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Culture - Vient de paraître

« Je ne peux plus voir mes parents pleurer à cause de ce pays »

Le troisième roman de Sabyl Ghoussoub, « Beyrouth-sur-Seine »*, est sorti le 24 août, aux éditions Stock. L’accueil de ses premiers lecteurs est déjà très enthousiaste et sensible à la voix juste, tendre et acidulée d’un narrateur qui décide d’interroger ses parents sur leur départ du Liban pendant la guerre, et sur leur arrivée en France. Le résultat romanesque est stupéfiant.

« Je ne peux plus voir mes parents pleurer à cause de ce pays »

Le troisième roman de Sabyl Ghoussoub est sortir aux éditions stock.

Dans son album de famille, le narrateur constate que les vidéos de son enfance parisienne sont surprenantes. « Tout (…) indique dans ces images que nous sommes au Liban : la (les) langue(s) parlée(s), les visages, les attitudes, les plats sur la table, la musique, les sujets de conversation, sauf dans le dernier plan, lorsque la caméra se tourne vers la fenêtre et que la tour Eiffel apparaît au loin, à moitié floue. »

Beyrouth-sur-Seine relate la fusion des lieux qu’opèrent ceux qui sont contraints de quitter leur pays d’origine, et l’envers du décor de cette émigration libanaise à Paris, trop souvent fantasmée, avec tout ce qu’elle comporte de déchirements, de discordances et de deuils. L’arrivée en France de Kaïssar et Hanane se résume à des problèmes professionnels et financiers, un déclassement et l’impossibilité de trouver sa place. Dès les premières lignes, on est séduit par des personnages hauts en couleur, théâtraux, outrés, mais surtout profondément humains et douloureusement écorchés par un exil qui leur colle à la peau. Le Paris arabe des années 80 émerge sous la plume vive et alerte de Ghoussoub, avec ses artistes, ses galeries d’art, ses journaux, ses cafés du cinquième arrondissement, « l’antre révolu des tiers-mondistes du monde entier ». Kaïssar est un poète amoureux de la langue arabe et un fervent idéaliste de gauche ; le narrateur dépeint avec tendresse et doigté ses élans politiques, artistiques, affectifs et ses contradictions. La dimension fantasque de Hanane est savoureuse au fil du texte ; celle qui travaille dans une galerie d’art organise régulièrement des équipées farfelues dans Paris avec sa cousine, pour nourrir et habiller la famille au sens large, qui est une valeur essentielle envers et contre tout. Son obstination à les rassembler tourne immanquablement au drame, que le style incisif de l’auteur saisit de manière tout à fait jouissive.

Entretien avec l'auteur

Sabyl Ghoussoub : Ce livre est une sorte de revanche face à la guerre

Puis Hanane et son mari, au « look de chanteur communiste turc », ont deux enfants : Yala, puis le narrateur. Si la sœur aînée semble faire un pas de côté vis-à-vis de ses origines, le cadet, lui, a le virus libanais, et sa perception du réel se construit au prisme de cet attachement capricieux, contradictoire et irrationnel, qu’il entretient malgré tout.

« Rentrez chez vous ! »

Le roman se lit d’une traite ; le style épouse la grandiloquence des personnages, tout en rappelant sobrement leurs rêves brisés et la douleur de leur expérience de la guerre, de loin. Sont rappelés avec précision les différents assassinats ou massacres qui ont jalonné les années sombres de la guerre civile, et la kyrielle d’extrapolations qui ont suivi chacun d’eux, ainsi que les non-dits, les mots qui tuent et l’attente insoutenable de ceux qui espèrent des nouvelles de leurs proches, derrière des téléphones qui « n’accrochent pas ».

Au regard décapant de l’auteur, qui tient également une chronique littéraire dans nos colonnes, correspond une variété tonale extrêmement large, qui rend la lecture haletante. Ainsi, dans une des scènes liminaires, le narrateur évoque le premier appartement de ses parents, où ils ne cesse d’entendre crier « Rentrez chez vous », que leur assène leur voisine, dérangée mentalement. « (…) Des années plus tard, je pense qu’elle avait raison de leur conseiller de rentrer chez eux », commente incidemment la voix narrative.

Face à l’hydre du déracinement, chacun essaye de survivre comme il peut. Le narrateur évoque ensuite sa compagne, Alma, qui a elle aussi quitté le Liban pour s’installer à Paris ; elle partage la même nostalgie parentale. Le motif du rêve d’un éventuel retour est balayé d’un trait par le narrateur en des termes implacables. « Quand on fait partie de la classe moyenne, ce pays ne veut pas de nous, il nous détruit et nous broie à petit feu, et si en plus nos métiers sont des métiers sans le sou, assistante pour ma mère, traducteur pour mon père, écrivain pour moi, on peut dire adieu à ce pays. Qu’on le veuille ou non, l’argent guide nos vies. »

En refermant le livre, on regrette déjà de ne plus fréquenter ces personnages d’écorchés vifs, qui ont tout sauf quitté leur pays, qui le portent en eux, presque malgré eux, et qui subliment ce qu’ils regardent, comme Paris, rebaptisée Beyrouth-sur-Seine. « En fait, le Liban, c’est mes parents. (…) Quand je passe les voir dans leur appartement parisien, j’atterris au Liban… Dans leurs yeux, je vois ce pays. D’ailleurs, je ne peux plus voir mes parents pleurer à cause de ce pays. À chaque fois que le Liban est touché par un attentat, une explosion ou une guerre, j’ai l’impression que l’on vise mes parents, et ça, je ne le supporte plus. »

*« Beyrouth-sur-Seine » de Sabyl Ghoussoub, aux éditions Stock.

Dans son album de famille, le narrateur constate que les vidéos de son enfance parisienne sont surprenantes. « Tout (…) indique dans ces images que nous sommes au Liban : la (les) langue(s) parlée(s), les visages, les attitudes, les plats sur la table, la musique, les sujets de conversation, sauf dans le dernier plan, lorsque la caméra se tourne vers la fenêtre et que la tour...

commentaires (3)

La plume de Joséphine pour parler de Sabyl ça s’appelle un double bonheur ! Le style de Sabyl est rafraîchissant et drôle ,pour parler du tragique de la situation libanaise . …Ces « événements » qui ont bercé notre enfance ,notre adolescence et qui continuent à ponctuer nos vies d’adultes Appartenir à ce pays est un vertige permanent et j’en totale addiction Qu’il distille à merveille

Noha Baz

20 h 49, le 29 août 2022

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Commentaires (3)

  • La plume de Joséphine pour parler de Sabyl ça s’appelle un double bonheur ! Le style de Sabyl est rafraîchissant et drôle ,pour parler du tragique de la situation libanaise . …Ces « événements » qui ont bercé notre enfance ,notre adolescence et qui continuent à ponctuer nos vies d’adultes Appartenir à ce pays est un vertige permanent et j’en totale addiction Qu’il distille à merveille

    Noha Baz

    20 h 49, le 29 août 2022

  • Sabyl Ghoussoub en est à son troisième roman après le nez juif (2018) et Beyrouth entre parenthèses (2020) et il se révèle comme un des romanciers les plus talentueux ,les plus créatifs et les plus vivifiants de sa génération et cela tant au niveau francophone libanais que français .Il sait associer intelligemment ses deux cultures, avec drôlerie, humour,vivacité, audace,impertinence et tendresse . J'ai tout lu d'une traite. C'est irrésistible,inédit et jubilatoire .Le lecteur est vite captivé et séduit. A consommer sans modération....

    Bahjat RIZK

    14 h 51, le 29 août 2022

  • Il est temp de chasser les chasseurs, et de rester ces soi.

    Sarkis Dina

    08 h 59, le 29 août 2022

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