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Société - Éducation

À l’école publique, une rentrée en rangs dispersés

L’enseignante contractuelle syndicaliste Nisrine Chahine a été licenciée après 11 ans de services. Une décision qui a poussé une partie de la profession à faire la grève au second jour de classe.

À l’école publique, une rentrée en rangs dispersés

Nisrine Chahine, la syndicaliste licenciée par le ministre, lors de sa participation à une manifestation du soulèvement populaire. Photo fournie par Michel Hallak

C’est dans le flou le plus total et en rangs dispersés que l’école publique a fait sa rentrée, lundi 3 octobre, pour un peu moins du tiers des élèves du pays. Un flou parce que, après une année chaotique, paralysée par la grève des enseignants du secteur dans un contexte de grave effondrement socio-politico-financier, ces derniers font déjà pression, histoire d’obtenir un maximum de compensations face à la dévalorisation de leurs appointements. Malgré les promesses de réajustement salarial pour les cadrés et de hausse du salaire horaire pour les contractuels, assortis d’une aide mensuelle exceptionnelle de 130 dollars, beaucoup de points restent à éclaircir. D’autant que le ministère de l’Éducation, qui rechigne à s’exprimer, n’a pas tenu toutes ses promesses l’année passée faute de fonds. Des milliers de contractuels étaient alors restés sur le carreau, sans aides ni indemnités de transport, mais avec des salaires payés plusieurs mois en retard et qui avaient déjà perdu de leur valeur. Dans ce contexte, s’invite le licenciement d’une syndicaliste vedette, Nisrine Chahine, ardente défenseuse des droits des enseignants contractuels, après 11 ans de services. La raison invoquée : ses services ne sont plus nécessaires. Mais il est de notoriété publique que la syndicaliste, proche de la contestation populaire, dérange par ses propos qui dénoncent la corruption et le clientélisme. Un licenciement qui a poussé une partie de la profession à lancer un ordre de grève au second jour de classe et à organiser un sit-in hier devant les locaux du ministère de l’Éducation à Beyrouth.

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C’est dans ce cadre troublé, donc, que les classes maternelles, primaires et complémentaires ont effectué leur rentrée lundi. L’école secondaire, elle, attend toujours le bon vouloir de son syndicat d’enseignants cadrés, qui doit tenir son assemblée générale ce mercredi, pour voter une éventuelle reprise le 11 octobre. Pour les 336 000 élèves du public qui sortent de trois années d’enseignement quasi inexistant, marquées par la contestation populaire, la crise de Covid-19, la double explosion au port de Beyrouth et les grèves enseignantes, l’inquiétude est profonde de perdre une quatrième année éducative. En l’absence d’informations sur les sommes collectées par le ministère de l’Éducation de la communauté internationale, voici ce que l’on sait :

Une école publique pour qui ?

L’inscription des élèves a été prolongée jusqu’au 20 octobre courant. La priorité est accordée par ordre de préférence aux élèves libanais puis aux élèves de mère libanaise, enfin aux élèves apatrides d’origine libanaise.

Les élèves étrangers viennent en dernier dans l’ordre d’inscription. Sont admis à s’enregistrer à l’horaire du matin au programme libanais les élèves inscrits à l’école publique depuis plus de 5 années consécutives, les élèves palestiniens résidant aux Liban avant la crise syrienne et n’ayant pas accès aux écoles de l’Unrwa, les non-Libanais issus de pays qui ne traversent pas de crise migratoire, et les frères et sœurs d’élèves non libanais déjà enregistrés.

Le nombre de réfugiés syriens scolarisés à l’école publique est de 150 000 environ, selon les estimations du CRDP (Centre de recherche et de développement pédagogiques). Principalement enregistrés l’après-midi dans un cursus spécial, ils ont la possibilité de s’inscrire dans l’enseignement secondaire public, cursus libanais, uniquement en fonction des disponibilités et à la condition qu’il n’y ait pas moins de 10 élèves libanais par classe. En aucun cas les élèves syriens des écoles élémentaire, primaire et complémentaire ne peuvent être transférés au cursus classique du matin, qu’ils viennent de l’école publique ou du secteur privé.

Horaires et rythme scolaire

La semaine de l’école publique est composée de 4 jours de classe, du lundi au jeudi, avec possibilité pour les directeurs d’établissement de travailler le vendredi ou le samedi. Ils doivent, le cas échéant, accorder aux élèves un autre jour de congé durant la semaine. La durée d’une période d’enseignement est fixée à 45 minutes. La journée des élèves des classes maternelles compte 6 périodes. Dans l’enseignement de base, elle est de 7 périodes, et au secondaire, de 8 périodes.

Quels salaires pour les enseignants ?

Face à l’effondrement de la livre libanaise qui a atteint en septembre le taux record de 39 000 LL pour un dollar, le salaire mensuel de l’enseignant cadré (comme l’ensemble de la fonction publique) a été multiplié par trois. Une décision consacrée par la loi sur le budget 2022, signée hier par le président du Parlement Nabih Berry et qui doit être contresignée par le chef de l’État Michel Aoun. Chaque enseignant cadré recevra de plus une enveloppe mensuelle de 130 dollars, payable en monnaie locale au taux du jour de la plateforme Sayrafa, ainsi qu’une indemnité de transport de 95 000 LL par journée de travail.

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Nettement moins bien nantis, les contractuels ne perçoivent leurs salaires que trois fois l’an, de manière générale. Ils ne sont payés que s’ils donnent leur cours, même en cas de grève, de congé ou d’événement indépendant de leur volonté. Ils ont récemment obtenu la promesse de voir leur salaire horaire relevé à 180 000 LL, pour les enseignants du secondaire, et à 100 000 LL, pour ceux de l’enseignement de base. Ils devraient aussi bénéficier de l’aide sociale mensuelle de 130 dollars, mais celle-ci sera proportionnelle au nombre d’heures enseignées. L’année dernière, malgré les promesses, ils n’ont pas perçu les indemnités de transport. Leur retour à l’école a été conditionné cette année par le paiement mensuel de leur salaire dans un contexte d’effondrement financier. Mais il n’y a aucune certitude que cette mesure sera réellement adoptée.

L’éducation publique en chiffres

Contrairement aux attentes, la crise libanaise a entraîné une baisse des effectifs de l’enseignement public, qu’il s’agisse des élèves ou des enseignants. En 2021-2022, selon le CRDP, rattaché au ministère de l’Éducation, le Liban comptait 336 301 élèves seulement dans le public sur un total de 1 072 925 élèves (sans compter le cursus de l’après-midi réservé aux élèves syriens). C’est moins qu’en 2020-2021, où ils étaient de 384 741, et légèrement inférieur à l’année 2019-2020, qui en comptait 342 303.

Quant aux enseignants, leur nombre est en baisse régulière depuis 2019-2020. Cette même année, l’enseignement public comptait 40 796 enseignants (19 323 cadrés et 21 473 contractuels). L’année suivante, ils baissaient à 39 516 (18 465 cadrés et 21 051 contractuels). Et en 2021-2022, ils ne sont plus que 37 139 (17 203 cadrés et 19 936 contractuels). Cette baisse n’est pas limitée au secteur public. Elle touche l’ensemble du secteur éducatif, établissements privés, semi-privés et écoles de l’Unrwa y compris (destinée aux réfugiés palestiniens), qui a perdu plus de 11 000 enseignants en trois ans.

Les chiffres ont été fournis par le Centre de recherche et de développement pédagogiques rattaché au ministère de l’Éducation (CRDP). Les chiffres les plus récents de l’année scolaire 2021-2022 viennent juste d’être révélés à « L’Orient-Le Jour ».

C’est dans le flou le plus total et en rangs dispersés que l’école publique a fait sa rentrée, lundi 3 octobre, pour un peu moins du tiers des élèves du pays. Un flou parce que, après une année chaotique, paralysée par la grève des enseignants du secteur dans un contexte de grave effondrement socio-politico-financier, ces derniers font déjà pression, histoire d’obtenir un maximum...

commentaires (1)

Quelle tristesse pour les enfants de parents démunis qui n'ont comme solution que cet enseignement public défaillant. Il faut vraiment avoir la foi pour devenir un enseignant et le demeurer. Maigre consolation : les enseignants de France, même titularisés, ("cadrés" est impropre) gagnent près de 20% de moins que dans d'autres pays de l'Union Européenne. "L'éducation est l'arme la plus puissante pour changer le monde" avait déclaré N. Mandela. Cela fait-il peur aux gouvernants?

Lilou BOISSÉ

12 h 23, le 05 octobre 2022

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Commentaires (1)

  • Quelle tristesse pour les enfants de parents démunis qui n'ont comme solution que cet enseignement public défaillant. Il faut vraiment avoir la foi pour devenir un enseignant et le demeurer. Maigre consolation : les enseignants de France, même titularisés, ("cadrés" est impropre) gagnent près de 20% de moins que dans d'autres pays de l'Union Européenne. "L'éducation est l'arme la plus puissante pour changer le monde" avait déclaré N. Mandela. Cela fait-il peur aux gouvernants?

    Lilou BOISSÉ

    12 h 23, le 05 octobre 2022

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