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Idées - Grand entretien

Dominique Eddé : « L’islamisme est une forme d’incendie »

Une semaine après la tentative d’assassinat de l’écrivain anglo-indien Salman Rushdie, l’essayiste et romancière libanaise revient, pour « L’Orient-Le Jour », sur les multiples formes que doit prendre le combat contre la terreur islamiste et invite à « ne pas ménager un ennemi au prétexte d’en combattre un autre ».

Dominique Eddé : « L’islamisme est une forme d’incendie »

Photo Sarah Moon

La stupeur passée, l’attentat contre Salman Rushdie a suscité des prises de position particulièrement virulentes et contrastées au Liban, patrie d’origine de son assaillant, Hadi Matar. Comment réagissez-vous à cette agression et à son contexte ?

Par un terrible mélange d’effroi et d’accablement. Nous vivons dans un pays qui a une dimension démesurément tragique pour sa taille et donc pour chacun de ses habitants. Je ne crois pas beaucoup à l’expression qui veut que les mots soient plus forts que les armes. Je crois en revanche qu’il faut éviter à tout prix la faiblesse des mots car elle peut contribuer à la force des armes. Et aussi parce que l’humiliation a atteint chez nous des seuils intolérables. Le 4 août 2020 nous a tous endeuillés, tous mis à terre. Depuis, la tentation est grande de se dire une fois pour toutes : c’est foutu, il n’y a rien à faire. Mais justement, si nous n’avons plus rien à perdre, n’y a-t-il pas maintenant quelque chose à gagner ?

Quoi ? De la vision, peut-être. On gagne en vision quand on n’a plus à sauver les apparences. Les mots gagnent eux aussi en puissance quand ils n’ont plus pour fonction d’amortir, de peser, de soupeser. Quand on apprend que l’assaillant de Rushdie est originaire d’un village chiite du Liban-Sud, qu’il n’y est pas né, n’y a pas vécu, mais qu’il y a séjourné en 2018 et en est revenu « changé », selon les propos de sa mère, on a froid dans le dos. Peut-on décemment continuer à se taire ou à ne parler qu’à moitié quand on sait que c’est dans ce même Liban-Sud dominé par le Hezbollah que Lokman Slim recevait il y a un an et demi une balle dans le dos, trois balles dans la nuque et deux dans le cerveau ? Quand, à présent, des personnalités telles que Dima Sadek et Hassan Chaabane reçoivent des menaces de mort pour avoir apporté leur soutien à Salman Rushdie alors que le journaliste Radwan Akil déclare tranquillement à la télévision qu’il approuve la fatwa de Khomeyni ! Il est vrai que son journal, an-Nahar, s’est désolidarisé de ses positions. Mais en quels termes : « L’adoption de l’appel au meurtre est en contradiction avec notre politique, elle ne nous représente pas. » Vous trouvez la formule satisfaisante ? Moi pas.

Comment expliquez-vous que 33 ans après, la fatwa de l’imam Khomeyni ait pu trouver un bourreau autoproclamé ?

Le retour du refoulé sévit partout en ce moment. L’absence de visibilité, et donc d’avenir, est un vivier pour la haine et le rejet de l’autre. La guerre de Poutine s’inscrit dans cette passion morbide du passé. Dans le cas du terrorisme islamiste, on a affaire à une négation du temps de l’histoire. Ces gens-là ont le fantasme d’un temps refait à zéro, sur mesure. C’est le propre d’un état psychotique. La réalité est balayée, engloutie, par une angoisse et un désir sans bornes. Avec pour seule « contenance » le recours à une « virilité » exorbitante qui tient lieu de parade à l’ignorance. D’où le besoin d’inférioriser et d’abaisser la femme, de se l’approprier, d’en jouir sans partage par sa soumission absolue. Tout ce qui est de nature à ébranler ou à contredire ce délire est à réduire en poussière. Je ne pense pas seulement à l’Afghanistan, je pense à des brodeuses syriennes élevées dans un milieu rural qui me racontent que leurs maris, à peine les avaient-ils épousées, avaient jeté leurs livres au feu.

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Officieux ou officiel, l’islamisme tel qu’il sévit depuis les années 80 est une forme d’incendie. C’est un phénomène de masse enflammée. « Ce qui était distinct, le feu le réunit en un rien de temps », écrit Canetti dans Masse et puissance. C’est exactement de cela qu’il s’agit : entretenir le feu, entretenir la densité de cette masse de flammes qu’est la communauté des « fidèles » manipulés, aveuglés. Le climat de combustion et de peur permet de souder les membres comme un seul corps. La peur fige, contrairement à la panique, qui, elle, provoque la dispersion, la désintégration. Émettre une fatwa réclamant la tête d’un « apostat » ou d’un « blasphémateur », c’est dissuader toute velléité de créer du vide à l’intérieur de la masse. Canetti dit aussi ceci : « La masse prend pour celui qui se débat en elle le caractère du feu. C’est la vue soudaine d’une flamme ou l’appel “au feu” qui lui a donné naissance, et elle joue comme les flammes avec celui qui cherche à lui échapper. » Le jeune homme qui a tenté d’assassiner Rushdie me fait penser à une flamme égarée qui aspirait à être adoptée par le feu. La flamme s’est brûlée sous le regard froid et impassible des gouvernants du feu. Au même titre qu’une perversion peut être mise en rapport avec un traumatisme d’enfance, tout cela est en rapport avec l’islam, mais n’est aucunement l’islam.

Dans « Edward Said, le roman de sa pensée », vous allez plus loin : « Dire que l’État islamique n’a pas de rapport avec l’islam n’a pas de sens. Dire que l’islam se reconnaît dans l’État islamique en a encore moins. Ce n’est pas avec une équation mais avec une absence d’équation que nous avons à nous débrouiller à cet endroit », écrivez-vous. Pouvez-vous expliciter ?

Disons d’abord l’essentiel, qui continue à échapper à plus d’un commentateur occidental : l’islam est une religion et une culture aux mille et une facettes et aux mille et une nuits, au même titre que son architecture ou ses jardins aux perspectives infinies. L’islamisme est une maladie de l’islam, un mal très primaire, tout comme une pneumonie est une maladie du poumon. On ne peut donc ni soigner la pneumonie en ignorant le poumon ni traiter le poumon de maladie. Quelles sont les origines de cette infection ? C’est à cet endroit qu’il faut un effort gigantesque de prise en compte des multiples données historiques, théologiques et politiques qui sont en jeu. Les Libanais de ma génération se souviennent qu’on fêtait la tombée du voile dans les maisons de Baalbeck à l’époque du nassérisme. C’est dire si le poumon aspire à respirer autrement.

Pourquoi Nasser et les mouvements laïques ont échoué ? Tous les pouvoirs, Orient et Occident confondus, sont ici invités à la table de l’autocritique. Dans ce que les Américains appellent à tort « culture wars », on entend autant de bêtises et de faux-fuyants d’un côté que de l’autre. Dans un pays comme la France, vous avez les indigénistes qui reproduisent, en l’inversant, la logique brutale et sans nuance du bien contre le mal (« L’indigène a forcément raison contre le “souchien” », vous diront-ils) et vous avez des intellectuels qui réduisent plus d’un milliard et demi d’individus à une masse compacte ! Ce sont souvent les mêmes qui défendent inconditionnellement la politique israélienne, qui est une politique d’apartheid. Les mêmes qui militaient pour la guerre du Golfe en 2003 et qui, malgré le désastre qui s’est ensuivi, ne s’en sont jamais excusés. Comme disait très justement Edward Said juste après le 11-Septembre, nous avons affaire au « choc de l’ignorance ». Au lendemain de la tentative d’assassinat de Rushdie, Bernard Pivot, qui a régné sur le monde des lettres en France, s’est permis d’écrire ceci dans un tweet : « Le 16 février 1996, j’avais reçu Salman Rushdie dans mon émission, la police étant présente jusque sur les toits de l’immeuble de la télévision. Avec le temps, sa protection a dû se relâcher. Mais la haine de l’islam contre l’écrivain n’a jamais faibli. » « La haine de l’islam »… Il s’est acquitté, en deux mots, d’une complexité abyssale. C’est édifiant.

Comment faire pour que le fossé ne se creuse pas davantage ?

Il est très important de voir enfler la dissidence. De ne pas confier le champ de la contestation aux seules organisations de défense des droits de l’homme. Les intellectuels maghrébins sont de ce point de vue plus avancés que nous, au Machrek. Après la tentative d’assassinat de Rushdie, une pétition initiée en Tunisie a réuni des centaines de signatures dans le pays, ainsi qu’au Maroc et en Algérie. D’une manière générale, le monde intellectuel arabe, celui de gauche en particulier, a été, plus qu’un autre, pris en étau. L’impunité de la politique israélienne, soutenue par la culpabilité des pouvoirs occidentaux, a créé un état d’autocensure chez ceux qui, dans notre partie de monde, étaient fatalement concernés par le sort des Palestiniens. La fameuse logique du « ce n’est pas le moment, cela donnera des armes à l’ennemi » a été très néfaste dans les milieux militants de ma génération.

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De mon point de vue, c’est toujours le moment. On ne se bat pas moins bien contre la politique israélienne en se battant aussi contre l’islamisme. La pensée traite par définition avec des données hybrides, ambivalentes, composites. Dès que le raisonnement renonce à cette complexité, il est à côté de la plaque. Ménager un ennemi au prétexte d’en combattre un autre, c’est l’affaire des politiciens, ce n’est pas celle des écrivains ou des penseurs. Si l’on veut maintenir un minimum de cohérence dans l’approche simultanée des cultures ou des mémoires, il faut accepter de prendre des risques avec un résultat immédiat très ingrat : la marginalisation, voire l’ostracisme. Penser la paix est perçu comme une agression par ceux qui trouvent leur paix dans la guerre. Et ceux-là sont bien plus nombreux qu’on ne le pense ou qu’ils ne le savent eux-mêmes. Le philosophe syrien Sadek el-‘Azem n’a pas reculé devant la tâche. Il a osé la critique de la pensée religieuse, qui est le titre même de l’un de ses livres. Il est de ceux qui auront su sortir des rangs pour faire avancer la pensée. Il n’a pas été salué à la hauteur de son courage. Lors de la fatwa de Khomeyni en 1989, il avait signalé que Rushdie n’avait fait que « reprendre et romancer dans un style satirique » le récit de l’historien chroniqueur du Xe siècle Tabari, également connu pour son commentaire du Coran.

Ce qui ressort pour finir de l’impasse où nous nous trouvons, c’est qu’il y a, du point de vue strictement religieux, une nécessité absolue d’historiciser l’islam, de le laisser respirer, de contextualiser les textes contradictoires, rassemblés après la mort du Prophète, qui constituent le Coran. La question de l’interprétation du texte coranique est incontournable si l’on veut aborder la modernité. Elle appelle une réforme. D’une certaine manière, l’islamisme est à l’islam ce que le fascisme ou le nationalisme forcené sont à une appartenance nationale. « Le patriotisme, c’est l’amour des siens. Le nationalisme, c’est la haine des autres », disait Romain Gary. Mais à quel moment finit l’un et à quel moment commence l’autre ? C’est là toute la difficulté.

Dans de nombreux pays, la violence que vous évoquez est aussi légale : une étude du Pew Research Center recensait en 2019 quelque 79 pays, dont le Liban, pénalisant le blasphème et/ou l’apostasie, parfois passibles de la peine capitale. L’émotion planétaire suscitée par l’attentat contre Rushdie pourrait-elle permettre de mieux faire entendre la cause de ceux qui sont menacés par ces lois ?

Je veux l’espérer. Je pense en particulier à Ashraf Fayad, ce jeune poète palestinien qui, après avoir échappé de justesse à la peine de mort, a été condamné pour apostasie à huit ans de prison et huit cents coups de fouet en Arabie saoudite. Il est toujours derrière les barreaux. Son nom et la demande de sa libération devraient figurer dans tous les échanges culturels et politiques qu’entretiennent les pouvoirs avec Mohammad ben Salmane. Dans ce même pays, Raif Badawi, accusé d’apostasie et d’insulte à l’islam, a subi mille coups de fouet et 10 ans d’emprisonnement. Son crime ? Il avait notamment déclaré que « musulmans, chrétiens, juifs et athées étaient tous égaux ». Libéré en 2020, il n’a pas le droit de quitter le pays et de retrouver sa femme et ses enfants pendant dix ans (sauf grâce royale). L’Iranien Youcef Nadarkhani a été condamné à mort pour s’être converti au christianisme. Emprisonné puis relâché puis à nouveau emprisonné, il est accablé de nouveaux chefs d’accusation. Des dizaines de Pakistanais sont condamnés à mort pour blasphème. Il ne faut pas oublier que ce dernier a revêtu de tout temps le caractère d’une menace pour les pouvoirs religieux. Encore aujourd’hui, au sein même de l’Europe, en Italie, le blasphème public est légalement passible d’une amende. Au Moyen Âge, les exécutions des incroyants se déroulaient en grande pompe, le plus lentement possible. La tête sacrifiée était offerte par les ecclésiastiques à la masse comme une promesse de récompense dans l’au-delà. La récompense d’avoir obéi. Le blasphème est l’équivalent pour un pouvoir religieux de ce qu’est un acte de dissidence pour un pouvoir autocrate. C’est la raison pour laquelle les prisons sont pleines à l’heure qu’il est en Russie. On en revient pour finir à une même terreur chaque fois que le pouvoir met la liberté à genoux au nom du dogme qu’il exploite.

Comment trouver un juste équilibre entre l’universalisme de certains droits fondamentaux et le respect des pluralismes, alors même que les grands modèles d’intégration (de la laïcité assimilatrice aux différentes variantes du multiculturalisme) semblent tous en panne ?

La partie non négociable des droits universels tourne autour du droit fondamental de l’être humain de croire, de ne pas croire, d’inventer, d’imaginer, de rêver, d’aimer comme il l’entend tant qu’aucune de ces images, de ces pratiques, de ces rêveries n’affecte le droit de l’autre à en disposer. Il ne s’agit en aucun cas d’imposer des normes culturelles, dites occidentales, à une autre partie du monde. Il s’agit de s’entendre sur un minimum vital humain. Encore une fois, à partir du moment où une masse se sent menacée par la présence en son sein d’un individu qui voit du bleu là où elle voit du rouge, c’est l’humanité tout entière qui est menacée par la masse sous les traits de cet individu. À l’heure où l’espèce humaine est confrontée à une perte de contrôle de l’air qu’elle respire, de l’eau qu’elle consomme, de la terre qu’elle exploite, etc., il me paraît assez évident de penser que notre appartenance à cette espèce – tant qu’elle existe – constitue une identité supérieure à nos identités nationales ou communautaires. C’est pourquoi la laïcité ou la rigoureuse séparation du religieux et du politique est plus que jamais la réponse appropriée, celle qui tient le mieux compte des diversités culturelles. Il ne s’agit pas d’opposer ces deux notions, mais de voir en toute logique qu’elles doivent se protéger l’une l’autre. Le multiculturalisme est à préserver à tout prix, il est le garant de la différence qui est elle-même la garante de la vie. Il ne peut pas servir en revanche d’alibi à des formes de domination qui n’ont rien à envier à celles du colonialisme et de l’impérialisme.

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Je voudrais tout de même inclure à ce sujet un point majeur. Il concerne la surdité et l’arrogance d’une certaine posture occidentale face à la différence culturelle précisément. Prenons un autre cas tragique de terrorisme islamique : la décapitation du professeur Samuel Paty, qui nous inspire le même effroi que l’attaque contre Charlie Hebdo, Rushdie, le Bataclan ou bien d’autres. Vous remarquerez que je n’ai pas encore cité le nombre terrifiant d’attentats commis par des islamistes contre des musulmans. Mais dans le cas des caricatures, on est en droit de pouvoir dire deux choses en même temps : oui, le droit à la caricature ne doit souffrir d’aucune censure officielle. Il n’en est pas pour autant à l’abri de la critique. Était-ce un bon choix de prendre pour exemple de droit à la liberté la caricature du Prophète accroupi, les couilles pendantes, une étoile jaune dans le cul ? Non ! Définitivement, non. D’autant qu’il se trouvait dans la classe des élèves musulmans. Puisque tous les destins sont désormais liés à l’échelle de la planète, notre survie dépend désormais d’un énorme effort de prise en compte des systèmes de représentation qui ne sont pas les nôtres. « Ce n’est pas d’Israël, c’est du Hezbollah que vous souffrez au Liban! » m’avait asséné un ministre français il y a un an. « Et si c’était des deux, Monsieur le Ministre ? » lui avais-je répondu passablement agacée.

Vous n’avez cessé de vous opposer aux thèses, popularisées par Bernard Lewis et Samuel Huntington, sur le « choc des civilisations », tout en alertant très tôt sur le danger islamiste, en particulier dans les sociétés arabes. À l’ère de « la guerre contre la terreur », comment faire comprendre la complexité des situations et entendre les nombreuses voix dissidentes ?

En faisant d’abord, à tous les niveaux, l’effort qui consiste à ne pas sacrifier la nuance au nom du profit et du court terme. La nuance, c’est l’autre. La nuance peut même être la partie de soi qui n’est pas forcément d’accord avec… soi. En littérature, elle est ce qui fait la différence entre une phrase qui aplatit le sens et une phrase qui le remue. Au plan médiatique, et particulièrement sur les réseaux sociaux, la bataille est rendue atrocement dure par le triomphe de l’opinion sur la pensée et par la toute-puissance de l’argent. Cela étant dit, la résistance en temps de guerre ou de chaos a toujours été le fait d’une minorité. Plus les minorités résistantes des quatre coins du globe uniront leurs forces, plus elles auront du poids. Combien ? Je ne sais pas. Mais du poids. J’aimerais ajouter que résister n’est pas seulement une affaire publique. C’est aussi une affaire privée. On ne se débarrasse pas du racisme à coups de slogans, on s’en éloigne au meilleur des cas par une surveillance permanente qui est une hygiène de la pensée. Il faut bien sûr que les efforts soient consacrés en toute priorité à l’éducation. Je viens d’apprendre que des écoliers chinois sont espionnés pendant leurs devoirs par des stylos intelligents… C’est dire si le défi qui nous est tous adressé est de sauver l’intelligence humaine de son clone mécanique. J’emploierais volontiers une expression qui n’a apparemment rien de politique et qui pourtant recouvre le champ de toutes les questions que nous abordons : le respect de l’intimité. Si l’espèce humaine en venait à perdre ses lieux et ses temps d’intimité, ce serait une catastrophe comparable à la disparition de l’ombre. Ce serait le règne d’une lumière inchangée 24h/24. Le cauchemar.

Vous partagez avec Salman Rushdie un amour certain pour les œuvres de Joseph Conrad et Anton Tchekhov. Quelles ressources y trouvez-vous pour comprendre le monde actuel et résister ?

Ils ont traité tous les deux de la beauté et de l’horreur dans un monde sans Dieu. Sans le soutien de la bonne conscience. Sans la commode satisfaction que procure l’indignation verbale. Avec l’appui de l’humour, de l’ironie, de la conscience tout court. Aussi singulier et incomparable l’un que l’autre, ils avaient un sens très aigu de la vanité humaine. Les deux n’avaient aucune illusion quant à la notion de progrès. Ils étaient des pessimistes qui ne baissaient pas les bras. Cette combinaison constitue, à mes yeux, le nerf même de la résistance. J’ai une grande admiration pour Conrad. Mais j’ai un faible particulier pour Tchekhov. Il y a dans son monde plus de place pour les temps suspendus et pour l’amour, quand bien même l’amour est désarmé en chemin. Il y a bien sûr quelque chose d’« insoluble » chez ces deux écrivains. Cet insoluble est le fond même de la littérature. Il est le garant du caractère introuvable de la vérité. C’est dans une solitude extrême que se joue au sein de leurs personnages le conflit entre la tentation de tricher et le devoir de ne pas. Il y avait, pour finir, une même morale dans leurs deux mondes : la morale du faire ce que l’on a à faire. Elle résume ce que j’ai essayé de dire ici. Il vient un moment où, quelles que soient les raisons que l’on a de désespérer, la peur ne peut pas, ne doit pas avoir le dernier mot.

La stupeur passée, l’attentat contre Salman Rushdie a suscité des prises de position particulièrement virulentes et contrastées au Liban, patrie d’origine de son assaillant, Hadi Matar. Comment réagissez-vous à cette agression et à son contexte ? Par un terrible mélange d’effroi et d’accablement. Nous vivons dans un pays qui a une dimension démesurément tragique pour sa taille...

commentaires (12)

The guest views are too simplistic as she seems oblivious to the fact that extremism in general, and religious extremism in particular is not limited to Islam. A few examples include: 1- Israel, where zionists want to efface Palestinian culture and existence and the regime has engaged in thousands of well-documented extrajudicial killings; 2- the US where mass murders are perpetrated by white nationalists against ethnic minorities, and mass incarcerations targeting the same groups yield profits to private corporations that managed and maintain the prisons; 3- Myanmar where buddhists have committed genocide against the Muslim minority, have burned their villages and communities and survivors have fled to neighboring Bangladesh where they live in refugee camps.

Mireille Kang

23 h 36, le 21 août 2022

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Commentaires (12)

  • The guest views are too simplistic as she seems oblivious to the fact that extremism in general, and religious extremism in particular is not limited to Islam. A few examples include: 1- Israel, where zionists want to efface Palestinian culture and existence and the regime has engaged in thousands of well-documented extrajudicial killings; 2- the US where mass murders are perpetrated by white nationalists against ethnic minorities, and mass incarcerations targeting the same groups yield profits to private corporations that managed and maintain the prisons; 3- Myanmar where buddhists have committed genocide against the Muslim minority, have burned their villages and communities and survivors have fled to neighboring Bangladesh where they live in refugee camps.

    Mireille Kang

    23 h 36, le 21 août 2022

  • IMMENSE LA DIFFERENCE. ET LA REALITE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 13, le 21 août 2022

  • IL N,Y A PAS D,ISLAMISME. IL Y A L,ISLAM. COMME IL N,Y A PAS DE CHRISTIANISME. IL Y A LA CHRETIENTE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    13 h 12, le 21 août 2022

  • L,ISLAMISME C,EST L,AVEUGLEMENT FANATIQUE ET L,OBSCURANTISME PAR EXCELLENCE. - DEVINEZ DANS QUELS LIVRES ET ECRITS IL S,INSPIRE.

    LA LIBRE EXPRESSION

    12 h 59, le 21 août 2022

  • Arrêtez le blabla bla, Allez a la source du MAL et regardez qui est derrière et qui a créé/installe dans l Histoire les "systèmes de terreur" , comme communisme, islamisme,sionisme, etc...etc... pour les utiliser a leur propres fins politiques et économiques $$$ partout. C est ça,Le Mal du Monde, ce Lobby penseur.

    Marie Claude

    09 h 46, le 21 août 2022

  • Mille mercis pour cet excellent article.

    Brunet Odile

    01 h 17, le 21 août 2022

  • Toutes mes félicitations ! L’intellectualisme qui affirme le primat de l'intelligence et de civilisation. Peut-on le faire circuler dans les écoles du Barbue?

    Georges S.

    18 h 52, le 20 août 2022

  • Et dire que les arabes ont sauvé la philosophie grecque et maintenant ils sont au moyen âge surtout l’islam …..

    Eleni Caridopoulou

    18 h 50, le 20 août 2022

  • Excellent article. Merci L’OLJ pour le choix de vos invités. Le contenu nous laisse croire à nouveau à l’intelligence humaine qui nous différencie des bêtes pour nous ramener à la raison loin de la barbarie basée sur des mensonges. L’éducation du peuple est un impératif pour pallier à certains maux de la société pour éviter de tomber dans le piège des autocrates qui pratiquent le bourrage de crânes de leurs partisans avec des idées fallacieuses et destructrices pour mieux les asservir.

    Sissi zayyat

    12 h 12, le 20 août 2022

  • Le drame du voile c'est d'imposer aux autres (en tous cas les plus normaux d'entre eux) une tension, de les mettre devant une contradiction insidieuse qui ne fait de bien à personne. Le voile (ou Hijab ou foulard etc) dit aussi "je suis différente et mes idées ou mes allégeances politiques sont peut-être en contradiction complète avec le fonctionnement coutumier du pays". Quel autre citoyen impose aux autres une telle affirmation implicite permanente dans l'espace public? Ces citoyens normaux dont j'espère faire partie détestent tout particulièrement l'idée d'interdire le voile, infiniment plus que le voile leur déplaît. Le fait que les femmes qui portent le voile puissent ne pas avoir conscience de ce problème c'est peut-être le vrai problème que pose le voile

    M.E

    10 h 31, le 20 août 2022

  • Excellent et passionnant ,,,, L'homme d'aujourd'hui explore les astres pour trouver et continuer la VIE ,,,et les barbus de plus en plus creusent creusent creusent pour nous garder sous terre ,,, A quand la Revolution en Islam ???

    Azar Tony

    10 h 01, le 20 août 2022

  • Un seul mot Madame Edde: Merci ! Quand on vous lit, on a l'impression d'être soudain plus intelligent !

    otayek rene

    09 h 57, le 20 août 2022

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