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Politique - Interview express

Karim Daher : « Laisser à un ministre la latitude de fixer impôts et taux de change est une hérésie »

Karim Daher : « Laisser à un ministre la latitude de fixer impôts et taux de change est une hérésie »

Karim Daher, avocat fiscaliste et président de l’Aldic. Photo DR

Un ministre des Finances doté de pouvoirs exceptionnels qui lui permettent d’intervenir pendant deux ans sur le plan des lois fiscales, monétaires et financières, telle est l’« aberration » juridique que nombre de juristes ont dénoncée en lisant le projet de la loi du budget en cours d’examen au Conseil des ministres. Me Karim Daher, avocat fiscaliste et président de l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic), évoque pour L’Orient-Le Jour le contenu de ces prérogatives accordées au ministre, les estimant « inconstitutionnelles ». Il met en garde contre l’impact négatif qu’elles pourraient avoir notamment sur les droits des citoyens et la légitimité de l’impôt.

Quels sont les pouvoirs exceptionnels qu’accorde au ministre des Finances le projet de loi sur le budget ?

Le texte prévoit que le gouvernement peut donner au ministre des Finances la latitude de déterminer le taux de change des monnaies étrangères lorsqu’il s’agit de fixer et de recouvrir les impôts et taxes. Le ministre serait ainsi en mesure de définir des taux différents de ceux que fixe la Banque du Liban, à qui le code de la monnaie et du crédit attribue pourtant cette compétence.

Selon le projet de loi, le ministre des Finances peut par ailleurs définir lui-même les abattements, tranches et taux d’impôts. Un contribuable pourrait par exemple se voir davantage imposé si le ministre en décidait ainsi. De même pour ce qui a trait à l’impôt sur les successions : en vertu de la loi actuelle, celui-ci se situe entre 3 et 45 %, proportionnellement à la valeur des biens hérités et du degré de parenté. Or, dans le cadre de son pouvoir discrétionnaire, le ministre pourrait augmenter ces taux d’imposition en motivant sa démarche par la mauvaise situation économique du pays ou plus particulièrement par l’augmentation du taux d’inflation.

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Les pouvoirs exceptionnels conférés au ministre sont-ils contraires à la Constitution ?

L’article 82 de la Constitution édicte expressément qu’« un impôt ne peut être modifié qu’en vertu d’une loi ». Toutes les Constitutions des pays démocratiques disposent d’ailleurs que seuls les Parlements élaborent les lois, d’autant que ceux-ci expriment la volonté populaire. Alors qu’il est difficile de demander des comptes à un ministre, les députés sont, eux, soumis à des votes-sanctions : ceux parmi eux qui auront participé à la mise en place d’impôts jugés démesurés pourraient ainsi être sanctionnés par leurs électeurs. De telles pressions pourront ainsi les pousser à agir dans un sens favorable à ceux qu’ils représentent.

Il est en effet inadmissible de confiner entre les mains d’une seule personne le pouvoir de décider des impôts, éléments importants dans la vie des citoyens. On constate à cet égard que parmi les facteurs qui avaient mené aux différentes révolutions, figure le fait que les impôts étaient décidés par des monarques ou des régimes totalitaires. Laisser à un ministre, quel qu’il soit (le ministre des Finances actuel est Youssef Khalil, proche du mouvement Amal, NDLR), la latitude d’amender des lois sur les impôts constitue une hérésie et un pas en arrière dans la vie démocratique.

Le projet de loi sur le budget viole également la Constitution quant à la durée pendant laquelle le ministre détient des pouvoirs exceptionnels, en l’occurrence deux ans. Or, la Constitution consacre le principe d’annualité budgétaire, qui consiste à fixer à une année l’autorisation pour le pouvoir exécutif de collecter les recettes (impôts, etc.) et d’organiser les dépenses.

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Quel est le risque de confier à un ministre le pouvoir de fixer les impôts et le taux de change ?

Lorsque le Parlement se penche sur la législation des impôts, il le fait non seulement pour financer l’État, mais aussi dans le but d’améliorer le quotidien des citoyens en prenant en considération leurs moyens financiers respectifs. Or, cet esprit de solidarité nationale risque de ne pas se retrouver lorsqu’on donne à un seul responsable le pouvoir exorbitant de décider des prélèvements. Le ministre pourrait ainsi ne pas considérer la conjoncture économique des Libanais, dont certains ne sont vraisemblablement pas en mesure de se plier à l’augmentation des taux. Une telle faille pourrait affecter le civisme fiscal et empêcher les citoyens de se rapprocher de l’État. Ceux-ci pourraient être tentés de pratiquer l’évasion fiscale qui leur occasionnerait amendes et peines d’emprisonnement.

Quant à donner au ministre des Finances le pouvoir de fixer le taux de change, ceci revient à lui donner une part de discrétion très grave qui ne se baserait probablement pas sur des paramètres préétablis. En outre, cette prérogative risque d’accentuer la problématique de la multiplication (actuelle) des taux, à l’ombre de laquelle les haircuts n’en finissent pas de démunir les contribuables.

Un ministre des Finances doté de pouvoirs exceptionnels qui lui permettent d’intervenir pendant deux ans sur le plan des lois fiscales, monétaires et financières, telle est l’« aberration » juridique que nombre de juristes ont dénoncée en lisant le projet de la loi du budget en cours d’examen au Conseil des ministres. Me Karim Daher, avocat fiscaliste et président de...

commentaires (3)

Me Karim Daher est un brillant avocat, compétent et incorruptible. Il oublie cependant qu’il parle d’un État Voyou gouverné par des incompétents, des voleurs et des bandits de grand chemin. Cette crasse politique se contrefout de tous les arguments juridiques ou constitutionnels. Les restrictions bancaires illégales et immorales et le comportement du gouverneur de la BdL en sont la preuve absolue

Lecteur excédé par la censure

11 h 31, le 25 janvier 2022

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Commentaires (3)

  • Me Karim Daher est un brillant avocat, compétent et incorruptible. Il oublie cependant qu’il parle d’un État Voyou gouverné par des incompétents, des voleurs et des bandits de grand chemin. Cette crasse politique se contrefout de tous les arguments juridiques ou constitutionnels. Les restrictions bancaires illégales et immorales et le comportement du gouverneur de la BdL en sont la preuve absolue

    Lecteur excédé par la censure

    11 h 31, le 25 janvier 2022

  • c'aurait ete une bonne idee -ne pas attendre les humeurs populistes des MPs et leurs obstructions & surencheres attendues. MAIS comment esperer du bien d'une seule personne choisie par N Berry ou par n'importe quel autre politique libanais ?

    Gaby SIOUFI

    11 h 16, le 25 janvier 2022

  • "… Laisser à un ministre la latitude de fixer impôts et taux de change est une hérésie …" - Et qu’est-ce qui nous autorise à penser que notre gouvernement (que l’on mérite, donc) peut prendre des mesures autres que hérétiques? Humm?

    Gros Gnon

    11 h 11, le 25 janvier 2022

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