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Politique - Circonscriptions

Au Liban-Sud III, le tandem chiite aura du mal à rafler toute la mise

Unifiée au forceps, la liste de la contestation risque d’être sanctionnée par les FL du fait de son « ambivalence » par rapport aux armes du Hezbollah. Décryptage.

Au Liban-Sud III, le tandem chiite aura du mal à rafler toute la mise

Des partisans du tandem chiite Amal-Hezbollah brandissant des portraits de Hassan Nasrallah lors d’une manifestation contre les États-Unis dans la banlieue sud de Beyrouth, le 28 juin 2020. Anwar Amro/AFP

C’est la circonscription qui incarne probablement le mieux les deux principaux enjeux des prochaines législatives, à savoir le renouvellement des élites et la contestation face à l’emprise qu’exercent le Hezbollah et le mouvement Amal sur le paysage politique. Au Liban-Sud III, qui regroupe les cazas de Nabatiyé, Bint Jbeil et Marjeyoun-Hasbaya, l’affrontement entre forces nouvelles et forces de l’establishment politique, qui se résument dans cette circonscription au tandem chiite, sera frontal du fait de la dualité des listes en présence.

Réussissant un coup de maître, les forces issues du mouvement du 17 octobre sont – une fois n’est pas coutume – parvenues dans cette circonscription à unifier leurs rangs pour se présenter, dans toute leur diversité, dans le cadre d’une même liste. Une alliance qui n’a pas été sans prix toutefois, puisque au sein de cette liste, les positions par rapport à la question de la « résistance » et des armes du Hezbollah – un sujet extrêmement sensible dans cette région limitrophe d’Israël – n’ont pas pu être conciliées. Ainsi, pour les 497 621 électeurs appelés à élire les 11 députés de la circonscription (huit chiites, un sunnite, un grec-orthodoxe et un druze), le choix offert n’est plus systématiquement entre la résistance chiite armée ou un État souverain détenant le monopole des armes, mais plutôt pour ou contre l’ordre ancien et les forces traditionnelles. La liste de la contestation fera face à celle parrainée par le tandem chiite dont le règne n’est pas aussi absolu qu’ailleurs, en raison de la présence d’un important îlot sunnito-druzo-chrétien dans la région de Marjeyoun-Hasbaya.

Les forces en présence

La liste concoctée par Amal et le Hezbollah est, le moins qu’on puisse dire, solide. Présidée par le député sortant et chef du groupe parlementaire du Hezbollah Mohammad Raad, elle comprend sept autres députés sortants, des personnalités bien connues dans leurs cazas respectifs et plusieurs fois élues. Fait marquant : la liste a réussi à intégrer deux magnats des finances, capables d’injecter les fonds nécessaires. Il s’agit d’abord de Nasser Jaber, que le président du Parlement Nabih Berry a substitué à Yassine Jaber (qui était en 2018 le bailleur de fonds de la liste), puis de l’ancien ministre Marwan Kheireddine, un banquier druze et patron de la banque al-Mawarid. Traditionnellement, cette région est plutôt comptée sur les Yazbakites de Talal Arslane, dont M. Kheireddine est d’ailleurs le beau-frère.

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Face à la liste du tandem chiite, se trouve une coalition des principaux mouvements du 17 octobre. Née au forceps, cette liste complète comprend une palette de tendances et de partis qui ne sont pas toujours d’accord sur l’ensemble des dossiers. « Le but était de parvenir à une liste qui rassemble toutes les couleurs de la contestation. Il a fallu consentir beaucoup de concessions pour y parvenir », confie une source qui a suivi de près la formation de cette liste. Celle-ci regroupe aussi le Parti communiste libanais qui conserve une assise non négligeable dans nombre de localités chiites de la région.

Entre 2018 et 2020

Lors du dernier scrutin, la dispersion des candidats de l’opposition sur quatre listes différentes a rendu la tâche encore plus facile au tandem chiite, qui avait remporté une victoire aisée avec 193 224 voix pour un coefficient électoral de 20 526. Le vote chiite en faveur du tandem était massif et a contribué à l’élection de l’ensemble de la liste, à l’opposé d’un vote chrétien, sunnite et druze timide, qui a profité à la liste soutenue par le Courant patriotique libre, le Futur et le Parti démocratique libanais. Tête de liste, Mohammad Raad (Hezbollah) avait recueilli 43 797 voix, Hassan Fadlallah (Hezbollah) 39 722 voix, Ali Fayad (Hezbollah) 27 000 voix, Hani Kobeissi (Amal) 20 000 voix et Ali Hassan Khalil (Amal) 16 000 voix. En optant cette fois-ci pour l’union, la contestation a donc voulu mettre toutes les chances de voir échapper le coefficient électoral au rouleau compresseur du tandem Amal-Hezbollah.

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Les principaux enjeux

– Amal, le mal-aimé : « La partie risque d’être serrée, d’autant que les électeurs du Hezbollah n’ont franchement pas envie de voter pour Amal cette fois-ci », commente un analyste de la région qui a requis l’anonymat. À Marjeyoun-Hasbaya où il se présente, « Ali Hassan Khalil est de moins en moins apprécié », témoigne un habitant des lieux. Depuis que plusieurs membres du mouvement Amal sont pointés du doigt dans l’affaire de l’explosion du port de Beyrouth – dont Ali Hassan Khalil, protégé de Nabih Berry, qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt dans le cadre de cette enquête –, sans parler des accusations de corruption, cette formation aura beaucoup de mal à marquer les mêmes scores qu’en 2018, pronostique un expert qui a requis l’anonymat.

D’où la présence de deux argentiers – Nasser Jaber et Marwan Kheireddine –, d’autant plus incontournables qu’« il va falloir débourser beaucoup d’argent cette année pour sauver la face du mouvement », confie anonymement un habitant de Nabatiyé. « Le Hezbollah va être confronté à deux sérieux problèmes : beaucoup de gens ont perdu leur argent dans les banques. Comment les convaincre de voter pour une liste où trône Marwan Kheireddine comme si de rien n’était ? » s’interroge Mohanad Hajj Ali, chercheur au Carnegie Middle East Center. L’autre problème, dit-il, est que le Hezbollah, qui dispose d’un surplus de voix notoire dans cette circonscription, « aura du mal à transférer des votes préférentiels à Amal, plus particulièrement à Ali Hassan Khalil ».

Une contestation dans l’ambivalence : l’union contre vents et marées des groupes de la contestation a abouti à un discours qui prête à équivoque. En cherchant à ménager le chou et la chèvre, les candidats de la liste – dont deux sont pro-« résistance » – ont adopté un langage contradictoire au sujet de la « résistance » et des armes du Hezbollah. Dans leur discours, ils ont en même temps préconisé le droit de l’État à défendre le pays conformément à une stratégie de défense et le droit du peuple libanais à résister à Israël par tous les moyens. Une ambivalence qui risque donc de faire perdre à la contestation des voix, notamment chrétiennes.

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– Le retrait des FL : il est question aussi de savoir à qui profiteront les quelque 4 000 voix des Forces libanaises. La formation chrétienne a essayé de mener des pourparlers avec la liste de la contestation pour accorder ses voix au candidat grec-orthodoxe Élias Jradé. Cette tentative a fini par échouer après que deux membres de la liste ont catégoriquement refusé d’accepter le soutien des FL.

Bien qu’elle remonte aux temps de la guerre civile, l’animosité entre les FL et certaines mouvances de gauche a connu un nouveau regain le jour de la commémoration de la double explosion meurtrière du port, l’an dernier. Ce jour-là, des échauffourées avaient éclaté à Gemmayzé entre des partisans communistes et d’autres du parti de Samir Geagea, faisant plusieurs blessés. Samedi, le leader des FL a fini par annoncer que son parti ne participera pas à la bataille électorale au Liban-Sud III, « le projet de la majorité des candidats et des listes formées étant proche de celui du Hezbollah ». Les FL s’abstiendront donc de présenter des candidats et de voter. « Nous ne voulons pas soutenir une liste qui a honte de nous et de nos principes », confie un cadre du parti.

« Qualifier la liste de proche du Hezbollah, c’est un peu fort », commente une figure proche de la contestation. Si un ou deux candidats, adoptent un discours très fidèle à la résistance, ce n’est pas le cas pour les autres, dont certains sont connus pour leur opposition à l’emprise du Hezbollah. C’est notamment le cas de Ali Mrad ou de Wissam Ghandour, dont les pères respectifs, des acteurs politiques dans la région, étaient de farouches opposants à la ligne du parti de Dieu. La contestation ne pourra pas non plus profiter des voix des 5 000 aounistes de la circonscription, qui, en l’absence d’un candidat du CPL, ne semblent pas enthousiastes à prendre part au scrutin.

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La liste pourra cependant compenser l’abstentionnisme chrétien par le vote de la diaspora, surtout que certains de ses membres disposent de relations étroites avec des Libanais vivant au Sénégal, au Nigeria, en France, aux États-Unis et en Grande-Bretagne et misent sur un vote massif cette année. La contestation pourra également tabler sur les voix sunnites de Chebaa et de la famille Khatib qui avait octroyé en 2018 plus de 8 500 voix à Imad el-Khatib, un de ses membres qui avait mené bataille en 2018 sur une des listes d’opposition. Les experts électoraux prévoient un coefficient électoral pour la liste de la contestation (le candidat grec-orthodoxe), « voire même, et avec beaucoup de chances, un second coefficient, sunnite », et assurent qu’il serait simpliste de proclamer d’ores et déjà une victoire aussi écrasante qu’en 2018 pour le tandem chiite.

Fiche technique

Trois cazas : Bint Jbeil, Nabatiyé, Marjeyoun-Hasbaya.

Onze sièges à pourvoir : 8 chiites, 1 grec-orthodoxe, 1 sunnite, 1 druze.

Nombre d’électeurs inscrits : 497 621.

Nombre d’électeurs inscrits de la diaspora : 21 911 (4,4 % des électeurs ). Répartition confessionnelle des électeurs : chiites 79 %, sunnites 7 %, maronites 5 %, druzes 4 %, grecs-orthodoxes 2 %, grecs-catholiques 2 %, autres 1 %.

Les listes en présence

1- Espoir et loyauté : Amal-Hezbollah et leurs alliés

Achraf Beydoun (chiite, Amal); Ali Fayad (chiite, Hezbollah) ; Ali Hassan Khalil (chiite, Amal); Assaad Hardane (grec-orthodoxe, Parti syrien national social); Ayoub Hmayed (chiite, Amal) ; Hani Kobeissy (chiite, Amal) ; Hassan Fadlallah (chiite, Hezbollah) ; Kassem Hachem (sunnite lié au 8 Mars) ; Marwan Kheireddine (druze) ; Mohammad Raad (chiite, Hezbollah) ; Nasser Jaber (chiite, Amal).

2- Ensemble vers le changement : groupes de la contestation et Parti communiste

Ali Mrad (chiite) ; Ali Wehbé (chiite), Élias Jradé (grec-orthodoxe); Firas Hamdane (druze) ; Hassan Bazzi (chiite) ; Ibrahim Mahmoud Abdallah (chiite ) ; Khalil Dib (chiite, PCL) ; Mohammad Qaadane (sunnite) ; Nizar Rammal (chiite); Wafic Rihane (chiite) ; Wassim Ghandour (chiite).

3- La voix du Sud : liste incomplète formée de figures indépendantes

Abbas Charafeddine (chiite) ; Hussein el-Chaër (chiite) ; Karim Hamdane (druze) ; Mahmoud Cheaïb (chiite).

C’est la circonscription qui incarne probablement le mieux les deux principaux enjeux des prochaines législatives, à savoir le renouvellement des élites et la contestation face à l’emprise qu’exercent le Hezbollah et le mouvement Amal sur le paysage politique. Au Liban-Sud III, qui regroupe les cazas de Nabatiyé, Bint Jbeil et Marjeyoun-Hasbaya, l’affrontement entre forces nouvelles...

commentaires (5)

La verite c'est que les FL ont passe un accord avec le tandem Chiite : on boycotte la liste d'opposition au Sud III et vous laissez notre candidat maronite etre elu a Baalbeck/Hermel.

Michel Trad

19 h 45, le 21 avril 2022

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Commentaires (5)

  • La verite c'est que les FL ont passe un accord avec le tandem Chiite : on boycotte la liste d'opposition au Sud III et vous laissez notre candidat maronite etre elu a Baalbeck/Hermel.

    Michel Trad

    19 h 45, le 21 avril 2022

  • Qu’est-ce qu’un coefficient électoral et quel son calcul ? Chaque communauté a-t-elle droit à un coefficient électoral ? Je ne suis pas certain que les membres de la diaspora dont vos lecteurs assidus sachent le principe de ce coefficient. Ce serait bien d’expliquer dans vos articles ce détail qui paraît important pour l’élection législative. Sinon cela n’a aucun intérêt de lire ce genre de papier pour les lecteurs non avertis. Déjà que le politique politicienne Libanaise est composé de nœuds gordiens avec ce coefficient on ne comprend plus rien à rien ! Merci d’en prendre compte ce souhait. cordialement Votre…

    Le Point du Jour.

    12 h 49, le 21 avril 2022

  • Comment evoluer avec des hordes de vandals de la sorte?

    Robert Moumdjian

    08 h 57, le 21 avril 2022

  • VIVE DONC LE PARTI COMMUNISTE MARXISTE LÉNINISTE QUI EST PEUT-ÊTRE LE SEUL CAPABLE DE METTRE UN PEU D'ORDRE DANS CE PAYS DÉSORGANISÉ .

    Chucri Abboud

    04 h 08, le 21 avril 2022

  • Espoir et loyauté = l'espoir que le pays ressemble aux quartiers où l'on a un goût pour les libertés et pour la modernité ; loyauté aux pays amis qui ont aidé le Liban à devenir l'un des très grands de la région et à être le plus attractif pour les investissements. Là encore, rien sur les programmes politiques. A qui la faute?

    Georges Olivier

    00 h 36, le 21 avril 2022

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