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Culture - Nobel / Portrait

Annie Ernaux, roman intime de la femme du XXe siècle

Le prix Nobel de littérature a couronné l’écrivaine française et le « courage » de son œuvre autobiographique qui en a fait une figure féministe.

Annie Ernaux, roman intime de la femme du XXe siècle

Annie Ernaux, « voix » de « la liberté des femmes et des oubliés du siècle », selon un tweet du président français Emmanuel Macron. Photo Francesca Mantovani-éditions Gallimard / via Reuters

L’écrivaine Annie Ernaux, qui a remporté le prix Nobel de littérature, a produit, par le biais d’une œuvre essentiellement autobiographique, une remarquable radiographie de l’intimité d’une femme qui a évolué au gré des bouleversements de la société française depuis l’après-guerre. Elle a d’ailleurs été récompensée pour « le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle », comme l’a expliqué le jury Nobel. Jointe par la télévision publique suédoise, la lauréate a salué « un très grand honneur » mais aussi « une grande responsabilité » qui lui est donnée pour continuer à témoigner « d’une forme de justesse, de justice, par rapport au monde ». Prix Renaudot en 1984 pour La Place et finaliste du prestigieux prix Booker International en 2019, cette professeure de littérature à l’Université de Cergy-Pontoise a écrit une vingtaine de récits dans lesquels elle dissèque le poids de la domination de classes et la passion amoureuse, deux thèmes ayant marqué son itinéraire de femme déchirée en raison de ses origines populaires.

Écrivaine revendiquée de gauche, Annie Ernaux se nourrit de la sociologie bourdieusienne dont la découverte dans les années 70 lui permet d’identifier le « mal-être social » qui la ronge dès son entrée dans une école privée dans les années 50.

Née en 1940, elle vit jusqu’à ses 18 ans dans le café-épicerie « sale, crado, moche, dégueulbif » de ses parents à Yvetot, en Haute-Normandie, dont elle va s’extraire grâce à une agrégation de lettres modernes obtenue à force d’un travail intellectuel intense.

Des Armoires vides (1974) aux Années (2008), cette grande et belle femme blonde va suivre une trajectoire d’écriture qui la conduit d’un premier petit roman âpre et violent à cette généreuse autobiographie historique.

Dans Les Armoires vides, son héroïne décrit avec rage les deux mondes incompatibles dans lesquels elle évolue lors de son adolescence : d’un côté, l’ignorance, la crasse, la vulgarité des clients ivrognes, les petites habitudes minables de ses épiciers de parents et, de l’autre, « la facilité, la légèreté des filles de l’école libre » issues de la petite bourgeoisie.

« Écriture plate »

Au fil des récits tous publiés chez Gallimard, l’auteure va réparer la trahison qu’elle estime avoir commise envers ses parents en leur consacrant un portrait réconcilié dans La place et Une femme (1988).

Son style clinique, dénué de tout lyrisme, fait l’objet de nombreuses thèses. Par cette « écriture plate », elle convoque l’universel dans le récit singulier de son existence. Abandonnant très rapidement le roman, elle renouvelle le récit de filiation et invente l’autobiographie impersonnelle ».

Avec Les Années, elle évoque sa vie pour tracer le roman de toute une génération, celle des enfants de la guerre marqués par l’existentialisme dans les années 50 et la libération sexuelle. À travers l’allusion à des objets, des mots, des chansons, des émissions de télévision, elle restitue une vérité de son temps.

En 2022, elle reprend ce récit avec des dizaines de films familiaux tournés par son ancien mari entre 1972 et 1981. Les Années super 8 sont présentés à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.

« Je me considère très peu comme un être singulier, mais plutôt comme une somme d’expériences, de déterminations aussi, sociales, historiques, sexuelles, de langages et continuellement en dialogue avec le monde (passé et présent) », écrit-elle dans L’écriture comme un couteau.

Dès lors, l’écriture devient un moyen d’atteindre et de dire avec authenticité l’expérience intime de sa condition féminine modelée par Simone de Beauvoir : son dépucelage raté dans La Honte (1997) puis dans Mémoire de filles (2018), son avortement illégal vécu en 1963 comme une émancipation sociale dans L’événement (2000) - l’échec de son mariage dans La Femme gelée (1981) ou encore son cancer du sein dans L’usage de la photo (2005).

Jugée par ses détracteurs comme une écrivaine obscène et misérabiliste, elle choque par la description crue de l’aliénation amoureuse dans Passion simple (1992). L’adaptation cinématographique de son récit autobiographique sur l’avortement clandestin, L’évènement, a permis à la réalisatrice franco-libanaise Audrey Diwan d’emporter le Lion d’or au Festival de cinéma de Venise en 2021. Passion simple, signé par la Franco-Libanaise Danielle Arbid, a fait la sélection de nombreux festivals, dont ceux de Cannes, Toronto et San Sebastian.

« Une femme qui écrit »

Installée depuis 1977 à Cergy-Pontoise, elle a consacré de nombreux écrits sur cette ville nouvelle de banlieue parisienne, décrivant la vie de ses semblables qu’elle croise dans les supermarchés ou le RER. Dans Le Journal du dehors (1993), La Vie extérieure (2000) ou Regarde les lumières, mon amour (2014), elle fait entrer en littérature des sujets banals, toujours avec cette même rigueur d’ethnographe. En 2021, elle apparaît dans J’ai aimé vivre là, un film documentaire consacré à Cergy.

Octogénaire, elle connaît une forte exposition médiatique avec l’adaptation au cinéma de L’événement (prix Lumières et Lion d’or à Venise) et de Passion simple.

Cette auteure du XXe siècle, qui affirmait en 2022 se « sentir un peu illégitime dans le champ littéraire », demeure une référence pour toute une nouvelle génération d’artistes et d’intellectuels. Véritable icône féministe pour plusieurs générations, Annie Ernaux a confié à l’AFP en mai simplement se sentir « femme. Une femme qui écrit, c’est tout ».

AFP et rédaction

L’écrivaine Annie Ernaux, qui a remporté le prix Nobel de littérature, a produit, par le biais d’une œuvre essentiellement autobiographique, une remarquable radiographie de l’intimité d’une femme qui a évolué au gré des bouleversements de la société française depuis l’après-guerre. Elle a d’ailleurs été récompensée pour « le courage et l’acuité clinique avec...

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