Rechercher
Rechercher

Nos Lecteurs ont la Parole

Comment survivre au Liban ?

À part le vaccin, le « survivor » kit est indispensable au quotidien du Libanais, puisque désormais, nous vivons dans un jeu télévisé diffusé en « live ». Je vous explique : ça fait plus de deux ans que, pour vivre, on s’oblige constamment à voir le bon côté des choses, à se réconforter en se disant qu’au moins on a la chance de dormir sous un toit sans avoir réalisé tout ce que nous avons perdu en chemin, et nous nous sommes habitués. Les Libanais s’adaptent partout et à tout. Chez soi, on s’adapte et on continue à vivre privés des droits basiques

Toute personne ayant rêvé vivre comme durant les années 80 a vu son vœu s’exaucer : nous vivons à la chandelle avec des coupures d’électricité.

Nous sommes devenus le pays le plus écologique, à part le fait que le dimanche, on se déplace entre les ordures un peu partout, on ne consomme plus de carburant ; conduire et se déplacer sont devenus un luxe, sans oublier la dévaluation de notre monnaie.

Maintenant, nous vivons avec des injections qu’on prend chaque matin inconsciemment. Des injections qui nous annulent nos sentiments et nos droits basiques parmi tant d’autres choses, mais spécialement notre sentiment de vivre, d’être épanouis.

On ne vit plus. Nous sommes morts avec un cœur bien vivant.

On nous a ôté notre jeunesse, nos plus belles années, nos familles, nos amis. On n’a plus rien.

Notre plus grande force : on se brise chaque jour et on se reconstruit le lendemain.

Vivre au Liban est devenu de la survie ; chaque matin, on se réveille avec des nouvelles, et on le sait, elles sont toujours mauvaises.

Les sujets les plus fréquents de nos journées : « Le dollar est à combien ? »

« Tu as de l’essence ? » « Y a-t-il eu des problèmes aujourd’hui ? »

« Je veux partir ! » « J’ai été accepté ! »

On nous pousse à bout pour qu’on se casse. Pour aller le plus loin possible et ne plus jamais entendre ou évoquer ce sujet, sachant que c’est impossible. On finit toujours par revenir tôt ou tard comme si on nous avait mis un aimant qui ne nous laisse ni oublier ni partir à jamais.

Ce pays si éveillé mais brisé, où vivre rime avec chagrin, déception et peur, sans savoir ce que le lendemain nous prépare, une partie de « call of duty » avec la troisième plus grande explosion au monde.

Oui, nous devons toujours être premiers, on a une réputation à sécuriser... Premiers en partant du bas en tout cas.

Je n’ai jamais eu l’occasion de m’exprimer sur le champignon nucléaire du 4 août parce que, jusqu’à aujourd’hui, j’étais incapable d’en parler. À chaque fois que j’y repense, un flash-back d’images me reviennent et me hantent ; je tremble.

Tout Libanais est traumatisé par ce jour-là, surtout les jeunes, puisque nos parents ont un peu plus l’habitude de vivre ce genre d’événements. Un traumatisme qu’on n’oubliera jamais, qui est ancré en nous pour toujours. Même si on s’en va, ça nous hantera.

Désormais, comment reconnaître un Libanais à des kilomètres ?

Il suffit de renverser une chaise et tu le reconnaîtras par son sursaut, son gémissement et sa main collée à son cœur. Oui, ça, c’est le Libanais de nos jours qui se cache au moindre bruit.

La santé mentale est encore un sujet tabou, même après ça ! Comment ? Comment expliquer à ses enfants ? Même aux adultes ?

Tout le monde a été affecté, certains plus que d’autres. Pourquoi vivons-nous dans une société où l’on n’affiche que le bien mais pas le mal ?

Pourquoi être libanais, c’est n’avoir que des qualités ?

Nous avons tous nos qualités, nos carences et nos peurs. Cela ne fait pas de toi une personne faible ou lâche, mais courageuse de s’assumer et de le montrer pour se démarquer. Normaliser ces faits sans porter de jugement nous fera gagner du temps. Nos imperfections sont notre tache de naissance, notre identité.

Personnellement, je vois la beauté en une personne qui n’a pas honte de ses peurs et ses imperfections. Je me porte volontaire pour l’ouverture du bal. Ces dernières années, j’ai développé de l’anxiété, des crises de panique, et merci à l’évènement du 4 août, des symptômes du PTSD (Post-Traumatic Stress Disorder).

On a l’habitude de vivre dans une société où le jugement règne. Ou on se « croit » plus fort aux dépens des faiblesses des autres pour se cacher derrière les nôtres. Où voir un psychologue est une honte. Où on te fait comprendre de ne pas en parler pour ne pas le regretter. Ça devrait être un secret pour ne pas se « ruiner ». Ne pas montrer que nous sommes vulnérables.

Excusez-moi si j’ai des sentiments, si je suis humaine, quoi !

J’espère qu’en en parlant, j’encouragerais quelqu’un d’autre à s’assumer et ne pas se cacher pour plaire, mais chercher à se plaire soi-même.

Il n’y a plus personne que je connaisse au Liban. Notre pays natal où beaucoup de mes amis devraient y être mais n’y sont plus. Nous sommes éparpillés aux quatre coins du monde et nous essayons de recréer un Liban ailleurs pour se réconforter.

Être Libanais c’est savoir conduire sans feu de signalisation, marcher sans lumière, se réveiller avec le risque d’acheter du pain à un prix monstrueux, avoir constamment un risque d’être empoisonné, ne pas avoir de médicaments pour se soigner, être chanceux de pouvoir prendre un bain chaud ou pouvoir se déplacer, aller au supermarché ayant pris un cachet pour ne pas être très choqué par les prix, se lever et craindre qui va s’en aller et compter combien va-t-il rester, sortir ayant le risque de se faire exploser, ou assister à un jeu télévisé…

On ne peut plus vivre le moment, parce que le vivre veut dire faire face à la réalité, assimiler que toute personne autour de moi sur cette table va s’en aller comme dans un effet de domino, devoir jeter ces 22 années passées avec eux et les souvenirs de jeunesse. Tes amitiés d’enfance avec lesquelles tu as eu la chance de tout voir et tout faire, ceci ne deviendra que du passé, ces années où l’on était bien entouré.

Maints obstacles se mettront en jeu. Est-ce qu’on se retrouvera un jour ? Est-ce que ce sera trop tard ? Pourquoi avoir un avenir doit vouloir dire que c’est ailleurs que nous devons le bâtir ? Pourquoi devrions-nous tout laisser derrière nous pour pouvoir vivre non pas survivre ? Est-ce trop demander ? Une vie normale…

J’ai été très critique parce que c’est dommage de laisser un pays si beau s’effondrer, une patrie qui sourit malgré tout obstacle, qui voit la moindre positivité dans un nuage sombre, où nulle part ailleurs une manifestation se transforme en boîte de nuit sur les routes de la ville, où la joie règne même dans ces moments difficiles. Larmes de joie et de tristesse…, où malgré la pénurie de carburant des vidéos de danse dans les stations-service circulent sur les réseaux sociaux.

Une nation qui sourit toujours avec un cœur en pleurs, où l’union et l’envie d’aider l’autre règne sans même le demander.

Un pays qui ne dort pas, toujours en extase et pressé pour ne rien rater. Des fous ayant comme premier but de s’amuser et de vivre à fond.

Oui ça c’est le Liban qu’on connaît, malgré tous ses défauts, il a sa beauté. J’espère qu’on pourra surmonter et vivre en paix.

Le Liban, une arme à double tranchant. Le Liban, un pays qu’on aime tant. 

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

À part le vaccin, le « survivor » kit est indispensable au quotidien du Libanais, puisque désormais, nous vivons dans un jeu télévisé diffusé en « live ». Je vous explique : ça fait plus de deux ans que, pour vivre, on s’oblige constamment à voir le bon côté des choses, à se réconforter en se disant qu’au moins on a la chance de dormir sous un toit...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut