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Moyen-Orient - Éclairage

Erdogan prévoit de renvoyer « volontairement » un million de réfugiés en Syrie

Accentuant un tournant amorcé depuis quelques années déjà, le président turc semble durcir sa politique envers les Syriens présents en Turquie dans la perspective des élections générales prévues l’année prochaine.

Erdogan prévoit de renvoyer « volontairement » un million de réfugiés en Syrie

Le ministre de l’Intérieur turc, Süleyman Soylu, inaugure un complexe résidentiel pour déplacés internes construit avec le soutien de la Turquie, dans les camps de Kammouneh, près de Sarmada, dans la province d’Idleb, le 3 mai 2022. Aaref Watad/AFP.

Les belles paroles ne sont plus d’actualité. « Ils venaient par le passé d’Irak, de Syrie et d’Afghanistan. Aujourd’hui ils viennent d’Ukraine (...) Soyez sûrs que notre pays continuera toujours à être un havre de paix pour les opprimés. » S’exprimant à l’occasion d’une cérémonie de remise de prix sur la bienfaisance internationale tenue à Ankara à la mi-mars, le président turc semblait alors réitérer son refus de renvoyer chez eux les réfugiés syriens de Turquie. Mardi, Recep Tayyip Erdogan a pourtant déclaré préparer le rapatriement « volontaire » d’un million d’entre eux en Syrie. Une décision annoncée dans un message vidéo diffusé devant plusieurs centaines de réfugiés rentrés dans le nord-ouest du pays, alors qu’ils récupéraient les clés de maisonnettes construites pour faciliter leur retour. À l’approche des élections générales prévues pour juin 2023, le chef de l’État cherche à regagner en popularité, notamment face à la montée d’un sentiment antisyrien dans le pays, étroitement lié à la crise économique que traverse la Turquie.

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Face à une inflation annuelle censée avoir atteint 68 % en avril, combinée à la dépréciation de la monnaie nationale qui s’échange désormais à près de 15 livres pour un dollar – son pire taux depuis décembre dernier –, de nombreux Turcs attribuent les effets de la crise économique à la présence de réfugiés sur leur sol. Avec environ quatre millions de réfugiés, dont plus de 92 % de Syriens, le pays compte le plus grand nombre de réfugiés et de demandeurs d’asile au monde, qui bénéficient pour certains d’aides sociales et financières. « Leur nombre croissant était relativement toléré par la société, mais les tendances économiques négatives, en particulier, ont déclenché un discours anti-immigration », souligne Didem İşçi Kuru, assistante de recherche à l’Université des sciences sociales d’Ankara (ASBÜ). Une campagne de dénigrement avait ainsi inondé les réseaux sociaux en novembre dernier suite à une altercation filmée entre un citoyen turc et une étudiante syrienne accusée de pouvoir acheter des bananes au kilo, tandis que la denrée était devenue trop chère pour les Turcs eux-mêmes.

Fin de la solidarité sunnite

Dans cette même lignée, le président turc semble vouloir laisser derrière lui le discours de la solidarité sunnite envers les « frères » syriens, accentuant un tournant entamé progressivement depuis la perte des municipalités d’Istanbul et d’Ankara au profit de l’opposition en 2019. « À partir de là, nous avons commencé à entendre un nouveau discours de l’AKP (le parti au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, NDLR), qui voulait renvoyer les Syriens chez eux, tout en voulant au préalable leur assurer un retour dans les zones libérées, c’est-à-dire en dehors de celles contrôlées par le régime ou les milices kurdes », se souvient Farid*, réfugié syrien arrivé en Turquie en 2016. En annonçant son plan mardi dernier, le président a bien mentionné le caractère volontaire du retour pour les réfugiés, qui se ferait dans les zones du Nord-Ouest syrien, sous contrôle partiel de la Turquie.

Néanmoins, c’est dans le chiffre d’un million que le reïs turc a trouvé une manière de couper l’herbe sous le pied des mouvements concurrents à l’AKP. Sont visés notamment le principal parti d’opposition CHP à tendance sociale-démocrate et son chef Kemal Kilicdaroglu, ainsi que la formation nationaliste et laïque İyi Parti, qui utilisent un discours populiste et discriminatoire, mais également le nouveau parti nationaliste et anti-immigration Zafer (Victoire). Bien qu’elle ne soit pas encore représentée au Parlement, cette formation dispose d’une « forte influence pour orienter le débat sur les réseaux sociaux et diffuser des messages provocateurs sur les migrants », indique Didem İşçi Kuru. Le fondateur et chef du parti, Ümit Özdağ, qui a promis de renvoyer des millions de réfugiés s’il arrivait au pouvoir, a ainsi dénoncé les plans du gouvernement comme une « tactique pour contenir le sentiment anti-immigration à l’approche des élections », selon des propos rapportés par Bloomberg.

Plan à long-terme

Pourtant, le président turc a déjà prouvé à plusieurs reprises qu’il avait tourné la page d’une politique d’accueil à bras ouverts des réfugiés. Saisissant le prétexte de manquements à la réglementation, des déportations forcées de réfugiés syriens avaient été signalées en début d’année vers le nord de la Syrie. Plus d’une centaine aurait signé un formulaire de rapatriement volontaire contre leur gré. Le gouvernement a en outre imposé en février dernier une limite de 25 % d’étrangers par quartier, bloquant par conséquent les demandes de résidence dans les provinces du pays hébergeant de nombreux réfugiés, y compris Istanbul et Ankara. Dans une décision inédite, le ministre turc de l’Intérieur a plus récemment annulé les autorisations de visite en Syrie pour la fête du Fitr, limitant désormais les permissions de voyage aux funérailles ou aux retours définitifs.

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Selon le président Erdogan, environ 500 000 Syriens sont retournés depuis 2016 dans les « zones de sécurité » établies par Ankara de l’autre côté de sa frontière. Si Hay’at Tahrir al-Cham, ancienne branche d’el-Qaëda en Syrie, contrôle la majorité de la province d’Idleb, la Turquie soutient dans le nord-ouest du pays certains groupes islamistes. Le projet concernant le retour d’un million de réfugiés devrait comporter notamment la construction dans ces zones de complexes résidentiels, d’écoles et d’hôpitaux, en coordination avec les conseils locaux de 13 régions du nord de la Syrie, principalement à Azaz, Jerablus, al-Bab, Tal Abyad et Ras al-Aïn. Même si l’installation est prévue dans des zones qui ne sont pas sous le contrôle du régime, « la plupart des Syriens ne sont pas intéressés et ne souhaitent pas rentrer dans leur pays. Ils craignent tout d’abord que la Russie et les milices de Bachar el-Assad tentent d’attaquer ces zones dans le Nord. Et puis il n’y a pas d’opportunités de travail en Syrie. Comment feraient-ils pour nourrir leur famille ? » interroge Farid.

* Le prénom a été modifié.

Les belles paroles ne sont plus d’actualité. « Ils venaient par le passé d’Irak, de Syrie et d’Afghanistan. Aujourd’hui ils viennent d’Ukraine (...) Soyez sûrs que notre pays continuera toujours à être un havre de paix pour les opprimés. » S’exprimant à l’occasion d’une cérémonie de remise de prix sur la bienfaisance internationale tenue à Ankara à la...

commentaires (2)

IL FERAIT MIEUX... ERDO... DE SE RETIRER DU SOL SYRIEN AVANT DE RENVOYER LES REFUGIES CHEZ EUX.

LA LIBRE EXPRESSION

10 h 28, le 05 mai 2022

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Commentaires (2)

  • IL FERAIT MIEUX... ERDO... DE SE RETIRER DU SOL SYRIEN AVANT DE RENVOYER LES REFUGIES CHEZ EUX.

    LA LIBRE EXPRESSION

    10 h 28, le 05 mai 2022

  • Le seul moyen de renvoyer des réfugiés chez eux "volontairement", c’est de faire en sorte que les conditions d’accueil soient encore plus dure que les conditions qu’ils ont fuit…

    Gros Gnon

    08 h 22, le 05 mai 2022

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