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Moyen-Orient - Éclairage

Moqtada el-Sadr à la recherche du trône irakien introuvable

Alors que la commission électorale a confirmé les résultats électoraux du scrutin législatif d’octobre dans un contexte hautement tendu, le clerc chiite faiseur de roi doit affronter un casse-tête politique et stratégique pour former un gouvernement.

Moqtada el-Sadr à la recherche du trône irakien introuvable

Un Irakien arbore une image du clerc chiite Moqtada el-Sadr lors de la prière du vendredi dans le district de Sadr City, à Bagdad, le 3 décembre 2021. Ahmad al-Rubaye/AFP

Le couronnement avait eu lieu en octobre dernier ; la commission électorale irakienne a confirmé le sacre mardi. Et la Cour fédérale devrait ratifier les résultats la semaine prochaine. Fort de 73 sièges sur les 329 qui composent le Parlement, le chef du mouvement sadriste, le clerc chiite Moqtada el-Sadr, est sans conteste le grand vainqueur du scrutin législatif d’octobre. En revanche, ce succès tranche avec le net revers – entériné lui aussi – de l’Alliance du Fateh, colonne vertébrale du camp dit pro-iranien et bras politique de la coalition paramilitaire d’al-Hachd ach-Chaabi (PMF) majoritairement liée à Téhéran, qui est passé depuis l’élection de 2018 de 48 à 17 sièges. Une déconvenue à la fois nourrie par le « ras-le-bol » d’une partie importante de la population face à la circulation incontrôlée des armes et à l’hégémonie iranienne, ainsi que par l’incapacité des milices à naviguer dans les eaux du nouveau système électoral. Depuis plus d’un mois et demi, elles accusent le coup, crient à la fraude, insinuent que le Premier ministre sortant Moustapha el-Kazimi aurait manigancé contre elles et pointent du doigt les ingérences de Washington et d’Abou Dhabi. Or, selon les résultats définitifs rendus dans ce contexte ultratendu, seuls cinq sièges ont dû être réattribués. Ils concernent Bagdad, Erbil, Ninive et Bassora.

Pour un gouvernement de majorité

En théorie, Moqtada el-Sadr peut fanfaronner. Mais, en pratique, la nature du système politique irakien et la polarisation des lignes – dont l’acmé a été atteinte le 7 novembre à travers la tentative d’assassinat imputée aux factions pro-Téhéran contre M. Kazimi, avec qui M. Sadr avait bâti un marché tacite en vue des élections – ne laissent pas vraiment la voie libre au trublion chiite connu en outre pour son humeur changeante, chantre un jour de la révolution, héraut le lendemain de ses pourfendeurs. Celui qui assure aujourd’hui n’envisager rien d’autre qu’un gouvernement de majorité pourrait en effet bientôt changer son fusil d’épaule et se rabattre sur la formule déjà largement éprouvée du consensus.

« La Cour fédérale doit gérer ces appels de manière impartiale et légale et ne pas se soumettre aux pressions politiques », avait lancé Moqtada el-Sadr le 23 novembre, une semaine avant le verdict de la commission. L’homme fort d’Irak se montrait alors pressé comme s’il voulait empêcher que ses principaux rivaux regroupés au sein du cadre de coordination chiite – qu’il a quitté en juillet – gagnent du temps pour engranger des gains stratégiques qui pourraient l’affaiblir. Quelques jours plus tôt, il avait en outre réaffirmé que les démarches entreprises par ses adversaires contre les résultats électoraux visaient surtout à mettre à mal la possibilité de former un gouvernement de majorité, puisque celui-ci les renverrait dans les rangs de l’opposition durant quatre longues années. D’autant que dans ces conditions, le faiseur de roi serait le seul leader chiite ou presque à trôner du côté des gagnants.

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Sauf que dans les faits, les aspirations affichées du clerc pourraient ne jamais se concrétiser. D’abord parce qu’il n’est pas sûr que dans le fond lui-même veuille se trouver à la fois dans les coulisses du pouvoir et sur la scène. Depuis 2018, le mouvement sadriste a en effet accru de manière exponentielle sa mainmise sur des secteurs-clés de l’économie et du pouvoir, même si les racines de cette emprise précèdent le triomphe d’il y a trois ans. Arrivé alors en tête du scrutin, il a préféré ignorer les postes ministériels que ce succès lui permettait de briguer pour privilégier les grades spéciaux. Près de 200 postes sous-ministériels ont été obtenus par le courant, selon un rapport du Chatham House datant de la mi-juin. Dans ces conditions, même si les sadristes sont directement impliqués dans la corruption endémique qui gangrène toutes les strates du pouvoir et qui est dénoncée avec véhémence par l’intifada d’octobre 2019, leur absence de l’affiche officielle leur a permis de cultiver une rhétorique antisystème… tout en faisant partie intégrante de celui-ci. « C’est une responsabilité majeure qui pourrait conduire à l’échec, donc personne ne veut l’assumer pour le moment, surtout si les autres acteurs ne sont pas d’accord ou même contre le processus », explique Hayder al-Shakeri, chercheur associé au sein du Chatham House.

À quoi s’ajoute le fait que son alliance avec la formation sunnite Taqaddum et le parti kurde du KDP est bancale. Dans un pays majoritairement chiite où le système est confessionnel, comment justifier la formation d’un gouvernement de majorité sans aucun appui chiite ? « Sans la bénédiction du cadre de coordination chiite, le KDP tout comme Taqaddum et d’autres seront peu disposés à prendre le risque de s’allier, seuls, avec les sadristes », estime M. Shakeri.

Méli-mélo

Les formations restantes au sein du cadre de coordination soutiennent de leur côté l’idée d’un gouvernement par consensus. On y trouve, entre autres, l’alliance du Fateh emmenée par Hadi el-Ameri, la coalition pour l’État de droit de Nouri el-Maliki, ou encore la coalition des « forces de l’État » dirigée par le leader du Courant de la sagesse nationale Ammar al-Hakim et l’ancien Premier ministre Haider al-Abadi. Avant le scrutin, ces deux derniers étaient supposés se rallier à Moqtada el-Sadr. Mais leurs piètres scores s’accordent mal avec les ambitions majoritaires du clerc. Au point qu’ils ont opéré un virage à 180 degrés et s’alignent désormais sur les autres formations membres de cet organisme. Les deux camps rivaux – celui d’un Sadr défenseur d’un nationalisme chiite distant de Téhéran et celui des PMF proches de l’Iran – ont publié le 2 décembre des déclarations au son de cloche sensiblement différent après s’être rencontrés pour discuter de la formation du gouvernement. Tandis que Moqtada el-Sadr a réaffirmé sa vision d’un leadership de majorité nationale, les autres partis ont déclaré qu’il y avait eu un accord pour sélectionner le prochain Premier ministre par consensus. Des échos distincts mais pas forcément contradictoires. Car déjà en amont des élections, M. Sadr était revenu sur ses dires selon lesquels le prochain chef de gouvernement devait être issu de ses rangs. Et plusieurs sources concordaient alors pour évoquer un deal entre lui et M. Kazimi, un « indépendant ». Le premier soutiendrait le second pour qu’il soit reconduit à son poste, tandis qu’en échange, le second devait renoncer à se présenter aux élections.

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Moqtada el-Sadr a beau être le protagoniste le plus puissant aujourd’hui, disposer de ressources économiques, politiques et militaires considérables, la balle n’est pas entièrement dans son camp. L’alliance du Fateh, qui dispose elle aussi d’une certaine marge de manœuvre, peut décider de poursuivre l’escalade dans la rue ou d’accepter le principe de la négociation, comme a semblé le signaler la rencontre de jeudi. L’imprévisible clerc peut poursuivre son chemin vers la formation d’un gouvernement majoritaire, mais il prend ainsi le risque d’une déroute si ses rivaux parviennent à le doubler en unissant leurs rangs et en remportant le soutien d’une partie des indépendants, même si ce scénario reste improbable. Ou alors, faire le choix de la continuité. « Il y aura une sorte de gouvernement de consensus où les partis auront des parts dans diverses fonctions publiques », avance M. Shakeri. « On observe des discussions publiques et privées entre politiciens pour se partager les “parts” dans le prochain gouvernement avant d’entamer le processus formel. » Le but étant de trouver une solution « qui satisfasse toutes les élites politiques », vainqueurs et vaincus. Seule éclaircie pour tenter de contrer ces éternels recommencements, la percée du mouvement Emtidad issu de l’intifada d’octobre ainsi que de quelques autres indépendants bien décidés à rejoindre l’opposition aux partis traditionnels.

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