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Lifestyle - Patrimoine en péril

Pour la Fondation Clooney, le pillage d’antiquités devrait être un crime de guerre

Finançant en partie le terrorisme, les pièces volées au Moyen-Orient et en Afrique du Nord transitent par la Turquie, le Liban, les Émirats arabes unis, l’Europe de l’Est ou la Thaïlande pour être écoulées par des marchands d’art et lors de ventes privées, notamment en ligne.

Pour la Fondation Clooney, le pillage d’antiquités devrait être un crime de guerre

Palmyre, le joyau antique détruit par l’État islamique. Joseph Eid/ AFP

« The Docket », un programme initié par la Fondation Clooney pour la justice, créé par George et Amal Clooney, a rendu public, à Washington, le rapport d’une enquête de deux ans portant sur le trafic des biens culturels pillés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Les deux principaux itinéraires pour les objets provenant d’Irak et de Syrie sont la Turquie et le Liban. Deux circuits actifs jusqu’à ce jour, a affirmé Anya Neistat, la directrice juridique de « The Docket ». L’ampleur inédite du commerce des antiquités exhumées illicitement en Irak, en Syrie, au Yémen et en Libye a montré l’urgente nécessité d’endiguer ce trafic qui alimente « l’industrie du crime » et du « terrorisme international ». Un trafic qui se classe « au troisième rang en termes de volumes, derrière la drogue et les armes », selon le Department of Justice (DOJ) américain.

300 sites analysés

Pendant deux ans, « The Docket » a épluché des informations détaillées portant sur plus de 300 pillages commis au cours de la dernière décennie. Pour ce faire, des experts ont analysé des images satellite des sites dévastés, et des centaines de publications académiques et d’articles de journaux portant sur les aspects du commerce international illicite d’antiquités. De nombreux fichiers vidéo et photos d’objets ont été collectés et examinés par des spécialistes pour identifier leur origine. Les principaux acteurs mis en cause par « The Docket » sont les groupes rebelles, les organisations terroristes (État islamique en Irak et au Levant, l’ex-branche syrienne d’el-Qaïda, Haya’t tahrir ech-Cham, el-Qaïda dans la péninsule Arabique, Ansar ach-charia et d’autres), mais aussi les forces armées gouvernementales et leurs milices. La plupart des actes de vandalisme et de pillage se sont produits dans les musées et entrepôts de stockage, sur les sites archéologiques inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, ainsi que dans les églises, les mosquées et les mausolées.

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Anya Neistat rappelle que l’État islamique (EI), qui a contrôlé de larges pans de territoire en Syrie et en Irak entre 2011 et 2016, avait créé un sous-ministère dédié aux antiquités, qui accordait des licences aux pilleurs et prélevait des taxes sur les ventes de pièces. Une organisation bien huilée. Et visiblement, les revendeurs potentiels n’ont pas grand-chose à craindre. Quand une œuvre est saisie, ils ne sont poursuivis que pour des infractions. Or, le pillage est considéré comme un crime de guerre par les conventions de Genève, le Statut de Rome ayant instauré la Cour pénale internationale et le Conseil de sécurité de l’ONU, selon une avocate de la fondation, Manel Chibane. « Ils doivent être jugés en tant que complices de crimes de guerre ou pourvoyeurs de fonds des groupes terroristes. Seules des poursuites pénales entraînant des condamnations financières significatives et des peines privatives de liberté auront leur effet dissuasif pour casser le cycle du trafic, et stopper les pillages », a affirmé Anya Neistat. La directrice juridique de « The Docket » a d’autre part indiqué que les informations recueillies sur le lien entre les principaux revendeurs opérant en Europe et aux États-Unis ont été communiquées aux procureurs de plusieurs pays européens ainsi qu’aux forces de l’ordre des États-Unis. Dans le cadre de cette enquête, cinq pièces égyptiennes, en possession du Metropolitan Museum de New York, potentiellement issues d’un pillage, ont récemment été saisies par la justice américaine.

Les routes du trafic

La recherche en open source a consisté en la collecte d’informations portant sur les itinéraires et les réseaux de trafic : les actes de pillages, ainsi que les activités et les profils des groupes terroristes et des groupes armés opérant dans les pays sources, à savoir la Syrie, l’Irak, la Libye et le Yémen, les marchands opérant sur la fin de la chaîne d’approvisionnement, les pays de transit et les intermédiaires. Si la Turquie et le Liban sont identifiés par « The Docket » comme les deux principaux itinéraires pour les vestiges provenant d’Irak et de Syrie, les antiquités pillées en Libye passent, elles, principalement en contrebande via l’Égypte et la Tunisie. Celles du Yémen transitent par les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et le Qatar. Le blanchiment des vestiges se produit essentiellement à Dubaï, qui fournit les documents douaniers nécessaires à leur exportation, indique également le rapport, qui précise que d’autres pays, comme la Bulgarie et la Roumanie, la Thaïlande, la Jordanie, le Koweït, Israël et Singapour, apparaissent comme des rouages essentiels du processus. Les ports francs jouent également un rôle important dans ce marché noir devenu massif depuis le printemps arabe. Situés en Europe, ils ont été à plusieurs reprises impliqués dans le stockage des œuvres pillées. Quant aux transactions des antiquités, elles ont lieu par le biais de sites de commerce en ligne. « The Docket » souligne que « des centaines d’articles sont vendus lors d’enchères sur eBay, Vcoins.com et Trocadero.com »

Ruines du temple de Zeus à Cyrène, en Libye, une importante colonie grecque de la région et une merveille architecturale attaquée sans vergogne par les jihadistes de Daech. Photo David Holt/ Creative Commons

Équipe et documentation

Des analystes d’informations en « open source » pour la collecte d’informations sur les itinéraires et les réseaux de trafic, des enquêteurs expérimentés, des juristes internationaux et des archéologues ont donc collaboré au rapport de « The Docket ». Ce projet est soutenu par les équipes pro bono de cabinets d’avocats internationaux, ainsi que par des sociétés internationales spécialisées dans les enquêtes financières et commerciales. Une centaine d’entretiens ont ainsi été menés auprès de potentiels témoins, d’informateurs, d’archéologues forensiques et de spécialistes du patrimoine culturel, ainsi qu’avec des journalistes, des membres des forces de l’ordre, des responsables politiques et des organisations internationales. Ce travail de terrain a conduit « The Docket » dans des régions du Liban, de Turquie et d’Irak.

Des dizaines de milliers d’objets volés

Ces recherches ont permis d’établir que les artéfacts archéologiques pillés en Syrie, en Irak, en Libye et au Yémen ont été envoyés en Europe et aux États-Unis par le biais de réseaux internationaux. En Syrie, des dizaines de milliers d’objets ont été pillés sur des sites archéologiques, et pas moins de 40 635 objets ont été volés des musées, y compris des mosaïques, des sculptures en relief, de la céramique, des pierres, des sculptures en albâtre, des tablettes en céramique et en bronze, des stèles, des bijoux et des pièces de monnaie. En Irak, Daech a massivement pillé la ville de Mossoul dans le nord du pays, y compris ses universités, bibliothèques et musées, ainsi que les sites archéologiques de Ninive et de Nimrod, et des sites religieux associés aux communautés yézidie, chrétienne et musulmane. En Libye, le pillage de biens culturels s’est produit principalement dans les régions de l’est et du nord du pays, y compris dans les sites enregistrés par l’Unesco de Cyrène et les sites religieux associés aux communautés soufies de Tripoli. Au Yémen, les pillages continus ont ciblé les principaux musées et sites archéologiques, notamment, d’après les estimations, 12 000 objets disparus au musée de Dhamar, 16 000 au musée militaire de Sanaa et 120 000 au musée national de la capitale yéménite.

Le rapport publié par la Fondation Clooney intervient peu après la mise en examen en France de Jean-Luc Martinez, l’ancien patron du Louvre, le plus grand musée du monde, pour un trafic présumé d’antiquités provenant du Proche et du Moyen-Orient.

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