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Sinon la tête, les griffes


Après trois mois de fugue sur le buissonneux chemin du blocage des institutions, qu’il connaît comme sa poche pour l’avoir assidûment pratiqué, voici donc que le tandem Amal-Hezbollah consent à réintégrer le rang. À participer aux réunions du Conseil des ministres. Ou, plus exactement, à autoriser ne serait-ce que la tenue de telles réunions, dont il va jusqu’à fixer lui-même le strict ordre du jour, outrepassant ainsi les prérogatives du Premier ministre.


Par pure compassion pour les souffrances d’une population réduite à la pauvreté, les deux formations chiites ( ah, les bonnes âmes, les généreuses natures !) oublieront, en somme, leurs exigences principales, juste le temps de parer au plus pressé : à savoir un projet de budget et de redressement financier. Le comble, dès lors, n’est pas de voir le loup rentrer au bercail, regagner la bergerie gouvernementale : c’est en réalité le troupeau ministériel qui se soumet à la loi du plus fort et s’en va trotter, tout bêlant, au-devant du loup.


Pourquoi ce soudain revirement du bloc chiite, qui pour mettre fin à une bouderie de trois mois, exigeait rien moins que la tête du juge Tarek Bitar, enquêtant sur la catastrophique explosion de 2020 dans le port de Beyrouth ? Les tentatives d’explication abondent ; et il est tristement normal, dans un pays aussi largement ouvert à tous les vents que le Liban, que l’on voie là surtout le résultat de quelque mot d’ordre étranger. Pour d’aucuns, Téhéran aurait imposé à ses séides du Hezbollah un tel geste de bonne volonté dans la logique des récents progrès notés dans les pourparlers de Vienne sur le nucléaire iranien. Cette thèse se trouve confortée par le rapprochement en cours entre ces deux ennemis mortels que sont l’Iran et l’Arabie saoudite qui, depuis des années se livrent à une sanglante épreuve de force au Yémen ; en marge des négociations de Bagdad entre les deux puissances régionales, des diplomates iraniens viennent même de débarquer à Riyad, pour la première fois depuis six ans.


Mais au milieu de toutes ces belles promesses d’accalmie, où diable classer cette sanglante attaque de drones lancée lundi contre Abou Dhabi par les houthis yéménites, protégés de l’Iran ? Car si les Émirats arabes unis se battent au Yémen, aux côtés des Saoudiens, ils sont eux aussi engagés dans un processus de normalisation diplomatique avec la République islamique…


De trop naviguer dans les tortueux méandres des manœuvres régionales ne doit pas conduire cependant à ignorer les éventuelles motivations internes de ce spectaculaire rebondissement. Même si la population chiite n’est guère épargnée par la crise, il est difficile de croire aux subites préoccupations humanitaires du tandem milicien. C’est donc à son obsession première, au cas Bitar, qu’il convient de revenir. En dépit de ses formidables moyens de pression, le Hezbollah n’a pu amener le gouvernement à écarter le gêneur. Il a néanmoins réussi à lui arracher ce qu’il faut bien appeler un demi-désaveu, ainsi formulé plus d’une fois par le Premier ministre : pas question de s’ingérer dans les affaires de la justice ; Bitar est néanmoins tenu de se conformer à la règle; et c’est le corps judiciaire lui-même qui doit y veiller…


En somme, et dans l’impossibilité pratique de se débarrasser une bonne fois de l’opiniâtre magistrat, on peut bien le laisser pêcher le menu fretin dans les eaux du port, les gros poissons ne pouvant être inquiétés que par une haute juridiction vouée au chômage depuis des décennies. Après les innombrables actions en dessaisissement dont il est l’objet, Tarek Bitar doit compter maintenant avec la neutralisation de cette précieuse ombrelle qu’était pour lui la Cour de cassation. Dépeuplée par les mises à la retraite et le gel des permutations exercé par le président de la République, cette instance a vu partir mercredi l’ultime magistrat qui pouvait encore assurer le quorum requis pour ses réunions en assemblée plénière...


Plutôt qu’à sa tête, c’est aux griffes de l’indomptable enquêteur qu’on en veut maintenant. Le plus vicieux dans l’entreprise, c’est de s’en remettre, pour l’infâme manucure, aux failles, bizarreries et autres plaies affectant le corps judiciaire libanais.

Issa GORAIEB

igor@lorientlejour.com

Après trois mois de fugue sur le buissonneux chemin du blocage des institutions, qu’il connaît comme sa poche pour l’avoir assidûment pratiqué, voici donc que le tandem Amal-Hezbollah consent à réintégrer le rang. À participer aux réunions du Conseil des ministres. Ou, plus exactement, à autoriser ne serait-ce que la tenue de telles réunions, dont il va jusqu’à fixer lui-même...