financière plus importante pour l’éducation que le gouvernement. Par conséquent, depuis que la crise a éclaté et que les ménages ont eu du mal à couvrir les frais de scolarité, les taux d’abandon scolaire ont augmenté à un rythme alarmant : l’Unicef a indiqué qu’un tiers des jeunes ont arrêté leurs études, tandis que l’OIT a signalé que seulement 40,4 % des personnes âgées de 5 à 24 ans ont fréquenté l’école pendant la seule année 2020-2021. Il a également été estimé que 55 000 élèves sont passés des écoles privées aux écoles publiques au cours de la seule année 2020-2021, ajoutant ainsi davantage de pression sur un système scolaire qui manque de ressources.

Objectif prioritaire

La négligence de longue date du développement humain a aggravé l’impact de la crise actuelle. Sa détérioration continue signifie que les opportunités et les choix sont confrontés à un avenir de plus en plus instable dans le pays, pourtant essentiels pour que les Libanais puissent surmonter la crise.

Même si tout reste aussi à faire dans ce domaine, il ne suffira pas de se concentrer exclusivement sur la reprise et la croissance économiques du Liban : pour exploiter pleinement les gains de cette croissance, elle doit être activement orientée vers le développement humain. Pour y parvenir, le gouvernement libanais devra combler les lacunes législatives, institutionnelles et structurelles qui ont historiquement limité le développement humain. Il s’agira notamment d’équilibrer les dépenses économiques et sociales dans son budget en affectant explicitement les dépenses à l’éducation, à la santé et au marché du travail, et en instituant une planification et une gestion plus efficaces de ces secteurs. Pour que la croissance se traduise par une juste répartition des opportunités et des libertés, les priorités gouvernementales devront être restructurées.

Le gouvernement libanais doit se rappeler que la véritable richesse du Liban réside dans son peuple et que le développement humain doit être placé au premier plan de tous les plans de relance.

Par Ghida ISMAIL

Chercheuse au Programme des Nations unies pour le développement.

C’est désormais établi : la crise multiforme que traverse le Liban a inversé les progrès du pays en matière de développement humain. Selon les statistiques du PNUD publiées en septembre dernier, le Liban a ainsi connu la plus forte baisse de l’indice de développement humain (IDH) des Nations unies dans le monde entre 2019 et 2021, atteignant un plus bas en la matière depuis...

commentaires (1)

Le probleme n'est pas dans la repartition du budget. Le probleme est qu'il n'y a plus grand chose a repartir. Aussi quand le libanais choisit de faire 10 enfants sans refechir a comment les nourrir, il ne peut pas demander a l'etat de se substituer a son manque de repsonsabilite...

Mago1

13 h 04, le 09 octobre 2022

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • Le probleme n'est pas dans la repartition du budget. Le probleme est qu'il n'y a plus grand chose a repartir. Aussi quand le libanais choisit de faire 10 enfants sans refechir a comment les nourrir, il ne peut pas demander a l'etat de se substituer a son manque de repsonsabilite...

    Mago1

    13 h 04, le 09 octobre 2022

Retour en haut