Le torchon brûle entre l’Université Saint-Joseph et ses étudiants depuis quelques jours. Au cœur de la polémique qui s’invite sur les réseaux sociaux, une contribution supplémentaire de 250 dollars américains frais réclamée à chaque étudiant, qui vient s’ajouter aux droits universitaires du deuxième semestre de l’année académique 2021-2022.
Dans une lettre datée du 16 février dernier, le recteur de l’USJ, le père Salim Daccache, expose la situation difficile de l’établissement de 12 650 étudiants. En ces temps de crise économique inédite qui persiste depuis plus de deux ans et d’effondrement de la monnaie nationale (un dollar s’échange aujourd’hui à 20 600 LL contre 1 507 LL avant la crise), l’université jésuite francophone du Liban fait face au départ massif de ses professeurs et de son personnel qualifié. Pour les retenir et préserver ainsi la qualité de ses diplômes, elle doit sensiblement améliorer leurs salaires qui ne valent plus rien. Face « aux limites des aides internationales » et à « l’obligation de payer plus de 72 % des frais de fonctionnement en devises », l’USJ s’adresse donc à ses étudiants et à leurs parents. L’institution a toujours privilégié « la solidarité ». « La moitié de ses étudiants bénéficie de l’aide sociale », 49 % plus exactement. Et tout au long de la crise, « il était possible de régler la totalité des scolarités de l’année académique 2021-2022 en LL, à un taux de 2 700 LL », peut-on lire dans ce courrier. Un taux inférieur à celui des deux premières universités américaines du pays, l’AUB et la LAU, qui calculent le dollar au taux de 3 900 LL et « sont financièrement soutenues par les États-Unis ».
Déjà 40 % des enseignants vacataires ont jeté l’éponge
La survie de l’USJ est aujourd’hui en jeu. Celle de son personnel enseignant aussi, puisqu’il est poussé à s’expatrier ou alors à s’arrêter carrément de travailler, parce que cela lui coûte plus cher de se rendre au travail que de rester chez lui. « Nous sommes acculés à demander à chacun/e une participation supplémentaire de 250 dollars frais répartis à égalité sur les deux versements des droits universitaires du deuxième semestre », précise le père recteur Salim Daccache dans son message. Le caractère obligatoire de cette contribution solidaire est sans équivoque. Dans un pays en plein effondrement, cette mesure prend de l’ampleur dans l’enseignement privé scolaire et universitaire. Dans le même temps, l’USJ invite ceux qui éprouvent « une réelle difficulté » à s’acquitter du montant réclamé à se mettre en contact avec le service social, « car nul ne doit quitter ses études pour des raisons financières ».
« Nous avons déjà perdu 40 % de nos enseignants vacataires et nous craignons une deuxième vague de départs qui toucherait cette fois les enseignants cadrés », précise le père Daccache, contacté par L’Orient-Le Jour. « Une deuxième vague signifierait la chute de l’USJ », met-il en garde. Et si l’université a déjà augmenté les salaires de ses professeurs « de 50 % environ », cette hausse ne permet pas à ces derniers de vivre décemment. L’USJ a certes sollicité ses anciens étudiants et ceux de la diaspora. « Nous nous sommes rendus en France à deux reprises, mais la réponse a été bien en deçà des espérances », regrette-t-il. « Pour garder notre corps enseignant, nous parlons de plusieurs millions de dollars », souligne encore le recteur. Un petit calcul rapide permet de comprendre. « Pour fonctionner normalement, l’institution a besoin d’un budget annuel de 95 à 110 millions de dollars. En rognant drastiquement sur les dépenses de développement, elle peut se limiter à 50 millions de dollars. Or ces deux dernières années, les recettes de l’USJ n’ont pas dépassé 15 millions de dollars par an, vu que les scolarités sont perçues en livres libanaises », explique Salim Daccache. D’où cette décision de mettre les étudiants à contribution, car les aides perçues sont largement insuffisantes.
Colère et incompréhension des étudiants
Du côté des principaux intéressés, la réaction ne s’est pas fait attendre. Si les étudiants pressentaient une augmentation prochaine des droits universitaires, car ils reconnaissent l’injustice subie depuis deux ans par les professeurs, ils ne pensaient pas qu’elle serait imminente, en plein milieu d’année, ni aussi importante. « 250 dollars par étudiant, c’est une somme énorme pour une famille qui a trois enfants à l’université et qui souffre de la crise », résume Jad Jaradé, membre du conseil des étudiants. Mais au-delà de ce cas particulier susceptible d’être réglé en recourant au service social de l’université, les étudiants rejettent une décision prise en plein milieu d’année, sans leur consentement. « Pourquoi une telle décision en milieu de semestre ? Et pourquoi le droit légitime des enseignants doit-il se faire au détriment des étudiants ? » lance-t-il encore. Car, immanquablement, les questions fusent. Les étudiants s’inquiètent.
« Nous comprenons l’urgence de cette décision, car la crise touche tout le monde, mais cette décision vulnérabilise les étudiants face à un choix majeur : supporter la hausse brutale des scolarités ou abandonner les études », renchérit Elissa Bou Nader, représentant le Club laïc des étudiants.Face à l’annonce du recteur, les étudiants en ébullition ont réagi avec colère pour certains, avec panique pour d’autres. « Les étudiants ne peuvent que réagir avec colère et incompréhension contre cette décision brusque et soudaine, tout en étant conscients que les scolarités ne peuvent rester aussi basses », observe Rola Hadi, vice-présidente du conseil des étudiants. Sur les réseaux sociaux, les appels à la manifestation pleuvent. Déjà, un sit-in est annoncé pour jeudi prochain, à 12h30, devant le rectorat de l’université. Avec, tout de même, l’envie d’initier un dialogue : « Nous invitons l’USJ à reconsidérer sa décision et à rechercher avec les représentants des étudiants de nouvelles solutions », lance le Club laïc, en espérant une réponse positive.
commentaires (10)
La légitimité de la requête de ces 250$ est facile à comprendre car tout le monde est dans le même bateau. Hélas, les étudiants qui protesteront à payer pourraient mettre en péril la poursuite de leurs propres études.
Vincent Gélinas
16 h 27, le 23 février 2022