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Politique - Eclairage

Le business électoral à la libanaise

Si les affiches constituent la partie visible de l’iceberg, elles ne représentent qu’une portion infime de l’argent électoral déversé à flot à chaque scrutin.

Le business électoral à la libanaise

Le candidat Michel Murr sur la liste "Ensemble nous sommes plus forts", soutenue par le parti Tachnag. Photo Jeanine Jalkh

À chaque échéance électorale, des millions de dollars sont dépensés en communication, services clientélistes ou achat de voix, autant de pratiques qui foulent au pied la loi en vigueur.Dans la circonscription du Metn, la dynastie des Murr veut perpétuer la tradition. Du haut de Bteghrine en descendant vers le littoral jusqu’à Amaret Chalhoub, où se trouve le QG de la famille, les routes sont tapissées de portraits géants de Michel Murr junior, le petit-fils de l’ancien député décédé en février 2021. Son grand-père était l’incarnation du clientélisme à la libanaise, résistant aux partis politiques et au changement de la loi électorale, en s’appuyant sur de nombreux relais lui ayant permis de tisser une toile solide au fil des ans. Comme à chaque élection, la famille Murr étale au grand jour ses moyens. Si elle en met une couche de trop, elle n’est toutefois pas la seule à faire de l’exubérance en ces temps d’austérité.

De façon à peine plus timide, les affiches mettant en scène des candidats Kataëb ou Forces libanaises (FL), ou encore ceux de la liste « Beyrouth confronte », soutenue par l’ancien chef de gouvernement Fouad Siniora ou celle de Fouad Makhzoumi, grouillent tout autant dans les circonscriptions où se présentent leurs candidats respectifs. « Il n’y a qu’à compter le nombre de panneaux pour deviner qui a le plus d’argent dans le pays », commente un expert électoral.

Si les affiches constituent la partie visible de l’iceberg, elle ne représente qu’une portion infime de l’argent électoral déversé à flots à chaque scrutin. Entre le coût des bureaux administratifs, des délégués recrutés le jour du vote, les apparitions télévisées des candidats, mais aussi l’achat des voix, les bailleurs de fonds dépensent plusieurs millions de dollars qui font tourner l’un des business les plus lucratifs du pays, profitant à toute une chaîne d’acteurs. Les partis politiques en profitent pour renflouer leurs caisses grâce aux apports extérieurs, les médias font payer au prix fort chaque apparition publique et une partie des électeurs y trouve son compte par le biais du clientélisme ou même de l’achat direct de voix.

Mais comment font-ils cette année pour financer une échéance aussi coûteuse à l’ombre d’une crise économique et financière aussi grave et des multiples dysfonctionnements du secteur bancaire ? Les restrictions imposées par les banques qui ne versent de l’argent en espèces qu’au compte-gouttes, le refus de nombreux fournisseurs de services d’être payés autrement qu’en dollars, sont autant d’obstacles qui rendent le financement de la campagne truffé d’incertitudes et son contrôle prévu par la loi complexe.

Le candidat Fayçal Sayegh, sur la liste "Beyrouth confronte" (soutenue par Fouad Siniora et le PSP) . Photo João Sousa

La législation est cependant claire et le plafond des dépenses déterminé par le code électoral. Le texte prévoit un plafond fixe de 750 millions de LL (27 700 dollars, au taux du marché parallèle le 24 avril 2022) pour chaque candidat, en plus d’un plafond dit variable de 50 000 LL par électeur inscrit.

Mais comment contrôler ce que le candidat a réellement dépensé ? La loi électorale de 2017 a prévu un contrôle des dépenses électorales par le biais d’un compte bancaire que chaque candidat est contraint d’ouvrir et à partir duquel il est censé effectuer toutes les transactions concernant ses dépenses électorales. Une hérésie puisque, dans la pratique, il est difficile de vérifier s’il a eu recours à ce seul compte et non à d’autres. En présence du secret bancaire, tout contrôle des transactions effectuées est quasiment impossible. Une faille que la loi a vraisemblablement (certains diront sciemment) occultée.

L’absence d’une loi globale sur le financement des partis au Liban ajoute encore plus d’opacité, aucune transparence n’étant possible sur la provenance des rentrées des formations politiques, encore moins sur les services de type clientélistes rendus en amont du scrutin.

Et les exceptions sont légion. La loi électorale a ainsi prévu une entourloupe pour le Hezbollah, dont les transactions financières se font en dehors du circuit bancaire traditionnel, ainsi que pour les candidats frappés de sanctions et qui ne peuvent ouvrir des comptes en banque. Ces derniers peuvent bénéficier d’un compte spécial fourni par le ministère des Finances et à partir duquel ils peuvent dépenser conformément aux règles en vigueur et rendre compte de leurs dépenses. « En 2018, plusieurs de ces comptes ont été ouverts sans qu’aucune transaction ne soit effectuée », confie un expert électoral.

Pour leur défense, les candidats font valoir cette année un autre argument : celui de la difficulté qu’ont les banques à assurer l’argent en liquide nécessaire pour les multiples dépenses occasionnées. On ne ménage même plus la forme et plus personne n’a honte de dire publiquement qu’il aura recours à l’argent liquide pour financer sa campagne. Le Hezbollah ne s’en cache pas d’ailleurs.

« Le Hezbollah a des moyens personnels et n’a pas besoin de passer par les banques. Il a suffisamment de cash qu’il retire de son budget annuel et le consacrera aux élections », commente Fayçal Abdel Sater, un analyste proche des milieux de la formation pro-iranienne. Le parti chiite a souvent reconnu publiquement qu’il reçoit de manière régulière de l’argent d’Iran.

Parachutage des hommes d’affaires

Disposant par ailleurs d’une chaîne de télévision, al-Manar, d’une station de radio, al-Nour, ainsi que de plusieurs sites médiatiques affiliés ou proches, le Hezbollah n’a pas à débourser pour sa communication de campagne.

Ce schéma ne diffère pas trop du côté du mouvement Amal qui, lui aussi, a ses relais médiatiques. Le président du Parlement Nabih Berry table en plus sur les fonds que lui apportent des hommes d’affaires qu’il a inclus sur ses listes et qui participent généreusement au financement de sa campagne.

Selon un candidat du mouvement de contestation qui se présente à Liban-Sud III, Nabih Berry va notamment compter sur la fortune d’un Nasser Jaber, qui remplace cette année Yassine Jaber, en tant que bailleur de fonds pour couvrir les dépenses de la campagne. Le choix de Marwan Kheireddine (Sud III, Hasbaya), un banquier qui remplace un autre homme d’affaires, Anouar Khalil, est tout aussi intéressé.

Le candidat Ghassan Hasbani sur la liste "Nous sommes pour Beyrouth", soutenue par les Forces libanaises. Photo João Sousa

La possibilité pour un homme d’affaires d’acheter sa place sur la liste n’est pas propre au mouvement Amal. En 2018, le Courant patriotique libre avait invité sur ses listes des candidats « qui ont pratiquement acheté leur siège », commente un analyste électoral sous couvert d’anonymat.

Il faisait allusion à des figures de proue telles que Élias Bou Saab, Amal Abou Zeid, Neemat Frem et Michel Daher. Alors que les deux premiers se présentent à nouveau sur des listes CPL, Neemat Frem et Michel Daher, qui ont tous deux quitté les rangs du groupe aouniste, font cavalier seul en tant qu’indépendants cette année. « Le CPL compte sur des personnalités fortunées qui sont partenaires du courant, mais non partisans », confie l’analyste. Un moyen selon lui de contourner les sanctions imposées au chef du parti, Gebran Bassil.

Officiellement, le CPL affirme à qui veut l’entendre que cette année sa campagne est modeste et que ses dépenses sont réduites au minimum. « Nous comptons principalement sur le budget annuel généralement fixé après le dîner du 14 mars et au cours duquel des donations généreuses sont faites », explique Rindala Jabbour, l’ex-responsable de la commission d’information au sein du Courant patriotique libre. « Une grande partie de ces dons servira cette année à financer les élections en plus de l’argent qui nous parvient du Canada, d’Australie et des pays du Golfe de la part de mécènes qui, eux, n’ont pas eu peur des sanctions américaines », dit-elle.

« À la tête du client »

« Cette année, l’argent va couler à flots. Cela va créer un grand problème au niveau de la transparence, car personne ne pourra plus en contrôler le flux et le plafond des dépenses sera certainement dépassé », affirme Zeina Hélou, experte électorale et présidente de la campagne du parti Lana issu du mouvement de la contestation.

Pour un panneau d’affichage moyen, il faut compter entre 1 000 et 4 000 dollars par mois. Une somme non négligeable, puisque ces panneaux sont distribués aux quatre coins du pays, et ce durant plusieurs mois.

Mais c’est probablement du côté des télévisions que les grosses dépenses sont constatées et où l’opacité s’accroît tant les enjeux financiers sont importants. Officiellement, les chaînes de télévision sont censées soumettre la liste des prix qu’elles comptent pratiquer à la commission de supervision des élections qui contrôle les dépenses effectuées par les candidats et vérifie que la loi est bien respectée de part et d’autre.

Un convoi de partisans du Courant patriotique libre dirigé par Gebran Bassil. Photo Jeanine Jalkh

En principe, c’est uniquement la « publicité » électorale que les télévisions doivent faire payer aux candidats, mais non une information concernant sa candidature ou son programme électoral, comme par exemple un passage au journal télévisé ou dans le cadre d’un programme politique. Ce droit lui est acquis d’emblée de manière à assurer une égalité des chances parmi les candidats. Dans la pratique, cette distinction entre deux types de communication n’a jamais été respectée. En 2018, les télévisions privées ont profité au maximum de cette nouvelle manne en pratiquant des prix faramineux.

« En aucun cas, l’information électorale ne peut être payée. Réserver des interventions payantes dans le cadre de programmes politiques en amont, comme le font la majorité des télévisions, est tout à fait illégal », souligne Zeina Hélou. Une pratique que l’Association libanaise pour la démocratie des élections (LADE) a dénoncé à maintes reprises. La majorité des médias ne l’entend pas de cette oreille et attend impatiemment la saison électorale pour renflouer ses caisses, même si cela passe par une violation de la loi.

Ce n’est qu’à la mi-mars, c’est-à-dire bien tardivement, que la commission a reçu la liste « officielle » des prix imposés par les différents médias. « Cette liste a été envoyée pour la forme afin de montrer que les chaînes respectent la procédure. Elle ne reflète pas les prix réels pratiqués sous la table », confie un expert électoral ayant requis l’anonymat.

De sources concordantes, on apprenait que les télévisions pratiquent des « package-deal », comprenant plusieurs apparitions dans différents programmes que l’on propose aux partis, à des listes ou à des individus. « Un candidat m’a confié qu’on lui a demandé 150 000 dollars pour qu’il puisse passer dans un programme très populaire », confie une source proche de la commission sous couvert d’anonymat. « C’est un peu à la tête du client », commente une source issue des milieux médiatiques.

Cette valse des prix ne pourra que difficilement être comptabilisée auprès de la commission, aucune trace de ces paiements n’étant visible. « On ne pourra vérifier que les prix officiels qui nous ont été soumis. On ne saura jamais combien chaque candidat a réellement payé au final, si cela a été fait sous la table », affirme le membre de la commission de supervision électorale.

Dans une vidéo qui a largement circulé sur les réseaux sociaux, Ziad Abi Chaker, un ingénieur écologique et industriel, candidat à Beyrouth I sur la liste du mouvement de contestation intitulée Tahalof watani, dénonce le phénomène de l’argent électoral. Il raconte comment une responsable d’une des grandes chaînes de télévision l’a sollicité pour passer trois ou quatre minutes sur un « chat-show » en contrepartie de 25 000 dollars. « C’est le prix que l’on pratique en ce moment. Plus on se rapproche de la date du scrutin, plus le prix augmente », lui avait dit un responsable de la chaîne.

Entre 100 et 1 000 dollars la voix

Outre la publicité et l’information électorales, les candidats et partis doivent aussi prévoir des dépenses de fonctionnement notamment le jour du scrutin, comme la présence de délégués, les frais des bureaux électoraux, mais aussi les déplacements.

Face à la flambée du prix de l’essence, les partis prévoient d’ores et déjà un système pour assurer le transport des électeurs, un service devenu presque banal. « Le Hezbollah est en pleine discussion pour savoir s’il va fournir des coupons pour l’essence ou verser les sommes en argent liquide pour le transport », confie Fayçal Abdel Sater.

Ce n’est probablement pas le paiement du transport le jour du vote qui inquiète le plus les observateurs – même s’il s’agit d’une pratique illégale –, mais bel et bien le clientélisme qui se pratique d’ores et déjà à grande échelle de la part de la majorité des candidats. Cela passe par des services aussi aberrants qu’une journée de soins de beauté à prix réduit pour les femmes ou une soirée ping-pong arrosée de bière avec les fans. Il y a aussi des aides plus « sérieuses », comme la distribution de coupons d’achat alimentaire dans les régions du Hezbollah. Également au menu, le paiement de la facture du générateur, des médicaments ou d’une note d’hôpital. « Les aides en nature sont équivalentes à l’achat de voix et aux pots-de-vin », souligne le directeur exécutif de la LADE, Ali Slim.

En matière d’achat de voix, la bourse commence d’ores et déjà à fluctuer selon l’importance des circonscriptions et des voix sollicitées. On parle de sommes qui varient entre 100 et 1 000 dollars, un tarif qui pourrait progressivement augmenter d’ici au jour J.

À chaque échéance électorale, des millions de dollars sont dépensés en communication, services clientélistes ou achat de voix, autant de pratiques qui foulent au pied la loi en vigueur.Dans la circonscription du Metn, la dynastie des Murr veut perpétuer la tradition. Du haut de Bteghrine en descendant vers le littoral jusqu’à Amaret Chalhoub, où se trouve le QG de la famille, les...

commentaires (11)

Les sourires niais des candidats et l'alignement des dents ont de quoi faire pâlir d'envie les modèles de Colgate.

Gemayel GABRIEL

08 h 54, le 28 avril 2022

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Commentaires (11)

  • Les sourires niais des candidats et l'alignement des dents ont de quoi faire pâlir d'envie les modèles de Colgate.

    Gemayel GABRIEL

    08 h 54, le 28 avril 2022

  • Michel Elias Murr ressemble plus à son grand-père Émile Lahoud plus qu'à celui dont il porte le nom.

    Esber

    19 h 48, le 27 avril 2022

  • Si j’avais l’âge pour voter, je ne voterais pour aucun candidat. Dans le futur, ils feront sûrement des,corrupteurs et des crapules. Ce serait en parti ma faute.

    Sami Farhat

    08 h 24, le 26 avril 2022

  • MÊME PRÉCISION :LES INDÉCENTS : SUITE A LA FOLIE DE LA RÉVOLUTION STUPIDE DE 2019, NOS EX-DÉPUTÉS DÉMISSIONNAIRES, NOS DESCENDANTS FILS ET PETITS FILS DES APPELÉS KOULONS, TOUS CES CRAPULES ONT L’INDÉCENCE DE SE PRÉSENTER OU RE- REPRÉSENTER AUX ÉLECTIONS PROCHAINES : VIVE LES AMBASSADES, VIVE LES IFTARS. ET POURTANT JUSTE DERRIÈRE LE COIN LE $ QUI VA DÉPASSER LES 30 000 LL, DES MIGRANTS (ÉGAL OU ILLÉGAL no problem) SE NOIENT, LA PAGAILLE DANS LA VILLE APPELÉE LA FIANCÉE DE LA RÉVOLUTION …..POURTANT ALLEZ VOTER : LA VOIX A 150 – 200 $ ……EH OUI ,TOUT VA TRÈS BIEN MADAME LA MARQUISE.

    aliosha

    13 h 28, le 25 avril 2022

  • Ce qui reste à faire c’est que les libanais empochent l’argent des candidats qui aspirent être élus de cette façon et d’aller glisser un bulletin contre eux. Dans l’isoloir personne ne peut commander une conscience. Ce sera l’arroseur, arrosé. Une revanche de tous les libanais sur leurs voleurs attitrés qui ont assisté à leur agonie sans bouger une oreille prétextant le manque de moyens, moyens qu’ils affichent maintenant pour acheter leurs voix sans vergogne. Puisqu’ils les prennent pour des cruches, il serait temps que les citoyens leur montrent le contraire. Alors mes consignes, prenez leur argent et votez contre eux. Ce ne serait que justice. Puisqu’il n’y a aucun moyen d’échapper à cette règle tordue d’acheter leur titre pour vous le faire payer au quintuple une fois élus. Allez braves gens montrez vous plus malins que ces guignols.

    Sissi zayyat

    11 h 42, le 25 avril 2022

  • tel peuple merite tel candidats.

    barada youssef

    11 h 28, le 25 avril 2022

  • Si le libanais a, ne serait qu'une once de lucidité, de mémoire et d'amour propre, il ne voterait qu'aux candidats qui n'ont pas bombardé par leur saleté, les murs et les poteaux de notre pays. Il ne faut pas se leurrer, s'ils dépensent autant pour être élu ce n'est pas par amour de sauver le pays.

    Citoyen

    11 h 00, le 25 avril 2022

  • avouez une chose chers lecteurs : compassion certaine pour ces "chers" candidats qui ne savent pas comment subvenir a leurs besoins électoraux, ni la facon de le faire , pr ex la nature de leur participation a l'economie de leurs sympathisants.

    Gaby SIOUFI

    09 h 56, le 25 avril 2022

  • Ca devient comme les équipes de foot européens. Plus il y a de l'argent pour acheter les meilleurs joueurs plus les autres équipes à moyens modestes disparaissent. Et au Liban ce n'est pas pour le spectacle, c'est un commerce mafieux, nauséabond et pathétique tellement on est impuissant face à ce spectacle moyenâgeux et triste.

    Citoyen

    09 h 52, le 25 avril 2022

  • De quoi être vraiment dégouté de ce pays dirigé par des mafias de crapules sans foi ni loi, qui se font un point d'honneur de ne pas en avoir. TFEH (*) (*) Sticker du slogan à succès d'il ya une dizaine d'années qu'il serait plus qu'opportun de réactiver et de distribuer à profusion au Liban et à l'extérieur et, bien entendu, flanqué du drapeau du cèdre ...

    Remy Martin

    08 h 56, le 25 avril 2022

  • I urge my fellow Lebanese not to vote for any candidate whose photo decorates the billboards on the streets. Candidates who can afford thousands to hundreds of thousands of dollars to pay for billboards should rather anonymously donate that money to charities helping ordinary Lebanese overcome hardship during this severe economic crisis.

    Mireille Kang

    02 h 18, le 25 avril 2022

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