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Moyen-Orient - Éclairage

Visite inédite d’une délégation émiratie à Téhéran

Face à la possibilité d’un échec des pourparlers sur le nucléaire, Abou Dhabi cherche à maintenir un canal de communication avec Téhéran, mais aussi à éviter de faire les frais d’une confrontation entre Washington et la République islamique.

Visite inédite d’une délégation émiratie à Téhéran

Le négociateur en chef iranien sur le nucléaire, Ali Bagheri Kani, entouré du conseiller diplomatique du président émirati, Anwar Gargash, et du ministre d’État émirati des Affaires étrangères Khalifa Chahine Almarar, lors de sa visite à Dubaï le 24 novembre 2021. Reuters/Wam News Agency

C’est une visite officielle inédite depuis 2016. Une délégation émiratie, qui devrait être dirigée par cheikh Tahnoun ben Zayed, conseiller à la Sécurité nationale et frère du prince héritier d’Abou Dhabi, est attendue aujourd’hui à Téhéran. Alors que les relations entre les Émirats arabes unis et l’Iran s’étaient particulièrement dégradées au cours de ces dernières années, ce voyage marque une étape supplémentaire dans les efforts de désescalade au niveau régional. Pressentie depuis quelques semaines déjà, l’idée de cette rencontre est de « tourner une nouvelle page » dans les rapports entre la République islamique et les Émirats arabes unis, a indiqué Anwar Gargash, conseiller diplomatique du président émirati. Ce déplacement officiel intervient dans un contexte régional d’apaisement des tensions et de rapprochements opérés entre ennemis d’hier, auquel contribuent activement les EAU avec ce qui semble être leur nouvelle doctrine en politique étrangère.

Abou Dhabi a déjà normalisé ses relations avec Israël avec la signature des accords d’Abraham fin 2020. La Fédération émiratie s’est également rapprochée de la Syrie où son ministre des Affaires étrangères Abdullah ben Zayed s’est rendu le 9 novembre dernier pour rencontrer Bachar el-Assad, et plus récemment de la Turquie où le prince héritier d’Abou Dhabi a été reçu par le président Recep Tayyip Erdogan. « Pour de nombreuses raisons, la région du Golfe s’est orientée vers la réconciliation plutôt que vers la confrontation, et la visite de cheikh Tahnoun en Iran s’inscrit dans cette tendance générale. Ce déplacement est important car il se déroule avec en arrière-plan les négociations sur le nucléaire iranien ainsi que plusieurs séries de pourparlers entre l’Arabie saoudite et l’Iran », note Dania Thafer, directrice exécutive de l’institut Gulf International Forum (GIF), basé à Washington.Au cœur des préoccupations d’Abou Dhabi, la stabilité régionale était déjà au menu de la visite expresse d’Emmanuel Macron à Dubaï vendredi dernier, alors que la France fait avec les Allemands et les Anglais la navette entre les Iraniens et les Américains dans les pourparlers en cours pour revenir à l’accord sur le nucléaire de 2015, dont Washington s’était retiré unilatéralement en 2018. Les Occidentaux ont exprimé en fin de semaine dernière leur pessimisme quant au succès des négociations à Vienne face aux demandes iraniennes jugées maximalistes. Depuis Dubaï, le président français a ainsi réitéré son souhait d’élargir le cercle des participants en affirmant qu’il était « très difficile de trouver un accord si les pays du Golfe, Israël et tous ceux qui sont directement touchés dans leur sécurité, n’en sont pas partie prenante ». Jusque-là, Téhéran a toujours refusé de lier les questions de son programme balistique et de ses activités régionales au dossier du nucléaire, arguant que cela devrait faire l’objet de discussions séparées. Face à la possibilité d’un échec des pourparlers sur le nucléaire, Abou Dhabi cherche à maintenir un canal de communication avec Téhéran mais aussi à éviter de faire les frais d’une confrontation entre Washington et la République islamique.

Atténuer les risques de confrontation
Des contacts auraient été lancés en ce sens dès l’automne 2019 entre la Fédération émiratie et la République islamique, après que des groupes houthis opérant du Yémen et soutenus par l’Iran avaient touché un mois plus tôt des installations pétrolières d’Aramco en Arabie saoudite, entraînant une chute de la production pendant quelques semaines. Selon le site d’information Middle East Eye, cheikh Tahnoun aurait été dépêché en mission secrète à Téhéran à l’époque pour apaiser les tensions dans le Golfe, tandis que la fédération émiratie s’était abstenue d’accuser l’Iran après l’attaque de quatre pétroliers dans ses eaux territoriales près du détroit d’Ormuz en mai de la même année, attribuée par les renseignements américains aux gardiens de la révolution. Cette visite s’inscrivait aussi dans le cadre d’efforts entrepris en coulisses par différents intermédiaires comme le Pakistan et l’Irak pour atténuer les risques de confrontation directe entre la République islamique et le royaume wahhabite. Ce n’est qu’en avril dernier que Riyad a repris langue avec Téhéran par l’intermédiaire de Bagdad, alors que les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues depuis 2016. « Le président iranien Ebrahim Raïssi avait mentionné après son élection en juin qu’un des piliers de sa politique serait d’améliorer les relations avec les voisins arabes du Golfe », affirme Dania Thafer. Jusque-là cependant, les résultats ne semblent pas probants, sachant que la priorité saoudienne est de sortir du conflit yéménite où le royaume mène une coalition militaire en appui aux forces gouvernementales contre les rebelles houthis.

Préparée grâce à des contacts préalables ces dernières semaines, la visite de la délégation émiratie à Téhéran aurait donc pour objectif de sortir de l’impasse et de contribuer au climat de détente qui s’installe dans un Moyen-Orient délaissé par les États-Unis, l’administration de Joe Biden poursuivant le désengagement américain de la région et le recentrage de sa politique étrangère vers l’Asie. « Les EAU veulent être reconnus comme des artisans de la paix », affirme Abdulkhaleq Abdulla, professeur de sciences politiques aux EAU.

Sur le plan économique, la politique de « pression maximale » à base de sanctions contre l’Iran, lancée par Donald Trump après le retrait américain de l’accord nucléaire, a contribué à aggraver la crise que traverse le pays. Sachant que cheikh Tahnoun est aussi le président de deux sociétés émiraties, des investissements pourraient être mis dans la balance lors de sa visite pour obtenir des concessions en signe de bonne volonté, alors qu’Abou Dhabi réclame depuis 50 ans sa souveraineté sur les trois îles Abou Moussa, Grande Tomb et Petite Tomb, occupées par l’Iran.

C’est une visite officielle inédite depuis 2016. Une délégation émiratie, qui devrait être dirigée par cheikh Tahnoun ben Zayed, conseiller à la Sécurité nationale et frère du prince héritier d’Abou Dhabi, est attendue aujourd’hui à Téhéran. Alors que les relations entre les Émirats arabes unis et l’Iran s’étaient particulièrement dégradées au cours de ces dernières...

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