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Culture - Livres

Quand l’Orient se libère par l’écriture...

Des petits enfants de Noé frappés par la violence au pays du Cèdre aux confessions d’une femme libanaise, en passant par le complexe à vie d’un homme au prénom moqué et détourné... Trois romans en langue arabe, récemment édités chez Hachette A. Antoine, évoquent le mal-être et les zones cachées de certaines vies dans cette région du monde.

Quand l’Orient se libère par l’écriture...

« Ahfad Nouh » d’Ahmad Ali el-Zein, un auteur connu du lectorat arabe. Photo DR

De Ahfad Nouh (214 pages), d’Ahmad Ali el-Zein, à Ismaani ya Reda (127 pages), de Sara Safieddine, en passant par Barhoum Beyk de Mohammad Chaabane (300 pages), tous trois édités chez Hachette A. Antoine, trois auteurs dissèquent la vie en cet Orient aux multiples visages. Au gré des plumes entre lyrisme et inspirations sociétales naissent des histoires revendiquant liberté, épanouissement, paix, respect, sécurité et droit à la concorde…

Portrait d’un homme fracassé

L’écriture est-elle une embarcation de libération ou de sauvetage ? Sans nul doute. Telle est d’ailleurs la première phrase du dernier roman Ahfad Nouh d’Ahmad Ali el-Zein. Ce romancier de 67 ans n’est pas inconnu du public. Depuis plus de vingt ans, il est une figure de proue de la télévision, avec ses innombrables émissions culturelles sur la chaîne al-Arabiya très prisées et suivies. Sans oublier ses publications antérieures, dont Maabar al-nadam (Le passage du regret), Haffet al-nissyan (Le bord de l’oubli) et Sohbat al-tayr (Le compagnonnage de l’oiseau) qui ont drainé un fidèle et important lectorat.

L’histoire d’Ahfad Nouh, son dernier opus, narre la vieillesse de Shams, un artiste peintre qui a perdu la faculté de travailler suite à l’explosion qui a coûté la vie à Rafic Hariri en 2005.

À partir de ce drame, cet homme au destin cassé va se livrer à l’errance dans les cafés, l’ennui, la pseudo-oisiveté, l’observation des gens dans l’agitation du quotidien… Et le souvenir des longues pérégrinations durant l’enfance avec sa mère, de Cuba au Canada, en passant par Paris, pour revenir finalement au pays d’origine et à Beyrouth.

Témoignage et analyse d’un pan tourmenté de l’histoire du Liban et quête, entre mort, violence, exil, carrière brisée, conflits politiques, pour appréhender un drame qui a fracassé la condition de paisibles citoyens, ce roman écrit avec des mots simples offre une lecture fluide… Et un portrait, bouleversant, d’un homme qui, pris dans les mailles d’une réalité amère aux contours inquiétants, se réconcilie difficilement avec le jour qui se lève.

« Isma3ni ya Reda » est le premier roman de Sara Safieddine. Photo DR

De l’émancipation des femmes…

Ismaani ya Reda (Écoute-moi Rida, 127 pages), ce premier roman de Sara Safieddine semble faire écho à Ismaa ya Rida d’Anis Freiha, un classique de la littérature libanaise sur la vie montagnarde libanaise. Sauf que le petit détail, dans l’impératif de l’injonction personnalisée du titre de la jeune auteure, fait toute la différence !

Sara Safieddine s’adresse dans ce livre à un mari absent. Un époux que l’on n’entendra jamais dans ce long monologue où affleurent les sentiments d’une épouse délaissée. Et dont pourtant le conjoint est physiquement présent, mais partage peu les sentiments et l’intimité émotive de sa moitié.

Entre études de cinéma à l’Université libanaise et diplôme de diététicienne à l’AUB, cette jeune mordue d’écriture de 23 ans a, semble-t-il, surtout besoin de transparence dans sa vie sentimentale et conjugale.

Née à Téhéran en Iran de parents originaires du village Bedian dans le caza de Tyr, Sara Safieddine a connu son conjoint par le voisinage. Une enfance heureuse dans un hameau perdu, doublée des premiers émois de l’amour qui se referment sur les liens du mariage… Elle évoque dans ce roman, avec tendresse et nostalgie, cette enfance comme un espace de pureté et d’innocence.

C’est un peu ce retour aux sources et aux valeurs traditionnelles qu’elle recherche. Avec pudeur, mais sans laisser à l’ombre les griefs qui s’accrochent au cœur d’une jeune femme trahie dans ses convictions profondes, ses mots avancent à pas feutrés entre souvenirs et revendications affectives dérobées. Ils avancent entre un flot presque désespéré de paroles débitées dans le lyrisme d’une mémoire vive, des souvenirs lumineux, et les détails d’un passé tranquille et paisible, presque heureux, qui s’érode et s’effiloche avec le temps.

Un livre qui parle certes du rythme d’un village, mais surtout de l’intériorité d’une jeune femme face aux troubles de la communication conjugale.

Œuvre attachante par ce ton de confidence intrépide entre souvenirs d’enfance et affrontement de l’âge adulte. Dans un langage faussement simple surgissent les choses compliquées et les zones cachées d’une vie.

« Barhoum Beyk », opus audacieux de Mohammad Chaabane. Photo DR

Identités particulières

Des rues de Damas, encombrées et poussiéreuses, surgit la voix d’un déraciné, d’un homme au ban de la société… Celle de Barhoum Beyk, personnage central du roman éponyme de Mohammad Chaabane. Une histoire triste d’un homme mal assuré dans son identité sexuelle, peu servi par la nature, par ses origines, ainsi que le déroulement d’une guerre qui n’en finit plus de faire ses ravages. Rapports humains complexes et compliqués à travers la plus haute des solitudes. Ainsi que l’éloignement des autres à cause d’un environnement qui s’effondre.

Des études économiques entreprises à l’Université de Damas au monde des lettres, Mohammad Chaabane a un parcours singulier. Avec cinq romans à son actif (Majnoun bouhayrat Khaled, Khanzir barri, Khaybat et infijar) ainsi deux recueils de nouvelles (Ahwal et Mafarek), il puise ses fictions du cœur de la réalité arabe pour décrypter un malaise social évident et perceptible. Malaise que de nombreux lecteurs ont plébiscité comme un juste et percutant reflet de la société actuelle.

Barhoum Beyk bourlingue entre les rues animées de Damas et se souvient d’une enfance qui n’est pas tout à fait dans le moule conventionnel. En touchant en toute discrétion aux problèmes du genre, ce roman jette la lumière sur ces êtres intellectuellement éduqués et qui ont du mal à s’imposer dans une société fruste, machiste et violente.

Dialogue entre deux personnages antithétiques mais aussi dialogue avec soi-même pour une introspection qui révèle la part secrète et souvent cachée en chacun. Tel semble être ce roman conté par un narrateur certes à l’identité troublée, mais à la personnalité calme…

Damas revit admirablement sous la plume de l’auteur, non en ses jours de guerre récente, mais dans son quotidien pittoresque. Celui des quartiers de Salhiyé, Abbassiyé, de la place Aarnouss, du jardin al-Sabki ou encore du café Rawda où, sous l’image d’une ville affairée, grouillent les complexes d’une société intolérante et rigoureusement formatée.

Le charme indicible de Damas, avec ses parfums, ses couleurs, sa gastronomie, sa truculence, est décrit avec tendresse mais sans effusion. Charme qui se confronte avec les douleurs, les souffrances, les luttes et l’arrogance des personnages qui habitent ces pages où l’homme est constamment en prise avec son destin. Un roman au style captivant, chargé d’une discrète audace pour aborder les troubles de la sexualité, qui sort courageusement et en toute dignité du ronron de la littérature arabe.

Les trois romans sont édités chez Hachette Antoine-Naufal et disponibles en librairie à Beyrouth.

De Ahfad Nouh (214 pages), d’Ahmad Ali el-Zein, à Ismaani ya Reda (127 pages), de Sara Safieddine, en passant par Barhoum Beyk de Mohammad Chaabane (300 pages), tous trois édités chez Hachette A. Antoine, trois auteurs dissèquent la vie en cet Orient aux multiples visages. Au gré des plumes entre lyrisme et inspirations sociétales naissent des histoires revendiquant liberté,...

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