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Société - Éclairage

80 % de pauvres au Liban : comment cette donnée est-elle calculée ?

L’estimation se base, entre autres, sur une enquête de l’Administration centrale de la statistique (ACS) publiée en 2020.

80 % de pauvres au Liban : comment cette donnée est-elle calculée ?

C’est une donnée que toute personne qui s’intéresse de près ou de loin au Liban a pu lire ou entendre lors de ces dernières années. En constante évolution, elle définit le pourcentage de la population qui vit sous le seuil de pauvreté, proposant ainsi une photographie de la situation économique et sociale du pays à un moment déterminé. Elle est fournie, depuis le début de la crise en 2019, par les grandes institutions internationales, le plus souvent l’Escwa (Commission économique et sociale pour l’Asie occidentale). Mais comment est-elle calculée ? Est-elle, par ailleurs, représentative de la réalité ? Dans son dernier rapport datant de septembre 2021, l’Escwa estime que 82 % de la population libanaise vit désormais dans une « pauvreté multidimensionnelle ». L’institution explique en outre que « les personnes ayant les niveaux d’éducation les plus élevés et celles qui ont les taux les plus bas ont désormais des niveaux de pauvreté similaires ».

Dans un pays où les données sont rares, l’Escwa a basé son estimation sur un sondage de l’Administration centrale de la statistique (ACS), qui a publié en 2020 une enquête sur la main-d’œuvre et les conditions de vie des ménages. L’ACS a récolté ses informations entre 2018 et 2019, couvrant plus de 39 000 ménages et estimant la population à 4,8 millions d’habitants, dont 80 % de Libanais. Plusieurs critères ont été pris en compte : l’éducation, la santé, les conditions de vie et encore le salaire. L’Escwa, qui a eu accès à cette base de données, a fait ensuite une « simulation de choc » de ces statistiques pour les mettre à jour, tout en prenant en compte le contexte libanais marqué par la forte dévaluation de la livre, l’hyperinflation ou encore les pénuries de médicaments et de carburant. « Le but du rapport est de déterminer l’intensité du manque d’accès aux besoins primaires. Seul un des vingt indicateurs est consacré au revenu », explique Sama Sleiman, adjointe supérieure de recherche à l’Escwa.

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D’après l’enquête de l’ACS, « 73 % des ménages avaient, en 2020, un revenu total par mois inférieur à 2,4 millions de livres libanaises, ce qui équivaut désormais à un peu plus de 100 dollars. Et on ne prend pas en compte ceux qui ont perdu leur emploi et leurs revenus depuis le début de la crise », explique Adib Nehmé, expert en lutte contre la pauvreté qui a réalisé de nombreuses études de terrain. Dans le sondage de l’ACS, 18 % des ménages touchaient moins de 650 000 LL par mois (environ 28 dollars au taux actuel du marché parallèle, soit 22 700 livres pour un dollar hier), le salaire minimum étant normalement de 675 000LL. 24,6 % avaient des revenus entre 650 000 LL (28$) et 1 200 000 LL par mois (52$), 30 % entre 1 200 000 LL et 2 400 000 LL (106$) par mois, et 21,2 % entre 2 400 000LL et 5 000 000 LL (220$ par mois). Enfin, 6,2 % des ménages avaient un revenu de plus de cinq millions de livres libanaises par mois.

À partir de ces données, entre autres, l’Escwa a calculé son estimation de la pauvreté actuelle, en tenant compte de six dimensions : l’éducation, la santé, l’accès au service public, l’habitation, les biens et propriétés, l’emploi et le revenu. « Pour chacune des six dimensions, il y a des indicateurs qui permettent de déterminer un score de privation pour un ménage. Quand ce dernier n’a pas accès à deux dimensions, il est dans la catégorie de pauvreté extrême », explique Sama Sleiman. L’institution onusienne a observé que la précarité la plus importante était dans le domaine de la santé, puis des services publics, suivi de l’emploi et du revenu. « Au Liban, il n’est plus question de pauvreté. Depuis 2019, avec l’effondrement de la livre libanaise et l’inflation, il y a presque un appauvrissement et une détérioration généralisée des conditions de vie de la population. Ce n’est plus une question de catégorie », explique Adib Nehmé. « Aujourd’hui, au moins 75 à 80 % de la population a besoin d’une aide immédiate », poursuit–il.

« Le vrai filet de sauvetage »

Les données du Programme alimentaire mondial confirment l’ampleur du phénomène. « Près de 35 % de Libanais sont en insécurité alimentaire », précise Rasha Abou Dargham, porte-parole de l’organisation au Liban. « Nous venons en aide à une personne sur quatre au Liban via une assistance en espèce et des colis alimentaires. Le ménage reçoit 25 dollars et chaque personne du foyer, jusqu’à six, en reçoit 15 », explique-t-elle en référence au programme NPTP pour l’assistance monétaire dans le cadre des aides du ministère des Affaires sociales. « Les chiffres sont presque tous les mêmes dans les différents rapports car la réalité ne peut être niée. Au moins les trois quarts de la population vivent dans la pauvreté. L’intensité de celle-ci s’est nettement aggravée dans les régions les plus isolées et les quartiers les plus pauvres des villes où on peut arriver à 90 % de la population », explique Adib Nehmé.

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Les chiffres avancés ne peuvent toutefois pas prendre en compte plusieurs variables comme les transferts de dollars en provenance de la diaspora qui sont « le vrai filet de sauvetage » d’après l’économiste et analyste politique Sami Nader. « Quand nous réalisons des papiers techniques, nous faisons face à trois difficultés qui sont importantes pour mesurer la pauvreté à partir du revenu. Il n’y a pas de données sur la fuite des cerveaux, sur les changements de distribution des revenus, et sur les personnes qui ont accès aux dollars frais par leur salaire ou les transferts de l’étranger… », souligne Sama Sleiman. Des problèmes auxquels a été également confrontée la plateforme d’e-gouvernance Impact servant à enregistrer les résidents au Liban pour le vaccin contre le Covid-19 et qui est maintenant également utilisée pour la réception et la vérification des demandes d’assistance sociale du réseau Daem lié à la carte d’approvisionnement et au projet de protection sociale en réponse à une crise d’urgence, le Covid-19 (ESSN). « Nous sommes supposés travailler avec les municipalités. Mais nous avons réalisé que la liste de ces institutions n’était même pas à jour », explique Carole Alsharabati, directrice de recherche de Siren Associates, qui a développé Impact. Pour elle, le manque de volonté mais aussi l’inexistence d’une culture de partage entre les institutions, qui sont des chasses gardées, sont l’obstacle principal pour réaliser et récolter des données. « Il n’y a pas de stockage des données et il n’y a pas d’institution au Liban en charge de cela », déplore-t-elle.

« 80 % des dépôts en dollars »
Certains ménages peuvent, en outre, s’appuyer sur une évolution de leur revenu en dollars ou sur une aide extérieure en devises. Mais il est impossible de donner des chiffres précis. « 80 % des dépôts bancaires sont en dollars mais nous ne pouvons pas savoir le nombre de personnes qui détiennent ces comptes », explique Nassib Ghobril, directeur du département de recherche et d’analyse économique à la Byblos Bank. Depuis la crise, certaines entreprises ont décidé de payer les salaires, montant total ou partiel, en dollars pour limiter la fuite des cerveaux vers l’étranger. Tout comme la plupart des organisations internationales et non gouvernementales qui règlent les salaires en dollars également. Par ailleurs, certains reçoivent des transferts d’argent de l’étranger par des proches. « En 2021, la Banque mondiale estime que ces transferts sont à la hauteur de 6,61 milliards de dollars, commente Nassib Ghobril qui ajoute que près d’un million et demi de Libanais envoient de l’argent régulièrement au Liban. » Ces transferts servent à répondre aux besoins primaires et quotidiens des familles libanaises, analyse-t-il. Mais là aussi, les chiffres pour quantifier le montant, la fréquence et le nombre de personnes qui reçoivent cet argent n’existent pas.

C’est une donnée que toute personne qui s’intéresse de près ou de loin au Liban a pu lire ou entendre lors de ces dernières années. En constante évolution, elle définit le pourcentage de la population qui vit sous le seuil de pauvreté, proposant ainsi une photographie de la situation économique et sociale du pays à un moment déterminé. Elle est fournie, depuis le début de la...

commentaires (5)

J'espère que ceux qui cultive les denrées essentielles sur leur balcon ne sont pas inclus dans les 80%... ils doivent bien s'en tirer eux! Merci au guide suprême et à son ami l'apprenti président...

Wlek Sanferlou

01 h 49, le 01 février 2022

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • J'espère que ceux qui cultive les denrées essentielles sur leur balcon ne sont pas inclus dans les 80%... ils doivent bien s'en tirer eux! Merci au guide suprême et à son ami l'apprenti président...

    Wlek Sanferlou

    01 h 49, le 01 février 2022

  • Est-ce que les "pauvres cons!" font partie de ces statistiques?

    Gros Gnon

    14 h 07, le 29 janvier 2022

  • j'etais interresse a poursuivre la lecture de cet article-meme si je fais tres peu confiance en les stats made au liban, MAIS j'ai tt de suite change d'avis apres lecture surprenante de la 1ere .... je ne sais comment appeler cela- bourde? : revenus des menages libanais en 2020...calcule sur base d'un taux du dollar a 23000LL ?!?!?! taux actualise en 2022 ??????????????????

    Gaby SIOUFI

    10 h 59, le 29 janvier 2022

  • 4,8 millions d'habitants dont 80% de Libanais. Pourtant il y a plus de 20% d'étrangers au Liban, ne serait-ce qu'en comptant les Palestiniens et les Syriens ? Et je ne parle même pas des Iraniens !

    Nicolas ZAHAR

    10 h 22, le 29 janvier 2022

  • TRES SIMPLE. SI ON DEDUIT LE NOMBRE DES CORROMPUS VOLEURS ET MAFIEUX GOUVERNANTS ET BANQUIERS ET LES CLIQUES QUI ORBITENT AUTOUR D,EUX AVEC PARENTS ET FANATIQUES PARTISANTS TOUS AYANT TREMPE DANS LES COMBINES ET LE VOL DES ECONOMIES D,UNE VIE DU PEUPLE RESIDENT ET DIASPORA CE QUI RESTE EN L,OCCURENCE LE 80PCT SONT LES PAUVRES ET LES APPAUVRIS ET AFFAMES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 56, le 29 janvier 2022

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