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Nos Lecteurs ont la Parole

Plaidoyer perdu d’avance

Votre honneur,

Je ne sais comment débuter cette plaidoirie. Le sujet que je souhaite plaider a été tellement rabâché que ça en est devenu le cliché le plus éculé de l’histoire moderne. Je tiens pourtant à rajouter sans prétention ma pierre à cet édifice auquel maints théoriciens de la chose publique et de la politique, tous bien plus éminents que moi, ont déjà contribué. Permettez-moi donc de m’adresser aux prévenus.

Prévenus. J’aborde ce sujet avec tellement de candeur et je me rends compte que je suis à deux doigts de lâcher ma plume par crainte du ridicule de ma position. Ou de la vôtre. Cela étant, c’est peut-être justement cette candeur qu’il vous faut, puisque vos interlocuteurs habituels et autres contradicteurs de circonstance sont tous sans exception des sherpas de la politique alambiquée et tordue de ce coin du monde. Expertise que je suis loin d’avoir, Dieu merci.

Allez. Candeur. Je me lance donc avec une première question plutôt candide, vous en conviendrez : quand donc avez-vous fini par verser dans la prostitution ? Avant d’avoir vendu vos idéaux au plus offrant ? Après les avoir perdus ? Avant de vous autoproclamer champions du socialisme et du progrès ? Ou après, une fois que votre système féodal a étouffé ce qui restait d’idéal chez vos ouailles ? À moins que ce ne soit avant d’avoir trahi la cause des déshérités ? Après les avoir asservis à votre clientélisme, cette drogue dont dépendent aujourd’hui les enfants et petits-enfants de ceux qui n’avaient déjà rien ?

« Mais à celui qui n’a rien, cela même qu’il a lui sera ôté. » Je ne vous croyais pas si pénétrés de religion…

Quand donc avez-vous vendu votre vertu ? Avant d’avoir renié le serment qui vous reliait à votre patrie ? Après ? Avant d’avoir vendu vos frères d’armes, ceux-là mêmes auprès de qui vous aviez juré de protéger le sol de votre partie, ceux-là mêmes dont votre serment vous rendait responsables ? Ou après avoir baisé la main du maître de ce monde, le fauteuil du pouvoir ?

Avant d’avoir pris les armes ? Après avoir abandonné vos études, vos vocations ? Au cours de vos luttes fratricides qui ont laissé sur le carreau tant de vos frères, de vos alliés ? À partir de quel assassinat l’innocence de votre âme a-t-elle péri ?

Au bout de combien de sesterces avez-vous réussi à changer d’allégeance ? Combien d’expropriés, combien de pauvres hères conduits à la banqueroute aura-t-il fallu pour anesthésier votre conscience ? Combien de fois avez-vous dû courber l’échine, combien de mains, de pieds avez-vous dû baiser pour toucher les piécettes qui vous sont aujourd’hui refusées ?

Quand donc avez-vous décidé d’oublier la piété de vos parents, les préceptes de votre prophète, le dieu de vos maîtres spirituels, celui que vous aviez juré de prier, de servir, pour vous tourner vers d’autres idoles, celles du pouvoir armé, celles de la corruption du pauvre peuple, celles des alliances opportunes et opportunistes ?

N’êtes-vous pas revenus à la raison quand le destin vous a éprouvés dans votre chair ? N’avez-vous pas ressenti l’urgence de vous racheter quand vos pères, vos frères ont été assassinés par une main sans honneur et sans nom ? Quand vos fils ont péri sous les balles ? Quand vous avez été bannis, quand vous avez connu la flétrissure de l’exil, de la fuite, la damnation de la prison, le poison de la calomnie ? Quand la maladie vous a rongés ?

Il fut un temps où vous aviez sans doute d’autres ambitions, d’autres valeurs que celles qui vous font tourner aujourd’hui. Vous étiez nés dans des familles humbles, dans des villages montagneux, des banlieues populaires. Rappelez-vous de cette époque. Puis les premières compromissions, avec vous-mêmes d’abord, petit coup de canif à vos idéaux d’alors, puis, de coup d’épée en coup de sabre, vous êtes devenus les apôtres sans vergogne de démons immémoriaux : la guerre, le pouvoir. La corruption.

Vous êtes trop puissants pour le commun des mortels, on ne peut plus vous atteindre. Vous avez le monopole des armes, du pouvoir, de l’argent. Et surtout la capacité, que dis-je, la malédiction d’accaparer les âmes des pauvres gens qui voient en vous la seule lueur d’espoir et qui sont nombreux à se damner pour consolider votre emprise sur ce qui reste de ce pays, de ce peuple. Vous servez des dieux trop vils, des maîtres trop sombres.

Vous pouvez toujours inverser le cours des choses et éviter de finir dans les poubelles de l’histoire. Faites-le pour la mémoire de vos pères. Faites-le pour laisser autre chose que des dettes infamantes, un héritage qui jette un peu moins l’opprobre sur votre nom. Et si cela ne vous parle pas, faites-le pour faire la une des journaux. Pour vous refaire une virginité. Pour pouvoir vous regarder dans une glace sans vous cracher dessus, que sais-je ! Mais faites-le vite, car bientôt il ne restera plus grand monde pour chanter vos louanges en ce bas monde. Et ne comptez pas trop sur l’au-delà pour vous couvrir de lauriers…

Je n’ai rien à rajouter à cette plaidoirie, votre honneur.


Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « courrier » n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue de L’Orient-Le Jour. Merci de limiter vos textes à un millier de mots ou environ 6 000 caractères, espace compris.

Votre honneur,Je ne sais comment débuter cette plaidoirie. Le sujet que je souhaite plaider a été tellement rabâché que ça en est devenu le cliché le plus éculé de l’histoire moderne. Je tiens pourtant à rajouter sans prétention ma pierre à cet édifice auquel maints théoriciens de la chose publique et de la politique, tous bien plus éminents que moi, ont déjà contribué....

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