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Moyen-Orient - Guerre en Ukraine

Le Qatar et l’Arabie saoudite peuvent-ils sauver l’Europe en cas de crise énergétique ?

Alors que le prix de vente du gaz naturel en Europe a bondi de 40 %, le baril dépassait jeudi le seuil symbolique des 100 dollars, une première depuis 2014.

Le Qatar et l’Arabie saoudite peuvent-ils sauver l’Europe en cas de crise énergétique ?

Le président russe Vladimir Poutine et le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane assistent au G20, en novembre 2018. Photo AFP

L’un est le premier exportateur de pétrole brut, avec une production de plus de 8 millions de barils par jour à la fin 2021. L’autre se place parmi les plus grands exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL) au monde (77,1 millions de tonnes (Mt) en 2021), à quasi-égalité avec l’Australie (77,8 Mt) et bien avant les États-Unis (44,8 Mt). L’Arabie saoudite et le Qatar sont restés discrets face au fracas de la guerre en Ukraine. Mais Riyad et Doha, alliés historiques de Washington, premier parrain régional sur le plan sécuritaire, tout en cultivant des rapports cordiaux avec Moscou, pourraient jouer un rôle décisif dans les mois à venir face à un possible choc énergétique.

Une opportunité en or pour ces deux pays, alors que les hydrocarbures avaient été relégués au second plan ces dernières années face aux préoccupations écologiques et aux désirs de transition vers les énergies « propres » des sociétés occidentales. Les Européens avaient par exemple refusé de signer avec le Qatar des contrats gaziers à long terme – sur 10, 15 ou 20 ans, comme il est de coutume dans le secteur. « Le moment peut être l’occasion de faire valoir leur importance dans l’économie mondiale », remarque Karen Young, spécialiste de l’économie politique du Golfe au Middle East Institute.

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Superimpuissance

Doha et Riyad sont d’autant plus amenés à être courtisés que la dégradation de la situation militaire en Ukraine, entre lundi et jeudi, a précipité le monde occidental dans une profonde angoisse face à la volatilité des marchés. Après des mois de tensions, le président russe refermait la parenthèse diplomatique, lundi, en signant l’acte de reconnaissance des deux territoires séparatistes du Donbass. Tout en évitant le secteur énergétique, l’Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis formulaient dès mardi une première salve de sanctions contre Moscou. Sans effet : jeudi à l’aube, Vladimir Poutine lançait une triple offensive aérienne, navale et terrestre contre le territoire voisin, provoquant un effet de panique sur les marchés financiers et une hausse immédiate des prix du brut. Alors que le prix de vente du gaz naturel en Europe bondit de 40 %, le baril dépasse le seuil symbolique des 100 dollars dès jeudi – une première depuis 2014. Lors d’un sommet du Gas Exporting Countries Forum (GECF), les 11 principaux exportateurs, dont la Russie, réunis lundi à Doha, déclarent ne pouvoir garantir ni les prix ni les approvisionnements. Une demande mondiale très forte, notamment en Asie, accapare une partie des ressources disponibles. Côté russe, l’acheminement pourrait être compromis pour des raisons logistiques, puisque près de la moitié du gaz acheminé en Europe traverse les territoires ukrainien et biélorusse.

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À ces perturbations pourraient s’ajouter les effets de mesures politiques. Jeudi soir, Joe Biden annonce une nouvelle série de sanctions coordonnées avec les leaders du G7 afin d’isoler Moscou. Officiellement, les exportations russes en hydrocarbures n’ont pas été visées, et l’arme « Swift » – l’exclusion du système de centralisation des transferts financiers à l’international – n’a pas été dégainée. Mais en pénalisant les entreprises et les banques, l’Occident s’en prend à la valeur des capitaux russes et aux facilités d’opération. Il risque une réaction de la part de Moscou si ce dernier choisissait de contre-attaquer en « fermant les robinets », c’est-à-dire en réduisant les exportations à destination des pays européens, hautement dépendants de la Russie en matière énergétique. « La Russie représente 40 % des importations européennes de gaz, 1/4 du pétrole brut et 1/6e des produits raffinés », explique Nicolas Mazzucci, chercheur spécialisé sur les enjeux énergétiques à la Fondation pour la recherche stratégique. Cette situation fournit un avantage structurel à la Russie, afin notamment d’éviter des sanctions trop lourdes. « Par sa taille, la Russie est un régulateur mondial des flux et des prix : elle est un très gros exportateur à la fois de pétrole brut, mais aussi de produits pétroliers raffinés, de gaz, de métaux stratégiques et de matières premières agricoles », poursuit ce dernier.

Pas de « superhéros »

Afin de contourner cette dépendance, l’Europe et les États-Unis se sont tournés très tôt vers le Qatar. L’émirat ne fournit actuellement que 5 % des besoins européens en gaz, mais pourrait jouer un rôle important dans le cadre d’une stratégie de diversification des importations. Dès janvier, Joe Biden courtise l’émir qatari Tamim ben Hamad al-Thani, en visite à

Washington, afin d’obtenir un filet de sécurité pour ses alliés européens en cas de coupure de l’approvisionnement russe. La volonté politique d’aider est là, puisqu’il s’agirait pour Doha de renforcer sa position stratégique et ses liens avec Washington, tout en s’assurant des contrats d’approvisionnement, à long terme cette fois, avec les Européens.

Problème : ses capacités sont limitées. Le riche émirat gazier ne peut réacheminer que 10 à 15 % de ses ressources en gaz, et seulement à condition que ses clients asiatiques (Chine, Inde, Japon, Corée du Sud) acceptent une telle concession. Le Qatar a bien l’intention d’augmenter ses capacités de production, en passant de 77 à 126 Mt par an d’ici à 2027, mais ces investissements au temps long n’apportent aucune solution à court terme. « Doha peut jouer un certain rôle, mais il ne peut ni sauver ni remplacer le gaz russe », résume Karen Young. D’autres fournisseurs, comme l’Australie, l’Algérie, l’Égypte ou encore Israël, ont également été approchés. Mais là encore, l’augmentation des productions, actuellement insuffisantes, prend du temps et aucune de ces options ne permettrait de compenser la perte du partenaire russe.

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En matière de pétrole également, les États-Unis et certains grands importateurs ont déjà tenté de faire pression sur l’allié saoudien afin de baisser les prix grâce à une augmentation de la production, et ainsi de réduire la pression sur les économies occidentales déjà confrontées à une forte inflation et une grogne interne. Les regards sont donc tournés vers l’OPEP+ – l’alliance de pays exportateurs de pétrole comprenant depuis 2016 les pays de l’OPEP ainsi que des États non membres comme la Russie – qui doit se réunir le 2 mars afin de formuler sa politique de marché pour le mois à venir.

Cette dernière avait jusqu’à présent fait le choix d’un maintien de l’accord de production en place – soit une hausse incrémentale de 400 000 barils par jour. « Les officiels affirment qu’il n’y a aucune pénurie de l’offre, et donc aucune raison de modifier la politique », indique Amena Bakr, du bureau d’analyse Energy Intelligence. En cas d’effondrement de l’offre russe, certains membres pourraient cependant « changer de ton », poursuit cette dernière. Mais là encore, les calculs sont plus complexes qu’il n’y paraît. Même si l’alliance parvenait à se mettre d’accord sur un accroissement de l’offre, cela pourrait ne pas suffire à enrayer la hausse des prix, dont la cause principale est liée au contexte géopolitique – et non à une fluctuation réelle de l’offre. Les capacités étant limitées, « une hausse trop rapide de la production, puisant sur les réserves, pourrait faire que les prix ne réagiraient pas en conséquence », ajoute Amena Bakr. Des tensions entre membres pourraient également remettre en question l’accord de 2016. En 2018 déjà, « l’Arabie saoudite avait engagé un bras de fer avec la Russie sur les prix qui s’est réglé à l’avantage de Moscou, qui apparaît depuis comme un acteur de même poids que Riyad au sein de l’OPEP+ », note Nicolas Mazzucci. Deux ans plus tard, un autre épisode souligne néanmoins la force de frappe saoudienne en matière économique. En mars 2020, le royaume wahhabite entend réduire la production afin de hausser le prix du brut dans un contexte de début de pandémie. Face au refus de Moscou, il intensifie sa production. Les prix du baril s’effondrent – tout comme les rentrées financières russes et le rouble qui atteint son plus bas historique face au dollar. En forçant Moscou à prendre part au jeu collectif, un nouveau compromis s’installe. Aujourd’hui pour Riyad, « rompre cet accord de coopération avec la Russie pourrait être lourd de conséquences, tout particulièrement à un moment où l’Arabie saoudite espère voir l’Iran rejoindre le club », analyse Karen Young, pour qui le royaume pourrait également craindre les répercussions régionales d’une rupture dans l’approvisionnement en blé en cas de conflit avec Moscou.

Il est trop tôt pour anticiper plusieurs développements, qu’il s’agisse des conséquences exactes de la guerre en Ukraine sur les exportations russes en hydrocarbures, des capacités réelles de réacheminement du gaz qatari ou du positionnement des membres de l’OPEP+. Une seule chose semble certaine à ce stade : ni le Qatar ni l’Arabie saoudite « ne sont prêts à être des superhéros pour l’Europe ou le reste du monde en cas d’effondrement de l’approvisionnement russe », résume Karen Young.

L’un est le premier exportateur de pétrole brut, avec une production de plus de 8 millions de barils par jour à la fin 2021. L’autre se place parmi les plus grands exportateurs de gaz naturel liquéfié (GNL) au monde (77,1 millions de tonnes (Mt) en 2021), à quasi-égalité avec l’Australie (77,8 Mt) et bien avant les États-Unis (44,8 Mt). L’Arabie saoudite et le Qatar sont restés...

commentaires (1)

a se poser la question : comment, pourquoi, selon quel principe, quels criteres l'europe s'etait contente de l'approvisionnement en gaz des seuls russes -ou presque ? courte vue incomprehensible, impardonnable.

Gaby SIOUFI

10 h 46, le 26 février 2022

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Commentaires (1)

  • a se poser la question : comment, pourquoi, selon quel principe, quels criteres l'europe s'etait contente de l'approvisionnement en gaz des seuls russes -ou presque ? courte vue incomprehensible, impardonnable.

    Gaby SIOUFI

    10 h 46, le 26 février 2022

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