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Économie - Congo Hold-up

Qui a « perdu » les millions du fisc congolais ?

Quelque 530 millions de dollars d’avances fiscales de la Gécamines, l’une des plus importantes entreprises publiques de la RDC, ne seraient jamais arrivés dans les caisses du Trésor public. Où sont-ils passés ? La plus grande fuite financière d’Afrique obtenue par l’enquête « Congo Hold-up », permet de retracer une partie du circuit, laissant apparaître des soupçons de détournement de ces fonds. Une Enquête réalisée par « L’Orient-Le Jour » avec Mediapart, RFI et l’ONG Resources Matters, sous l’égide du réseau européen EIC.

Qui a « perdu » les millions du fisc congolais ?

Le siège de la Gécamines à Lubumbashi (RDC). Sonia Rolley/RFI.

C’est un pactole de plus 530 millions de dollars de recettes fiscales dont l’État congolais, le sixième pays le plus pauvre du monde, n’aurait jamais vu la couleur. Entre 2012 et 2020, la Gécamines, la plus grande société minière publique du pays, a versé des « avances fiscales » – des impôts que le ministre des Finances lui a demandé de payer d’avance – correspondant à ce montant sur des comptes ouverts en devises par la Banque centrale congolaise (BCC) dans différentes banques commerciales. Or, « à ce jour, rien de ce montant n’a été encore retracé au compte général du Trésor, en dépit des demandes incessantes de l’Inspection générale des finances (IGF) à la BCC », a indiqué par écrit à « Congo Hold-up » Jules Alingete, le directeur de l’IGF, qui a ouvert en septembre 2021 une enquête sur le scandale. Les « avances fiscales » étaient « des opérations mises en place pour le détournement des deniers publics », ajoute cette administration dans un courrier postérieur, en novembre dernier.

Où est donc passé l’argent ? Si l’enquête est toujours en cours, la fuite de 3,5 millions de documents et données issues de la banque BGFI, obtenue par Mediapart et la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte en Afrique (PPLAAF), permet de lever une petite partie du voile. Les documents montrent en effet que les fonds qui ont été versés à partir du compte de la Gécamines à la filiale congolaise de la BGFI – quelque 12,7 millions de dollars répartis en quatre avances fiscales – semblent avoir été détournés à travers différents canaux, acteurs et modes opératoires –.

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Retraits d’impôts en espèces

Le 1er décembre 2015, la Gécamines vire au compte de la Banque centrale à la BGFI la somme de 5 millions de dollars pour «  avance sur fiscalité  ». Jusqu’ici rien d’anormal : « les paiements fiscaux en devises atterrissent d’abord sur les comptes de la BCC hébergés par des banques commerciales avant d’être crédités sur le compte général du Trésor public à la BCC en monnaie locale », explique un expert bancaire congolais.

Là où l’opération devient étrange, c’est que cette somme est retirée le jour même en liquide. Les instructions qui accompagnent le virement stipulent en effet que le montant soit « mis à disposition (en) espèces (en) dollars américains auprès des guichets de BGFI Kinshasa ».

La somme est ainsi retirée le jour même par un certain Maurice Bwanga Tshinyama, qui repart de la banque avec des mallettes chargées de plusieurs dizaines de milliers de billets (de cent, vingt et dix dollars), en échange d’un reçu. Lors d’un audit interne réalisé en 2018 par le cabinet KPMG, obtenu par « Congo Hold-up », le directeur des opérations de la BGFI RDC, Moreau Kaghoma, a lui-même reconnu le caractère singulier de l’opération, admettant qu’il n’avait pas souvenir d’un autre cas de paiement d’un impôt en liquide. « Congo Hold-up » n’a pas pu vérifier l’identité de M. Tshinyama ni déterminer qui a été le donneur d’ordre réel de cette opération de retrait.

Bordereau de retrait liquide de 5 millions de dollars par Maurice Bwanga Tshinyamaau guichet BGFI Kinshasa le 1 décembre 2015 © Document PPLAAF/Mediapart

Le 7 décembre, un autre retrait d’impôt en liquide a lieu, suite à l’envoi d’un autre ordre de paiement de la Gécamines, ordonnant à la BGFI de verser 3 millions de dollars d’ « avance sur fiscalité » à la BCC. L’argent transite sur un compte interne de la BGFI, duquel 2,15 millions de dollars sont immédiatement transférés sur le compte de la société Minocongo, avec un faux libellé, indiquant que l’opération a ensuite été annulée. Les données prouvent cependant que ce n’est pas le cas, puisque les fonds arrivent à la caisse principale de la banque, d’où l’intégralité de la somme est retirée au guichet.

Minocongo était à l’époque détenue par l’homme d’affaires libanais Saleh Assi. Son nom est incontournable dans le secteur alimentaire en RDC, où il est connu comme le «  roi du pain de Kinshasa  » à travers sa méga-boulangerie industrielle Pain Victoire. Il est également bien connu du Trésor américain, qui l’a sanctionné en 2019 pour financement du Hezbollah. Des accusations qu’il a toujours rejetées, dénonçant des manœuvres de ses concurrents, mais qui ont entraîné le gel de ses biens par la RDC.

Interrogé, Saleh Assi réfute également être impliqué dans l’affaire de la Gécamines : « D’après nos extraits de comptes, l’argent est entré et ressorti dans la foulée, ce qui a été interprété comme une erreur de la banque. Je ne sais pas ce que la BGFI a fait dans ses cuisines internes, ça ne me concerne pas. Ce que je sais c’est que nous n’avons jamais encaissé ni retiré cette somme », martèle-t-il auprès de L’Orient-Le Jour. L’enquête « Congo Hold-up » n’a pas permis d’infirmer ou de confirmer ces propos, ni de déterminer où les fonds ont ensuite atterri.

Ordre de paiement de 3 millions de dollars du compte BGFI de la Gécamine vers celui de la Banque Centrale. © Document PPLAAF/Mediapart.

Une certitude cependant, concernant l’ensemble de ces retraits d’impôts en liquide – totalisant 8 millions de dollars – : « La banque BCC a déjà confirmé que ces fonds n’ont jamais été encaissés par le Trésor public », confirme Jules Alingete, directeur de l’IGF.

Le clan Kabila

La fuite fait aussi état de deux autres avances fiscales liées à la BGFI. L’une, d’un montant de 2,7 millions de dollars, que la Gécamines demande à la BGFI de virer le 30 novembre 2015 vers un compte de la BCC à la Rawbank, une autre banque congolaise. Si à ce jour l’avance n’a toujours pas été validée sur le compte général du Trésor, l’enquête n’a pas permis de retracer la destination finale des fonds. Contactée, Rawbank n’a pas souhaité commenter en vertu du secret bancaire, tandis que la BCC et son ancien gouverneur, Deogratias Mutombo, n’ont pas donné suite à nos demandes.

Enfin, le 13 juin 2016, une autre avance de deux millions de dollars atterrit, elle, directement sur le compte de Sud Oil, sans même passer par la Banque centrale. L’entreprise, sous le contrôle effectif de Francis Selemani, le frère adoptif de Joseph Kabila et président de la BGFI RDC jusqu’en 2018, est déjà au cœur d’un détournement de plus de 92 millions de dollars de fonds publics révélé par l’enquête « Congo Hold-up » .

Cette transaction suspecte a pourtant alerté les auditeurs des comptes de la BGFI en avril 2018, provoquant la panique dans le clan Kabila ; Sud Oil se résout ainsi à rembourser l’argent tout en prenant soin d’effacer toute trace de la manœuvre, grâce à une opération d’antidatage réalisée avec l’aide de la BGFI et permettant de faire passer a posteriori le virement de la Gécamines pour une simple erreur d’aiguillage rectifiée dans la foulée (alors qu’en réalité, elle l’est deux ans plus tard). Contactés par « Congo Hold-up », la BGFI RDC, la Gécamines et leurs dirigeants de l’époque n’ont pas répondu.

Document de la BGFI montrant que la transaction a été passée le 13 avril 2018, mais antidatée au 13 juin 2016. © Document PPLAAF/Mediapart

Les conflits d’intérêt à tous niveaux pourraient expliquer comment ces avances fiscales ont pu se « volatiliser » si facilement : outre la BGFI, qui gère les comptes, les deux autres parties prenantes sont également dirigées par piliers du pouvoir – la Gécamines par le très influent homme d’affaires Albert Yuma, un des piliers du régime, et la BCC, qui est censée les transférer au Trésor, par l’économiste Deogratias Mutombo –. Ce dernier a démissionné de ses fonctions sans avancer de raison en juillet dernier, tandis qu’Albert Yuma vient d’être révoqué par le nouveau président de la République Félix Tshisekedi, quelques jours après la publication des premiers volets de l’enquête « Congo Hold-up ». Enfin, recontactée cette semaine afin de savoir si l’enquête sur les avances fiscales avait progressé et avait abouti à un chiffrage précis du préjudice de l’État, l’IGF n’a pas répondu.

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commentaires (1)

qui a - gagne- ce mpntant ? le tout mignon george cordahy devrit savoir y repondre. mais en tous cas le RDC est loin d'avoir souffert autant que nous au Liban , souffert de fraude, de corruption et de hauts crimes financiers.

Gaby SIOUFI

10 h 15, le 16 décembre 2021

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Commentaires (1)

  • qui a - gagne- ce mpntant ? le tout mignon george cordahy devrit savoir y repondre. mais en tous cas le RDC est loin d'avoir souffert autant que nous au Liban , souffert de fraude, de corruption et de hauts crimes financiers.

    Gaby SIOUFI

    10 h 15, le 16 décembre 2021

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