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Sport - Arts martiaux mixtes

Pourquoi Yahia el-Dana, champion du Liban en MMA, est parti construire sa vie ailleurs

« Je regarde Dubaï et je pense à Beyrouth, au potentiel que possède le Liban, un potentiel gaspillé à cause des problèmes politiques », dit le sportif.

Pourquoi Yahia el-Dana, champion du Liban en MMA, est parti construire sa vie ailleurs

Yahia el-Dana (à gauche) lors de son sacre en tant que champion 2020 du Liban de muay thaï. Photo prise du compte Facebook du sportif avec son aimable autorisation

Le sourire malicieux, une forte carrure, un cœur et une tête pleins de rêves, Yahia el-Dana, champion 2020 du Liban d’arts martiaux mixtes (MMA, acronyme en anglais de la discipline), a empaqueté ses médailles, ses livres, ses plans d’avenir et ses aspirations dans des valises et des cartons, et a quitté Beyrouth pour Dubaï début janvier. « Nos champions locaux qui s’ouvrent au monde sont la meilleure récompense qu’un entraîneur puisse espérer », déclare son coach Rocky Kiblaoui, lui-même champion du monde de muay thaï (ou boxe thaïlandaise). « Pourtant, il est regrettable de les voir briller dans d’autres pays plutôt que dans le leur », ajoute-t-il.

Selon des statistiques de la Sûreté générale du Liban, rapportées par l’institut de recherche Information International, plus de 215 000 personnes ont émigré du pays entre 2017 et 2021, dont 79 134 rien que l’année dernière, en faisant le troisième exode massif connu au pays du Cèdre. En outre, depuis octobre 2019, la livre libanaise a perdu plus de 90 % de sa valeur, érodant la capacité des Libanais à accéder aux biens de base, notamment la nourriture, le logement et les soins de santé. La pandémie de Covid-19 a accru la pauvreté et les charges économiques, poussant les jeunes s’expatrier et aggravant la fuite des cerveaux.

Originaire d’un quartier pauvre de Choueifate, au sud de Beyrouth, Yahia el-Dana, aujourd’hui âgé de 29 ans, rêvait du luxe que le monde avait à lui offrir. Dans les quartiers chics de la capitale, il voyait des gens conduire des voitures somptueuses, et à la télévision, il était bombardé d’histoires de gens qui semblaient avoir accès à tout ce dont ils rêvaient. Cependant, ce mode de vie est très éloigné de l’expérience d’une grande partie de la population libanaise. Sachant que le seul moyen d’améliorer sa vie et celle de sa famille était de travailler dur et avec persévérance, Yahia el-Dana s’en est soucié dès l’âge de 14 ans. « Comme mon père travaille dans l’informatique, je savais un peu comment réparer les ordinateurs, formater les téléphones, télécharger des jeux gratuits sur internet avant que cela ne soit courant, et résoudre les petites erreurs techniques des tablettes et des téléphones portables, explique le jeune homme. Chaque fois que l’un de mes voisins était confronté à un problème avec son appareil, je le réparais pour eux, et je leur facturais beaucoup moins qu’un professionnel. » Il achetait également de vieilles motos qui ne fonctionnaient plus, les réparait pour les revendre à un prix plus élevé.

Tomber… pour mieux se relever

Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires, Yahia décide de poursuivre des études en gestion d’entreprise à l’Université américaine des sciences et de la technologie (AUST). Il savait déjà qu’il voulait créer sa propre entreprise. En attendant, il voulait savoir qui étaient ces gens qui vivaient confortablement et ne se préoccupaient pas des problèmes des classes moyenne et inférieure, et comment ils avaient trouvé le succès. Le jeune homme lit beaucoup et observe son entourage, et en déduit que ce qui différence les personnes qui réussissent, des autres, était leur persévérance. « Il ne s’agit pas seulement d’être motivé, mais aussi de la quantité d’efforts que l’on est prêt à fournir, même si l’on ne se sent pas au mieux de sa forme », relève Yahia. Il estime ainsi qu’il existe deux types de personnes dans le monde des affaires : les « professionnels » et les « polyvalents ». « Le professionnel sait tout sur un seul type de travail, tandis que le polyvalent sait beaucoup de choses sur plusieurs types de travail. J’ai décidé d’être un polyvalent et non un professionnel », se souvient-il.

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Yahia el-Dana estime également que la vie est un système qui essaie de faire « tomber » une personne, et que la valeur du succès d’un individu est déterminée par le nombre de fois où ce dernier se relève après avoir été mis à terre. Il a donc commencé à s’entraîner aux arts martiaux comme le muay thaï, le jiu jitsu ou la lutte libre. Il sillonne le pays pour participer à des compétitions, remportant le championnat du Liban de lutte et de jiu jitsu en 2019, puis le championnat libanais de MMA en 2020.

Le jeune sportif devient en outre entraîneur d’arts martiaux pour enfants et adultes. Le soir du 4 août 2020, lorsque la catastrophique explosion au port de Beyrouth a eu lieu, il se trouvait d’ailleurs en pleine séance de coaching. « J’entraînais un enfant, qui ne devait pas avoir plus de sept ans, au gymnase lorsque le bâtiment a commencé à trembler », raconte-t-il. Il a pris l’enfant dans ses bras et s’est précipité dans la rue, quelques instants avant que l’onde de choc de l’explosion ne frappe le bâtiment, projetant des éclats de verre dans le gymnase. « Si nous étions restés dix secondes de plus à l’intérieur, nous aurions été grièvement blessés », assure-t-il. C’est à ce moment-là qu’il a commencé à caresser l’idée de s’installer à l’étranger.

Carrière dans l’immobilier

Avec un partenaire commercial, Yahia avait fondé Insouks (un portail d’achats en ligne) en 2014. L’entreprise proposait des alternatives moins chères aux vêtements importés. De nombreux articles étaient produits localement et vendus à des prix inférieurs à ceux proposés dans les magasins important des marques étrangères. Au début, les deux associés ont eu du mal à se lancer, perdant plus de 20 000 dollars rien durant les trois premières années. Les clients libanais n’étaient pas encore intéressés par le commerce en ligne. La crise économique n’était pas encore hors de contrôle et les consommateurs étaient davantage attirés par les marques étrangères. Insouks continue à perdre de l’argent jusqu’en 2020, mais les affaires s’améliorent. Lorsque le Liban a sombré dans la crise sanitaire en raison de la pandémie de coronavirus, les gens se sont vus confinés chez eux. Entre-temps, la livre commence à perdre de sa valeur par rapport au dollar. Dans un contexte de détérioration économique, le portail Insouks fonctionne, car il constitue une option moins coûteuse, livrée à domicile de surcroît. « C’est à ce moment-là que nous avons commencé à compenser nos pertes, et les choses ont semblé s’éclaircir. Cependant, la crise du carburant a secoué le Liban peu de temps après. Les sociétés de livraison ne fonctionnaient plus et les frais de livraison grimpaient en flèche », explique Yahia el-Dana. Les perspectives d’avenir au Liban s’assombrissent.

En parallèle, le jeune homme se lance dans l’immobilier, un rêve auquel il aspirait depuis l’âge de 16 ans. Il a fait une liste des maisons à louer ou à vendre à Beyrouth et mettait en relation les clients potentiels avec les propriétaires. Grâce à une publicité sur Instagram, il a appris que la société Damac Properties recrutait des agents immobiliers de Beyrouth à Dubaï. Immédiatement, il comprend que cette opportunité sera sa porte de sortie. Lors de son entretien d’embauche, il a assuré être « flexible » et qu’il « pouvait s’intégrer partout, un effet secondaire d’être libanais et de vivre dans des circonstances bizarres ». Après avoir obtenu le poste, le champion et sa famille ont ressenti de l’amertume, mais ils étaient tous conscients que la réussite passait par le départ de la maison. Ce qui, pour Dana, est le cas de tous les Libanais.

Pour Hala Gharib, économiste et maître de conférences à l’Université islamique du Liban, à court terme, le départ des jeunes est un investissement dans leur avenir. Mais à long terme, les effets seront catastrophiques. « Ils partent pour poursuivre leurs rêves et leurs ambitions, et pour réaliser leurs rêves. Le Liban se voit privé d’un capital humain essentiel dans de nombreux domaines critiques. Comme aucun rapport ni chiffre officiel ne sont publiés, nous ne connaîtrons l’effet exact de tout cela sur notre économie que dans quelques années », déclare-t-elle.

Le Liban l’a chassé…

Quant à Yahia el-Dana, il affirme qu’après tout ce qu’il a fait pour rester au pays, c’est le Liban qui l’a poussé à le quitter. « Pour chaque pas que vous faites en avant, la situation au Liban vous repousse de dix pas en arrière », dit-il. Il a ainsi accepté l’offre de Damac Properties et s’est installé à Dubaï, ouvrant donc une nouvelle page de sa vie. « Je regarde Dubaï et je pense à Beyrouth, au potentiel que possède le Liban, un potentiel gaspillé à cause des problèmes politiques », soutient-il.

Dans un récent rapport, la Banque mondiale a averti que le Liban subissait un dangereux appauvrissement du capital humain et que les dommages permanents seraient très difficiles à combler. La fuite des cerveaux, qui s’ajoute aux graves crises économique et politique figurant parmi les trois plus grandes crises mondiales depuis le milieu du XIXe siècle, limitera le potentiel de redressement du pays du Cèdre. « La forte détérioration des services de base aura des répercussions à long terme », a mis en garde la Banque mondiale, provoquant notamment des migrations massives. « Recouvrer les dommages permanents causés au capital humain sera chose très ardue. Cette dimension de la crise rend peut-être cet épisode libanais unique par rapport aux autres crises mondiales », ajoute l’instance financière.

Quant au départ de Yahia, il intervient à un moment où la scène MMA au Liban semble s’épanouir. La semaine dernière, une Libanaise âgée de 22 ans, Alexandra Sukkar, est devenue championne du monde de MMA à Amsterdam. « Mon pays traverse une période très difficile, et c’est quelque chose à célébrer, donc j’en suis très fière », a déclaré l’athlète alors qu’elle recevait sa médaille. Pour sa part, l’entraîneur Rocky Kiblaoui déclare que s’il ne pouvait voir qu’une seule de ses prières exaucée, ce serait que « la paix et la stabilité soient restaurées au Liban et que tous nos champions soient de retour. En attendant, j’espère qu’ils seront de bons exemples dans leurs résidences secondaires à travers le monde ». Pour Yahia el-Dana, il reste à savoir si le destin le ramènera au pays du Cèdre. « Je ne peux pas regarder en arrière, assure-t-il. Le seul moyen est d’aller de l’avant. »

(Cet article a été publié originellement en anglais dans « L’Orient Today » le 4 avril 2022).

Le sourire malicieux, une forte carrure, un cœur et une tête pleins de rêves, Yahia el-Dana, champion 2020 du Liban d’arts martiaux mixtes (MMA, acronyme en anglais de la discipline), a empaqueté ses médailles, ses livres, ses plans d’avenir et ses aspirations dans des valises et des cartons, et a quitté Beyrouth pour Dubaï début janvier. « Nos champions locaux qui s’ouvrent...

commentaires (1)

Toutes cette debacle, c' est les dividendes du mandat FORT ! hahahahaha.. Que c'est lamentable tout ca. Et criminel !!

LeRougeEtLeNoir

10 h 15, le 06 avril 2022

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Commentaires (1)

  • Toutes cette debacle, c' est les dividendes du mandat FORT ! hahahahaha.. Que c'est lamentable tout ca. Et criminel !!

    LeRougeEtLeNoir

    10 h 15, le 06 avril 2022

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