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Idées - Iran

La révolution islamique au bord du gouffre ?

La révolution islamique au bord du gouffre ?

Des fontaines d’eau de Téhéran colorées en rouge par un artiste anonyme, en référence à la répression sanglante des manifestations ayant suivi la mort de Mahsa Amini, le 7 octobre courant. Photo UGC / AFP

Au cours des quarante-trois ans écoulés depuis sa fondation, la République islamique d’Iran a surmonté nombre de crises en son sein comme dans ses relations internationales. Mais les manifestations qui se sont multipliées partout dans le pays le mois dernier après la mort en garde à vue d’une jeune femme de vingt-deux ans, Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour port « inapproprié » du hijab, constituent pour le régime une terrible menace. L’Iran est en proie à ce qui est peut être sa crise la plus grave.

Quand la révolution islamique renversa la monarchie pro-occidentale du chah Mohammad Reza Pahlavi et installa l’ayatollah Rouhollah Khomeyni au poste de guide suprême, les observateurs occidentaux doutaient que le régime théocratique perdurât longtemps. Certains analystes affirmaient que les fondamentalistes religieux ne pouvaient pas avoir les qualifications ou l’expérience nécessaires à la direction d’un pays complexe comme l’Iran.

Mais le régime a résisté à toutes les contestations intérieures en menant une politique de combat (jihadi) tempérée par la stratégie pragmatique (ijtihadi) de Khomeyni. Son successeur, l’ayatollah Ali Khamenei, âgé de quatre-vingt-trois ans, a suivi l’exemple en équilibrant considérations idéologiques et pratiques pour garantir la survie du régime.

En tant que guide suprême, Khamenei est l’incarnation de la « souveraineté de Dieu » – un rang qui contribue à faire valoir son autorité sur les présidents et autres représentants élus qui, eux, ne représentent que la souveraineté du peuple. Chaque fois que Khamenei a senti que la menace envers son autorité et les instruments du pouvoir d’État, et tout particulièrement envers le corps des gardiens de la révolution islamique, était suffisamment sérieuse, il a consenti à quelque réforme à l’intérieur et a fait preuve, en politique étrangère, de pragmatisme, soutenant, par exemple, l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, qualifié d’acte de « souplesse héroïque ». Sinon, il est resté de fer dans les affaires intérieures, méfiant face aux pressions occidentales sur le programme nucléaire iranien et pointilleux sur l’influence régionale de son pays.

Confiance sapée

Mais ce que Khamenei n’est pas parvenu à comprendre, c’est qu’émergerait avec le temps une nouvelle génération d’Iraniens qui n’auraient pas la mémoire de la révolution de 1979 et qui ne se sentiraient pas redevables à la révolution islamique, surtout si ce régime les sert mal. Malgré les richesses de leur pays – notamment ses énormes réserves de pétrole et de gaz naturel –, environ 40 % des Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté.

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Des décennies d’oppression politique, de corruption généralisée et de mauvaise gestion économique ont progressivement sapé la confiance de l’opinion dans la République islamique. La pandémie de Covid-19 mais aussi les vicissitudes de la politique étrangère – au premier rang desquelles les sanctions décidées sous la houlette des États-Unis et l’implication de l’Iran dans plusieurs conflits régionaux meurtriers – ont engendré une telle lassitude du statu quo dans la population iranienne que le soulèvement n’était plus qu’une question de temps.

Les protestations actuelles font suite à plusieurs vagues de mouvements populaires que le gouvernement est parvenu à réprimer, dont le plus connu est le Mouvement vert, porté par les manifestations qui éclatèrent après l’élection présidentielle controversée de 2009. Les tenants d’une ligne dure, qui ont créé l’appareil islamique et le contrôlent aujourd’hui, savent que si le régime tombe, il les entraînera dans sa chute ; ils font donc appel à la police antiémeute au premier signe de mobilisation.

Mais le régime pourrait ne pas parvenir à étouffer indéfiniment les protestations. La jeunesse iranienne – environ 65 % de la population du pays – en a assez de la rhétorique révolutionnaire du régime et des prescriptions théocratiques. Elle veut des droits, des libertés, la transparence, de meilleures conditions de vie et un gouvernement qui représente ses intérêts. Les religieux au pouvoir et leurs soutiens ont monopolisé les positions dominantes dans la vie économique et en ont mal usé, abandonnant à son sort la majeure partie d’une population (qui a presque triplé depuis 1979) de plus en plus frustrée, désespérée, inquiète et mécontente.

Changer de cap

Certes, les chances d’un renversement du régime islamique semblent maigres. Mais les Iraniens ont une longue histoire de révolte contre l’imposition d’un pouvoir autoritaire. N’oublions pas que la révolution islamique, qui mit fin au règne du chah, suivait deux tentatives antérieures de réforme en faveur de la démocratie. L’une d’elles se solda par le coup d’État de 1953, organisé par la CIA, qui renversa le gouvernement élu du Premier ministre Mohammad Mosaddegh et renforça le pouvoir monarchique du chah.

Les dirigeants de la République islamique citent volontiers le coup d’État de 1953, arguant de l’« interventionnisme hégémonique » des États-Unis pour légitimer le régime, consolider son pouvoir et renforcer son influence régionale. Mais pour la majorité des Iraniens, dont les griefs se portent sur la théocratie et non sur les Américains, la formule sonne désormais creux.

Pour stabiliser leur régime, Khamenei et ses partisans doivent changer de cap et laisser s’exprimer les courants réformistes. Voici dix ans, les réformateurs iraniens, guidés par l’ancien président Mohammad Khatami, tentaient de rendre plus tolérante et humaine la République islamique. Mais les « durs », qui tiennent toujours les leviers du pouvoir, firent échec à leurs projets. L’effervescence qui saisit aujourd’hui l’Iran montre pourquoi des réformes structurelles sont absolument et immédiatement nécessaires – et pourquoi cette fois les religieux auront beaucoup plus de difficultés à préserver le régime s’ils n’usent que de la force.


Copyright : Project Syndicate, 2022.

Traduction : François Boisivon.

Par Amin SAIKAL

Professeur de sciences sociales à l’Université d’Australie occidentale (UWA). Dernier ouvrage : « Iran Rising :

The Survival and Future of the Islamic Republic » (Princeton University Press, 2019).

Au cours des quarante-trois ans écoulés depuis sa fondation, la République islamique d’Iran a surmonté nombre de crises en son sein comme dans ses relations internationales. Mais les manifestations qui se sont multipliées partout dans le pays le mois dernier après la mort en garde à vue d’une jeune femme de vingt-deux ans, Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour port...

commentaires (5)

D'habitude l'effondrement d'un empire commence par des révoltes dans les provinces conquises à la périphérie. Les Assad et les Mollah malgré que l'un est "laïc" et les autres "religieux" avaient pour projet commun d'établir un Israël chiite sur tout le croissant fertile, qui soit comme une réincarnation de l'empire safavide. On voit bien maintenant que cette entité n'a toujours été qu'un empire de papier qui n'a tenu que par l'opportunisme machiavélique de ses dirigeants. Car contrairement à un vrai empire, c'est bien en son cœur même que l'entité néo-safavide est la plus vulnérable. Qu'ils sont loins de la vérité les Libanais qui pensent que le Hezbollah a tout un empire derrière lui ! Alors qu'il est même probable qu'un soulèvement du peuple libanais contre le Hezbollah porte le coup de grâce à toute l'entité néo-safavide et déclenche un changement de régime à Damas et à Téhéran !

Citoyen libanais

22 h 18, le 09 octobre 2022

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Commentaires (5)

  • D'habitude l'effondrement d'un empire commence par des révoltes dans les provinces conquises à la périphérie. Les Assad et les Mollah malgré que l'un est "laïc" et les autres "religieux" avaient pour projet commun d'établir un Israël chiite sur tout le croissant fertile, qui soit comme une réincarnation de l'empire safavide. On voit bien maintenant que cette entité n'a toujours été qu'un empire de papier qui n'a tenu que par l'opportunisme machiavélique de ses dirigeants. Car contrairement à un vrai empire, c'est bien en son cœur même que l'entité néo-safavide est la plus vulnérable. Qu'ils sont loins de la vérité les Libanais qui pensent que le Hezbollah a tout un empire derrière lui ! Alors qu'il est même probable qu'un soulèvement du peuple libanais contre le Hezbollah porte le coup de grâce à toute l'entité néo-safavide et déclenche un changement de régime à Damas et à Téhéran !

    Citoyen libanais

    22 h 18, le 09 octobre 2022

  • MR. GANTZ, VOILA DRACULA QUI A CREE FRANKESTEIN AU LIBAN, IL EST ENTRAIN D,AGONISER. DONNEZ-LUI LE COUP DE GRACE AVANT QU,IL RECUPERE ET LAISSEZ TRANQUILLE LE LIBAN ET SON PEUPLE QUI NE VOUS MENACENT PAS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    17 h 26, le 09 octobre 2022

  • Les civilisations arabes et les perses étaient dotées des scientifiques, astronomes, des médecins et des mathématiciens. Une fois que les clergés ont mis la main sur le pouvoir, ils ont détruit les livres, les recherches et les universités. Une leçon à apprendre du passé. Au bon entendeur!

    Georges S.

    02 h 11, le 09 octobre 2022

  • "… environ 40 % des Iraniens vivent sous le seuil de pauvreté …" - Pffft! Amateurs! Nous nous en sommes déjà à 80%…

    Gros Gnon

    01 h 05, le 09 octobre 2022

  • Waw Khameneî est l’incarnation de la souveraineté de Dieu

    Eleni Caridopoulou

    18 h 43, le 08 octobre 2022

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