Rechercher
Rechercher

Culture - Livre

La plume et le brio de Rose Lamy, contre le sexisme des médias

À la faveur de son brillant ouvrage « Défaire le discours sexiste dans les médias » (JC Lattès), la fondatrice du compte Instagram Préparez-vous pour la bagarre* qui compte près de 200 000 abonnés desquame et dénonce les mécanismes sexistes et antiféministes que les médias continuent de perpétuer. Une analyse au scalpel qui se dévore avec l’impression de se prendre une claque, mais une claque nécessaire.

La plume et le brio de Rose Lamy, contre le sexisme des médias

Rose Lamy cartographie les méthodes plus ou moins évidentes par lesquels les médias finissent invariablement par exonérer les (hommes) coupables et presque blâmer les (femmes) victimes. Photo Tay Calenda

« On ne m’aurait pas crue si je m’étais contentée d’affirmer que les médias perpétuent les violences sexistes et sexuelles, c’était trop gros. On ne croit jamais les femmes sur parole. Il fallait rassembler des preuves édifiantes, solides, nombreuses. Alors je l’ai fait. » S’il fallait résumer en une poignée de phrases Défaire le discours sexiste dans les médias, le premier ouvrage de Rose Lamy (un pseudonyme) paru aux éditions JC Lattès, c’est cet extrait, clôturant son introduction, qu’on devrait retenir. Ainsi, en près de 300 pages dont aucune ne recèle une once de gras ou ne cède à une colère facile, celle que l’on pourrait qualifier avec une certaine facilité de « militante féministe » se prête au défi de démontrer, par des faits, des chiffres, des études, des coupures de presse, des déclarations dans des émissions télé ou radio, bref, que des preuves impossi

bles à réfuter, à quel point les médias perpétuent le même sexisme ordinaire et révoltant. Mais ce qu’elle révèle surtout, c’est le pouvoir néfaste d’une presse qui ne cesse de mettre des bâtons dans les roues des combats féministes. Un constat aussi glaçant que nécessaire.


Bertrand Cantat, DSK et Denis Baupin

Pourtant, initialement, cette auteure qui signe sous le pseudonyme de Rose Lamy « par peur des haters des réseaux sociaux » comme elle le confie dans un entretien au Monde ne se prédestinait pas nécessairement à l’écriture. Elle perd son père à l’âge de 4 ans et grandit dans la région du Centre, dans un environnement très matriarcal – entourée de sa mère, de ses trois sœurs et de sa grand-mère –, avant d’entreprendre des études d’histoire à Tours, où, dit-elle, « se construit sa conscience politique et féministe » dont elle n’avait aucun bagage. Mais le réel déclic, quoi qu’inconscient, a lieu en 2003, provoqué par un drame que la presse relègue presque au plan de « fait divers ». Cette année-là, l’actrice Marie Trintignant décède sous les coups que lui porte son compagnon le chanteur du groupe Noir Désir, Bertrand Cantat, et Rose Lamy, alors âgée de 19 ans, a l’impression que « quelque chose cloche, quelque chose pue » dans la manière dont les médias traitent cette affaire. « Marie Trintignant n’existe plus en tant que personne, elle est devenue l’instrument de la chute d’un homme prodigieux. Un simple dommage collatéral », écrit-elle à la douzième page de son livre. Rebelote, en 2011, elle épluche les infos relayées par rapport à l’affaire DSK-Nafissatou Diallo, et lui saute aux yeux ce procédé insidieux par lequel les médias transforment cette agression sexuelle en « troussage de domestique ». En planchant jusqu’à l’obsession sur ces deux affaires, puis celle du député Denis Baupin en 2016, elle cartographie les méthodes plus ou moins évidentes par lesquels les médias finissent invariablement par exonérer les (hommes) coupables et presque blâmer les (femmes) victimes. À la lumière de ces bribes d’entretiens, de ces phrases perdues au milieu d’articles, de ces titres où le placement d’un mot peut changer le narratif, elle constate vraisemblablement qu’« il n’y a pas de dérapages, seulement des calculs et des stratégies qui fabriquent l’opinion ». « J’ai progressivement réalisé que le discours médiatique contre les femmes n’était ni accidentel ni anecdotique. Et qu’il était temps de l’exposer pour le défaire », lit-on à la page 20 de Défaire le discours sexiste dans les médias. En 2019, alors qu’elle officie en tant que communicante au sein de la SNCF, un milieu qui n’est pas épargné par les agressions et violences sexistes, Rosy Lamy démarre un compte Instagram à l’appellation assez géniale Préparez-vous pour la bagarre, en ne pensant pas un instant que moins de trois ans plus tard, près de 200 000 personnes lui emboîteront le pas.

Le choix d’un mot ou d’une virgule

Rose Lamy explique sa démarche de la sorte : « Depuis trois ans, je collecte et décortique des centaines d’exemples d’un discours sexiste dans la presse, à la télévision ou à la radio. Ce sexisme ne dit jamais son nom, mais c’est bien lui qui conduit les rédactions à taire ou à reléguer les violences sexuelles en périphérie des journaux. Lui qui se loge dans le choix d’un mot ou d’une virgule, participant à la culpabilisation des victimes et à la déresponsabilisation des accusés. Comment lutter contre le sexisme quand il est perpétué et amplifié par les médias ? Il est temps d’explorer les fondements de ce discours, pour en défaire les mécanismes et nous en libérer. » Bien entendu, le nombre d’abonnés qui affluent sur le compte de cette lanceuse d’alerte réinventée n’ont d’égal que la quantité d’insultes, de menaces et harcèlement qu’elle reçoit quotidiennement. Ce qui, d’une certaine façon, fait enfler sa colère et la pousse à ne pas reculer face à cette bataille qui lui semble plus importante que jamais. En 2020, Jeanne Morosoff, éditrice chez JC Lattès, approche Rose Lamy et lui propose de reconfigurer, dans un bouquin, toute cette base de données précieuse qu’elle avait jusqu’alors réservée à son compte Instagram. C’est ainsi que Défaire le discours sexiste dans les médias voit le jour. Sur 300 pages, Rose Lamy déploie ses armes, c’est-à-dire des chiffres, des faits, des études qu’elle enrubanne dans une intelligence et même parfois un sarcasme dont on ressort sonné, comme après avoir pris une claque. Mais une claque nécessaire. C’est que l’auteure desquame, à la virgule près, les formules grammaticales, les champs lexicaux, le choix des termes, bref, tous ces outils utilisés par les médias pour atténuer l’action des hommes et aller jusqu’à responsabiliser les femmes des crimes dont elles sont victimes. Tout un mécanisme qui, une fois en place, met de l’huile dans les rouages de cette machine qui s’appelle la culture du viol. Il y est question d’un tas de mythes qui passent sous le scalpel de Rose Lamy, celui des accusés qui ne correspondent pas au profil d’un agresseur, par exemple cet homme de 90 ans qui viole sa petite-fille et que la presse qualifie gentiment de « papy qui dérape ». Celui de la féministe hystérique qui veut la peau de la gent masculine, de la femme violée par un homme plus riche et qui est systématiquement taxée de « pute qui cherche à se faire de l’argent », ou celui de la victime qui finit par douter de sa propre parole, sous le poids du trauma, et qui devient alors une cible facile pour les médias. En passant tout cela au travers de son analyse pertinente et bien ficelée, Rose Lamy réalise une sorte de manuel du sexisme sur lequel il conviendrait vraiment de se pencher, afin de réaliser à quel point, oui, il y a du chemin à faire en termes d’égalités, mais que la bagarre sera gagnée tant que les femmes auront des « amies » comme Lamy.

« Défaire le discours sexiste dans les médias » de Rose Lamy, aux éditions JC Lattès.

*https://www.instagram.com/preparez_vous_pour_la_bagarre/

« On ne m’aurait pas crue si je m’étais contentée d’affirmer que les médias perpétuent les violences sexistes et sexuelles, c’était trop gros. On ne croit jamais les femmes sur parole. Il fallait rassembler des preuves édifiantes, solides, nombreuses. Alors je l’ai fait. » S’il fallait résumer en une poignée de phrases Défaire le discours sexiste dans les médias,...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut