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Politique - Explosions au port

Comment la condamnation d’une société danoise jette une nouvelle lumière sur l’enquête

L’entreprise Dan Bunkering a été condamnée par un tribunal danois pour avoir violé l’embargo européen contre le régime syrien. Cette société est celle-là même qui avait demandé la saisie du navire Rhosus, au port de Beyrouth, pour « dettes impayées ».

Comment la condamnation d’une société danoise jette une nouvelle lumière sur l’enquête

Le port de Beyrouth après la double explosion survenue le 4 août 2020. Photo d’archives AFP

Le secret de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth (4 août 2020) est farouchement gardé par le juge d’instruction près la Cour de justice en charge du dossier, Tarek Bitar, qui persévère dans son mutisme pour ne rien laisser filtrer de ses investigations en dépit de toutes les critiques lancées contre sa gestion du dossier. Toutefois, un développement majeur survenu récemment au niveau international, et impliquant une société danoise de négoce de carburant dont le nom se retrouve dans l’affaire du port, apporte de nouveaux éléments qui relancent la thèse d’une implication du régime syrien.

Dans les faits, la société danoise Dan Bunkering et son PDG ont été condamnés le 14 décembre par un tribunal danois pour avoir violé les sanctions européennes contre la Syrie en vendant à deux entreprises russes du carburant, aussitôt acheminé vers le port syrien de Banias. Un carburant qui a servi à remplir les réservoirs d’avions de guerre russes qui ont bombardé les régions hostiles au régime syrien, au plus fort des combats dans ce pays, affirme la justice danoise, selon laquelle plus de 30 livraisons de fuel ont été effectuées par la compagnie entre 2015 et 2017. Or il se trouve que cette même compagnie aurait vendu du carburant aux responsables du navire Rhosus, à bord duquel a été transporté le nitrate d’ammonium du port de Beyrouth. Celui-là même qui, après avoir été entreposé pendant des années au port, a explosé le 4 août 2020. Comment le sait-on ? Le cargo avait fait l’objet d’une saisie conservatoire demandée par l’entreprise danoise elle-même, peu après son entrée au port de Beyrouth en novembre 2013. Motif invoqué : factures impayées. Cette saisie avait eu pour principale conséquence d’empêcher le paquebot de quitter le port de la capitale libanaise, initiant un processus au dénouement tragique.

Rôle de premier plan

Interrogées par L’Orient-Le Jour, deux sources proches du dossier de l’explosion au port doutent fort que la saisie ait été motivée par des dettes impayées liées à la vente de fuel, le prix étant, selon elles, généralement réglé lors de la vente. « Pourquoi la société danoise aurait-elle accepté d’accorder un crédit ? » s’interroge l’une d’elles. En tout état de cause, le cargo ayant séjourné pendant une longue période dans le port du Pirée où il aurait fait le plein, avant de se diriger vers Beyrouth, l’entreprise aurait pu réclamer ses droits en Grèce. Pourquoi n’avoir alors demandé la saisie conservatoire du navire que lorsque celui-ci est entré dans les eaux territoriales libanaises ? Les sources proches du dossier suspectent que cette démarche judiciaire ait servi de prétexte pour immobiliser sur place le navire (alors qu’il avait pour destination finale le Mozambique), le temps que le nitrate d’ammonium qui se trouvait à son bord soit déchargé. Si cette thèse se confirme, l’entreprise danoise aurait donc joué un rôle de premier plan dans le maintien de cette marchandise dangereuse dans le hangar numéro 12.

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Par ailleurs, rappelant que la saisie avait finalement été levée, un avocat accompagnant le dossier pose une autre question, celle de savoir qui a payé les prétendues dettes : le propriétaire du cargo ou la société Savaro, propriétaire de la cargaison ? Selon des investigations menées par le journaliste Firas Hatoum pour al-Jadeed, Savaro Limited serait une compagnie fictive servant de paravent à une autre compagnie dont le propriétaire est l’homme d’affaires syrien Georges Haswani, homme de main du régime syrien. Celle-ci serait une filiale d’une société russe appartenant à un milliardaire proche du président Vladimir Poutine.

Recoupements

Joint par L’Orient-Le Jour pour tenter de répondre aux interrogations précédentes, l’avocat Samir Baroudy, membre du cabinet Baroudy & Associates, mandataire de Dan Bunkering, n’a pas souhaité communiquer sur le sujet. Les sources précitées évoquent pour leur part des points de recoupement entre le navire Rhosus et les bateaux de la société accusée par la justice danoise d’avoir transporté le kérosène au profit de l’armée de l’air russe en Syrie. « Une des livraisons de carburant aux intermédiaires russes avait été faite au Pirée, comme cela avait été le cas pour le ravitaillement du navire Rhosus », indique dans ce cadre à L’Orient-Le Jour Firas Hatoum. Il observe en outre que le navire transportant le carburant destiné à la Syrie avait suivi la même route maritime que le Rhosus, soit entre la Turquie, la Grèce et Chypre. « Autant de ressemblances et d’autres (sociétés fictives, liens avec la Russie, etc.) qui, si elles ne constituent pas des preuves irréfutables sur l’implication de parties syriennes dans l’affaire de la double explosion au port de Beyrouth, n’en sont pas moins des points d’interrogation sur lesquels l’enquête devrait répondre », note M. Hatoum.

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Un avis partagé, sous couvert d’anonymat, par un avocat interrogé par L’OLJ. « La condamnation de Dan Bunkering est une piste importante. Aussitôt que Tarek Bitar reprendra en main le dossier de l’enquête, il devra se pencher sur ce développement en adressant une commission rogatoire au Danemark pour demander à la justice de ce pays de mener auprès de la société condamnée des investigations sur les circonstances de l’arrivée du nitrate d’ammonium au port de Beyrouth », juge-t-il. Le 21 décembre, le juge d’instruction a été dessaisi, pour la énième fois, après avoir été notifié d’un nouveau recours en dessaisissement présenté le 15 décembre par les anciens ministres Ali Hassan Khalil et Ghazi Zeaïter, députés du mouvement Amal mis en cause par le juge d’instruction.

Ni subdivisé ni incomplet

Recueillir des éléments liés au volet international de l’enquête est d’autant plus important qu’il semble que Tarek Bitar n’entendrait pas prononcer un acte d’accusation avant de compléter ses investigations tant sur la scène locale qu’à l’étranger. Encore faut-il que les divers États sollicités répondent aux multiples commissions rogatoires qu’il leur a adressées depuis sa prise en charge du dossier, et dont la plupart ne semblent pas avoir eu d’écho à ce jour. Mais aussi que les responsables mis en cause lui laissent un répit entre les recours en dessaisissement portés contre lui pour échapper à ses poursuites. Sans quoi il ne pourra pas poursuivre son enquête. Une haute source judiciaire affirme à cet égard que le magistrat ne rendra pas un acte d’accusation « subdivisé ou incomplet », le code de procédure pénale lui interdisant de le faire. Suivant les informations de cette source, la date de la décision pourrait être retardée de longs mois en raison des obstacles qui se dressent devant le juge.

Le secret de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth (4 août 2020) est farouchement gardé par le juge d’instruction près la Cour de justice en charge du dossier, Tarek Bitar, qui persévère dans son mutisme pour ne rien laisser filtrer de ses investigations en dépit de toutes les critiques lancées contre sa gestion du dossier. Toutefois, un développement majeur survenu...

commentaires (8)

Les secrets de l'explosion du 4 Août 2020 ne seraient  levés qu'après la fin de l'ère Poutine en Russie, mais, qui semble loin de se terminer tôt. A propos, à combien de dollars est estimée la participation de la Russie dans les dons après l'explosion du 4 Août 2020 ?

Esber

06 h 47, le 13 janvier 2022

Tous les commentaires

Commentaires (8)

  • Les secrets de l'explosion du 4 Août 2020 ne seraient  levés qu'après la fin de l'ère Poutine en Russie, mais, qui semble loin de se terminer tôt. A propos, à combien de dollars est estimée la participation de la Russie dans les dons après l'explosion du 4 Août 2020 ?

    Esber

    06 h 47, le 13 janvier 2022

  • Quelle salade russe , tous sont impliqués…..

    Eleni Caridopoulou

    21 h 30, le 12 janvier 2022

  • C'est une histoire abracadabrante , montée de toutes pièces par des services secrets etrangers rompus depuis des décades à ce genre de complots ourdis par des specialistes deu camouflage , et qui disposent en plus de milliards de dollars de budget mis à leur disposition par les puissances qui les embauchent . Si, après l'enquête ratée et inachevée sur l'assassinat de Rafic ( qui rappelle aussi l'assassinat de Kennedy ) , on continue à croire qu'on peut arriver à un résultat tangible , c'est qu'on n'a pas lu les traités et bouquins consacrés au pouvoir de nuisance des services secrets internationaux ! Bravo !

    Chucri Abboud

    13 h 53, le 12 janvier 2022

  • Les 2 personnes que Tarek Bitar veut interroger sont du parti de M Berry. Pourquoi ignorer Berry et ne voir que le Hezb ????

    Nader

    12 h 51, le 12 janvier 2022

  • "Cette saisie avait eu pour principale conséquence d’empêcher le paquebot de quitter le port de la capitale libanaise, initiant un processus au dénouement tragique." Certes, mais qui a ordonné le déchargement du nitrate d'ammonium pour, soi-disant, renflouer le navire? C'est le juge Jad Maalouf, qui n'a même pas été questionné par le juge Bitar! Allez donc savoir pourquoi!!! Il aurait bien pu séquestrer le navire en laissant la cargaison tranquille: maintenant on sait pourquoi! Cette cargaison était destinée au régime syrien, qui l'a bel et bien utilisée pour fabriquer ses "barils explosifs". Pauvre Lokman Slim! Il a payé de sa vie la divulgation de cette vérité!

    Georges MELKI

    11 h 42, le 12 janvier 2022

  • LA COMBINE SYRIE/HEZBOLLAH POUR LE NITRATE AU GRAND JOUR.

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 52, le 12 janvier 2022

  • Tres plausible cette hypothese compte tenu du nombre de “responsables” alliés (pour ne pas dire vendus) aux regimes retrogrades syrien et iranaien.

    Goraieb Nada

    08 h 52, le 12 janvier 2022

  • L’acharnement du hezb à faire dérailler cette enquête est la meilleure preuve de leur implication, ne serait-ce que pour couvrir le régime syrien…

    Gros Gnon

    05 h 39, le 12 janvier 2022

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