Rechercher
Rechercher

Société - Reportage

Au lendemain du vote, Tripoli oscille entre satisfaction et peur de l’avenir

La grande ville du Nord s’est prononcée pour des candidats du changement. Ce qui n’empêche pas ses habitants d’éprouver une inquiétude dans le contexte socio-économique actuel.

Au lendemain du vote, Tripoli oscille entre satisfaction et peur de l’avenir

À Tripoli, certains mettent beaucoup d’espoir dans les candidats du changement pour un développement de leur ville, la plus pauvre du pays. Ibrahim Chalhoub/AFP

À Tripoli, la vie a repris son cours normal, après une journée électorale dimanche dont les résultats en ont surpris plus d’un. La grande ville du Liban-Nord a tenu en échec plus d’un politicien affilié à des forces traditionnelles, notamment Fayçal Karamé, l’allié le plus proche du Hezbollah et du régime syrien dans la ville. Malgré un taux de participation aux élections qui est resté peu élevé, Tripoli a exprimé son rejet de forces traditionnelles qui n’ont pas réussi à la sortir de (ou qui la maintiennent dans) la pauvreté depuis des décennies. Mais elle ne s’en est pas moins réveillée avec la désillusion d’un quotidien toujours aussi rongé par la pauvreté, la folle envolée du dollar, les pénuries et les crises successives.

Suite au scrutin, un candidat de la liste proche de la contestation, Rami Fanj, a accédé au Parlement, la liste de l’ancien ministre et faucon du camp souverainiste Achraf Rifi a décroché trois sièges dont un pour lui, les anciens du courant du Futur (qui n’a pas participé aux élections) ont gagné deux sièges (mais pas leur figure la plus connue, l’ancien député Moustapha Allouche), sans compter deux sièges pour la liste de l’homme d’affaires Ihab Matar en alliance avec la Jamaa islamiya, et deux seulement au camp pro-Hezbollah.

Lire aussi

Législatives libanaises : les suffrages par liste et par candidat

Au souk dit « des parfumeurs », Fady Alam, 39 ans, possède une échoppe de produits alimentaires. « Tripoli n’a jamais manqué son rendez-vous avec le changement, déclare-t-il avec enthousiasme. Elle ne se plie pas aux volontés des gens du pouvoir. » Lui-même a voté pour la liste « Révolte-toi pour la justice et la souveraineté », regroupant des candidats de la contestation, qui a assuré la victoire de Rami Fanj. « Cette classe politique nous a fait vivre le pire, poursuit-il. Nous n’avions rien à perdre, voilà pourquoi nous avons opté pour un vote sanction contre ceux qui sont responsables des pires crimes contre la ville depuis 2005. » Fady Alam et sa famille étaient de fidèles électeurs du courant du Futur avant « de désespérer face aux promesses non tenues ».

Si ce dernier croit dans le changement par les urnes, Najwa Semaan, une enseignante de français de 47 ans, reste sceptique, même après l’annonce des résultats surprenants enregistrés dans la ville. « Rien ne changera même si des députés du changement parviennent à l’hémicycle, insiste-t-elle. L’État profond est aux mains du Hezbollah et du Courant patriotique libre. Ces forces politiques entraveront tout changement pour le compte de puissances étrangères. » L’enseignante désespère aussi de voir sa ville sortir de sa torpeur. « Il faut des milliards de dollars pour extirper Tripoli du marasme économique où elle se trouve, or le Hezbollah veut l’y maintenir afin qu’elle ne retrouve pas une place de choix dans la nation. Voilà pourquoi les élections sont un leurre, selon moi. »

Celui qui peut tenir tête au Hezbollah

Dans la rue de Daftardar, un marchand ambulant de 26 ans, Nizar Sobh, n’hésite pas à affirmer qu’il a voté pour Achraf Rifi. « C’est celui qui peut tenir tête le plus efficacement au Hezbollah au sein du Parlement. Il criera haut et fort notre refus de nous plier aux exigences de l’Iran. » Pour lui, l’ancien directeur des Forces de sécurité intérieure est préférable à l’ancien Premier ministre Saad Hariri, qui a fait bien trop de compromis à son goût avec le parti pro-iranien et le chef du CPL Gebran Bassil, « faisant perdre à la communauté sunnite son poids au niveau national ».

Lire aussi

Accessibilité aux bureaux de vote : quelques (bien trop timides) avancées

L’un des quartiers les plus pauvres de la ville, Bab el-Tebbané, paraît animé, mais les boutiques sont vides. Leurs propriétaires font la conversation aux passants, faute de clients. L’un d’eux, Fayçal Sammak, 37 ans, est satisfait de l’élection de Rami Fanj. « Il travaillera sans nul doute au développement économique de la ville et fera pression, avec ses collègues de la contestation, pour lui restituer ses droits », affirme celui qui tient une boutique de téléphones portables. Le jeune homme souligne que le nouveau député « aime sa ville, vit parmi ses habitants et soigne les plus pauvres gratuitement ». « En revanche, si Fayçal Karamé avait gagné, il aurait rapproché la ville du projet du Hezbollah, sans travailler à son développement », ajoute-t-il.

Loin de cet optimisme affiché par certains, Hani Obeid, un professeur de sciences politiques de 41 ans à l’Université libanaise, ne se fait aucune illusion. Pour lui, les conditions économiques dans la ville vont empirer, parce que celle-ci est traditionnellement une caisse de résonance des conflits politiques nationaux, qui devraient s’exacerber suite à ces résultats surprenants. Il n’exclut pas une explosion sociale si la levée des subventions sur les produits de première nécessité se poursuit. « Les résultats des élections sont encourageants dans la forme, mais n’aboutiront à rien dans le fond, estime-t-il. Les forces politiques perdantes ne se tairont pas. Elles entraveront toute tentative d’améliorer les conditions de vie à Tripoli, malgré les pressions qu’exerceront les habitants sur leurs nouveaux députés afin d’attirer des projets vers la ville, ou de relancer des activités aujourd’hui au point mort, comme une redynamisation du port par exemple. »

Lire aussi

Qui sont les huit femmes élues au Parlement libanais

À Tripoli, la vie a repris son cours normal, après une journée électorale dimanche dont les résultats en ont surpris plus d’un. La grande ville du Liban-Nord a tenu en échec plus d’un politicien affilié à des forces traditionnelles, notamment Fayçal Karamé, l’allié le plus proche du Hezbollah et du régime syrien dans la ville. Malgré un taux de participation aux élections qui...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut