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Moyen-Orient - Entretien express

« Les Émirats ont tout intérêt à renouer avec l’Iran aujourd’hui »

Abou Dhabi a annoncé dimanche soir le retour de son ambassadeur à Téhéran, six ans après son rappel. Emma Soubrier, chercheuse non résidente à la World Peace Foundation de Tufts University et à l’Arab Gulf States Institute in Washington, fait le point pour « L’Orient-Le Jour ».

« Les Émirats ont tout intérêt à renouer avec l’Iran aujourd’hui »

Le conseiller émirati à la Sécurité nationale, cheikh Tahnoun ben Zayed, a rencontré le président iranien Ebrahim Raïssi lors de sa visite à Téhéran, le 6 décembre 2021. Photo présidence iranienne via AFP

Son retour devrait se faire dans les prochains jours. L’Émirati Saif Mohammad al-Zaabi reprend son poste d’ambassadeur à Téhéran, six ans après que la représentation d’Abou Dhabi en Iran a été réduite au niveau des chargés d’affaires. Allant dans le sens d’un réchauffement des relations entre les deux rivaux, cette avancée considérable évoquée lors de précédents contacts semblait, jusqu’à présent, avoir du mal à se concrétiser. L’imminence perçue de la conclusion des négociations de Vienne pour réactiver l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien – suspendu depuis le retrait unilatéral du deal par Donald Trump en 2018 – pourrait avoir contribué à accélérer le processus. La fédération est notamment guidée par la volonté de ne pas être tributaire du désengagement américain de la région et d’un accord négocié sans sa participation et l’inclusion des activités régionales de l’Iran ou de son programme balistique. Depuis des mois, les EAU cherchaient ainsi à reprendre langue directement avec la République islamique. Dans un geste d’apaisement entre les deux puissances, cheikh Tahnoun ben Zayed, frère du président émirati et conseiller à la Sécurité nationale, s’est rendu dans la capitale iranienne en décembre 2021 pour la seconde fois depuis la rupture des relations diplomatiques en 2016. Il y avait été secrètement dépêché afin d’apaiser les tensions après les attaques sur les installations pétrolières de la société saoudienne Aramco en septembre 2019, revendiquées par les rebelles houthis. Soutenus par Téhéran, ces derniers combattent au Yémen les forces progouvernementales appuyées depuis 2015 par une coalition menée par Riyad et à laquelle les EAU participent. Dans une logique similaire, l’Arabie saoudite a entamé en avril 2021 des discussions bilatérales avec l’Iran par l’intermédiaire de Bagdad pour trouver une sortie de crise au Yémen, ouvrant notamment la voie à la présence dans le royaume d’une représentation iranienne auprès de l’Organisation de coopération islamique basée à Djeddah. Emma Soubrier, chercheuse non résidente à la World Peace Foundation de Tufts University et à l’Arab Gulf States Institute in Washington, fait le point pour L’Orient-Le Jour.

La décision de renvoyer l’ambassadeur émirati à Téhéran intervient alors qu’un accord sur le nucléaire iranien serait à portée de main. Comment expliquer ce timing ?

Ces événements sont liés en ce qu’ils constituent tous les deux la résolution d’un chapitre houleux pour la région où les relations entre les deux rives du Golfe étaient à couteaux tirés. Ce chapitre, ouvert entre 2015 et 2017, tenait beaucoup à la politique régionale impulsée par la figure montante du pouvoir en Arabie saoudite, le prince héritier Mohammad ben Salmane, et par la précédente administration américaine. La crise diplomatique entre les monarchies de la péninsule Arabique et l’Iran qui date de 2016 était liée à l’exécution du clerc chiite Nimr al-Nimr (et opposant au régime, NDLR) par Riyad et l’attaque de l’ambassade saoudienne à Téhéran qui l’avait suivie, dans un contexte déjà tendu par l’intervention militaire de la coalition menée par le dauphin saoudien au Yémen. Les tensions régionales avaient ensuite été poussées à leur paroxysme par la décision du président Donald Trump de sortir de l’accord sur le nucléaire. La nomination d’ambassadeurs des monarchies arabes du Golfe à Téhéran et la proximité d’un nouvel accord sur le nucléaire iranien sont des signaux concomitants de l’apaisement de cet écosystème qui s’alimentent vraisemblablement l’un l’autre (mais pas nécessairement).

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Face à une tendance à la désescalade déjà perceptible dans la région depuis des mois, quels facteurs expliquent la récente décision émiratie ?

La tendance à la désescalade de ces derniers mois elle-même est à comprendre sur fond d’un rappel sans cesse renouvelé de l’interconnexion des États aux échelles régionale et internationale et de la plus-value de la coopération sur la compétition, tant face aux enjeux énergétiques que sanitaires, alimentaires et climatiques. Vis-à-vis de l’Iran, les Émirats appliquaient déjà ce principe depuis 2019, mais leur querelle ouverte avec le Qatar (crise du Golfe depuis 2017), faite notamment au nom de la proximité entre Doha et Téhéran, ainsi que les rapports privilégiés avec une administration Trump dont la politique régionale reposait quasiment intégralement sur la « pression maximale » contre l’Iran rendaient cela difficile. La levée de ces deux obstacles et, plus récemment, le ralliement de l’Arabie saoudite au bien-fondé d’un rapprochement avec l’Iran dans un contexte de désescalade au Yémen ainsi que la nomination plus tôt dans le mois d’un ambassadeur du Koweït à Téhéran contribuent tous à expliquer ce développement.

Quelles pourraient être les conséquences du rétablissement officiel des liens entre les deux rivaux ?

Si ces relations diplomatiques rétablies constituent les prémices d’un accord multilatéral au sein de la région du Golfe et avec les partenaires internationaux, elles pourraient donner lieu à des initiatives de coopération essentielles pour rétablir la stabilité régionale après les soubresauts de ces dernières années. Au-delà du nucléaire, on pense à l’effet d’opportunité qu’il pourrait y avoir à des discussions entre les deux rives du Golfe sur la défense aérienne et antimissile, autre enjeu majeur de la sécurité régionale. Il faut aussi mentionner les opportunités liées à la consolidation d’initiatives communes sur les dimensions humaines de la sécurité : des coopérations sur les énergies renouvelables, la résilience alimentaire, la recherche et l’innovation scientifique autour de diverses priorités dont la santé, etc. D’ailleurs, tous ces aspects sont sur la table au niveau bilatéral, même en l’absence d’une résolution plus large des contentieux régionaux. Les Émirats ont prouvé ces dernières années qu’ils avaient le désir et les moyens d’assurer leurs intérêts nationaux indépendamment de tout autre critère, et il ne fait nul doute qu’ils ont tout intérêt, sur un plan économique et stratégique de long terme, à renouer avec l’Iran aujourd’hui.

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commentaires (1)

Rétablir la stabilité régional mais à quel prix?! Sa liberté ou la perte de certaines capitales arabes !!

Bery tus

06 h 49, le 23 août 2022

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Commentaires (1)

  • Rétablir la stabilité régional mais à quel prix?! Sa liberté ou la perte de certaines capitales arabes !!

    Bery tus

    06 h 49, le 23 août 2022

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