Rechercher
Rechercher

Économie - Crise

Négociations FMI/Liban : où en est-on vraiment ?

Le désaccord qui existait au printemps 2020 autour des montants unifiés des pertes financières à prendre semble demeurer l’obstacle le plus immédiat au progrès des discussions avec le Fonds monétaire international.

Négociations FMI/Liban : où en est-on vraiment ?

Les négociations entre le Liban et le Fonds monétaire international ont repris après plus d’un an d’interruption. Photo d’archives AFP

Après leur échec en juillet 2020 en raison d’une discorde côté libanais concernant le montant des pertes du secteur financier, les négociations entre le Liban et le Fonds monétaire international (FMI) ont enfin repris cet automne. L’interruption a donc duré plus d’un an, période pendant laquelle une large partie de la population libanaise a, elle, continué de sombrer dans la pauvreté. En un peu plus de deux ans, la monnaie nationale a perdu 90 % de sa valeur, les prix à la consommation ont triplé et la plupart des subventions sur les biens essentiels, notamment le carburant et les médicaments, ont été supprimées. Une situation qui a poussé Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’homme, à exhorter, le 12 novembre courant lors d’une visite à Beyrouth, le Liban à saisir « la dernière chance » qui s’offrait à lui « avant qu’il ne s’effondre et ne devienne un État failli ». Malgré le blocage politique qui freine les travaux du cabinet, les responsables du gouvernement ont exprimé l’espoir de stabiliser l’économie en concluant un accord préliminaire avec le FMI avant la fin de l’année. Nombreux sont ceux qui doutent de la concrétisation de cet espoir.

Du jamais-vu

Pour Henri Chaoul, ancien conseiller du ministre des Finances au sein du gouvernement de Hassane Diab, interrogé par L’Orient Today, le processus de négociation avec le FMI n’est qu’« une parade ». Selon lui, le gouvernement est incapable de faire avancer le dossier. En 2020, Henri Chaoul avait joué un rôle essentiel dans l’élaboration du plan de redressement financier du gouvernement ainsi qu’au sein de l’équipe de négociation avec le FMI. Il avait démissionné cinq mois après sa nomination en tant que conseiller, frustré par le manque de progrès, mais aussi par les actions de certains responsables qui, selon lui, cherchaient à saper les négociations de l’intérieur.

Dans une récente interview diffusée par la chaîné LBCI, le vice-Premier ministre Saadé Chami, lui-même un ancien du FMI, a, lui, déclaré que « le Liban traverse une crise exceptionnelle à multiples facettes ». Une crise « d’un genre que je n’ai jamais vu en 20 ans de carrière au FMI », avait-il ajouté. Saadé Chami a été nommé au sein du cabinet de Nagib Mikati pour traiter avec le FMI, négocier avec les créanciers et travailler sur la restructuration du secteur bancaire, entre autres dossiers urgents.

Lors de cette interview, le vice-Premier ministre a également rappelé que le Liban avait candidaté au programme de facilité élargie de financement (Extended Fund Facility – EFF) du FMI, conçu pour fournir une assistance aux pays connaissant de graves déséquilibres de paiement. Ce programme est généralement approuvé pour des périodes de trois ans mais peut être prolongé d’une année supplémentaire. Ce EFF peut ensuite être remboursé sur quatre à dix ans en versements semestriels égaux, contrairement aux autres options de financement à plus court terme proposées par le FMI.

Le montant du financement auquel le Liban peut accéder par an est déterminé par sa quote-part de droits de tirage spéciaux (DTS). Lors de son adhésion au FMI, chaque pays doit payer une cotisation (ou une quote-part) d’« adhésion » unique et largement basée sur sa position relative dans l’économie mondiale. Ces cotisations des pays membres permettent au FMI de rassembler des fonds qui sont ensuite prêtés aux États défaillants. Les quotas sont révisés de manière périodique par le conseil des gouverneurs du FMI, déterminant en fin de compte le pouvoir de vote du pays et, plus tard, son accès aux financements du FMI. Ces quotas sont mesurés en DTS, c’est-à-dire une unité de compte utilisée par le FMI et d’autres organisations internationales, dont la valeur est basée sur un panier de cinq devises – le dollar américain, l’euro, le renminbi chinois, le yen japonais et la livre sterling britannique. Un DTS équivaut actuellement à 1,40 dollar.

Dans le cadre du programme EFF, le Liban peut éventuellement accéder à 145 % de son quota annuel de DTS qui s’élève actuellement à 633,5 millions de DTS, soit 1,28 milliard de dollars. Sur une période de trois ans, le montant total en accès normal s’élève à 3,8 milliards de dollars ; sur une période de quatre ans, il atteint 5 milliards de dollars. Saadé Chami a également laissé entendre qu’un accès exceptionnel peut être offert au cas par cas, ce qui pourrait faire passer le crédit entre 7 et 8 milliards de dollars.

Pour les experts, parvenir à un accord avec le FMI est non seulement important pour permettre au Liban d’accéder à ces fonds, mais aussi pour prouver à la communauté internationale que le pays est sérieux au sujet de ses réformes. Si le financement du FMI à lui seul ne suffira pas à réduire considérablement la crise, il pourrait ouvrir la voie à d’autres aides potentielles. Plus important encore, cela pourrait rassurer les potentiels investisseurs.

« Nous pouvons le faire sans le FMI, mais avec l’aide du FMI, ce sera plus rapide et cela donnera plus de crédibilité », expliquait Sami Geadah, ancien directeur exécutif suppléant au conseil d’administration du FMI représentant le Liban, lors d’un récent webinaire du projet LIFE Liban (Livelihood and Inclusive Finance Expansion Project). L’aide du FMI contribuera à mettre plus rapidement le Liban sur le chemin d’une reprise économique, a-t-il soutenu, mais le point le plus important pour l’ensemble du programme est d’atteindre la soutenabilité de la dette, c’est-à-dire la capacité d’un État à rembourser ses emprunts et donc sa solvabilité. Cela signifie que le gouvernement peut s’acquitter de ses obligations à l’avenir sans avoir besoin d’une aide future.

Sami Geadah a également ajouté que l’objectif précédent du FMI pour la soutenabilité de la dette des pays émergents était plus rigide, généralement fixé à 70 % du produit intérieur brut (PIB). Récemment, le FMI a toutefois déployé une nouvelle méthodologie qui prend en considération plusieurs autres facteurs, tels que les échéances, le service de la dette et l’identité des créanciers de la dette. Cela dit, quel que soit l’objectif, l’ancien directeur a souligné que pour que la dette du Liban tombe à des niveaux acceptables, elle doit être considérablement réduite.

Quelles perspectives ?

Le désaccord autour d’un chiffre unifié pour les pertes du secteur financier fut la principale raison de la rupture des négociations entre le gouvernement libanais et le FMI en 2020. Le différend a conduit à la démission d’Henri Chaoul, suivie de celle d’Alain Bifani, alors directeur général du ministère des Finances. Le gouvernement de l’époque avait estimé les pertes à plus de 70 milliards de dollars. Mais la Banque du Liban (BDL), le secteur bancaire et certains membres du Parlement avaient fermement contesté ce chiffre, affirmant que leur calcul montrait que l’ampleur des pertes n’était qu’entre le quart et la moitié du montant avancé par le gouvernement.

« Les responsables peuvent donner l’impression de coopérer, mais à tout moment, ils peuvent changer de stratégie. Regardez ce qui s’est passé en 2020 : tout le monde coopérait avec nous sur le plan jusqu’à ce qu’ils se soient retournés contre nous », déclare à L’Orient Today Henri Chaoul, ajoutant que « Riad Salamé, les banques et les fonctionnaires qui sont de connivence avec eux n’ont aucun intérêt à trouver une solution ». Au final, « c’est le pays qui en fait les frais », ajoute-t-il.

Lire aussi

Les discussions techniques avec le FMI sont « presque terminées », assure le vice-Premier ministre

À l’heure actuelle, le gouvernement de Nagib Mikati, paralysé par un différend politique sur l’avenir de l’enquête sur la double explosion au port de Beyrouth et de celui qui en est en charge, le juge d’instruction Tarek Bitar, a fait de sa survie sa priorité. Dans la déclaration ministérielle de son gouvernement toutefois, le Premier ministre s’était posé en défenseur ferme des négociations avec le FMI. Pour cela, il avait annoncé la formation d’une équipe de négociation dirigée par Saadé Chami, le ministre des Finances Youssef Khalil, le ministre de l’Économie et du Commerce Amine Salam, le gouverneur de la BDL Riad Salamé ainsi que deux conseillers du président Michel Aoun, Charbel Kardahi et Rafic Haddad.

Nagib Mikati est même allé plus loin en annonçant lors d’une conférence économique à Beyrouth le 9 novembre, que Lazard, la société de gestion d’actifs conseillant le gouvernement, disposera d’un plan de redressement financier amendé d’ici à la fin du mois. Mais surtout, et à la surprise des observateurs, il a assuré que le gouvernement avait pour la première fois fourni au FMI un chiffre unifié, tout en se gardant de le révéler ou d’expliquer comment un montant avait subitement fait l’unanimité.

Autant le Premier ministre que Saadé Chami ont affirmé que la BDL avait coopéré et envoyé tous les documents requis au FMI. Pourtant, dans un récent entretien avec l’agence Reuters, Riad Salamé a reconnu ne pas encore avoir fourni les données au FMI et, contrairement à ce que M. Mikati a annoncé, il semblerait qu’il n’y ait pas de chiffre consensuel. Un porte-parole du ministère des Finances a, lui, déclaré à L’Orient Today que le personnel du ministère n’a pas connaissance de ce chiffre et que le cabinet du Premier ministre est responsable du dossier. Les représentants de Nagib Mikati et de Saadé Chami n’ont pas pu être joints pour commenter.

Cependant, même en supposant que le gouvernement puisse parvenir à un consensus sur l’ampleur des pertes, les pourparlers avec le FMI ne font que commencer, et avant qu’un mémorandum d’entente puisse être envoyé à son conseil d’administration pour signature, le Liban doit remplir des conditions préalables. Si certaines réformes prendront du temps et que le FMI suivra leur progrès, comme les réformes fiscales et la restructuration des banques, d’autres peuvent être mises en œuvre immédiatement, à l’instar du contrôle des capitaux, de l’unification des taux de change et de la gouvernance, à travers des audits de la BDL et du fournisseur public Électricité du Liban.

Dans son interview à la LBCI, Saadé Chami a également expliqué qu’aucun fonds ne sera débloqué avant que le conseil d’administration du FMI ne signe et, avant qu’il ne signe, qu’il ait constaté des progrès clairs sur les réformes susmentionnées. Le décaissement des fonds devrait suivre et, dans le meilleur des cas, cela ne devrait pas se produire avant la fin du premier trimestre 2022.

En somme, la controverse autour du chiffre unifié des pertes financières demeure un obstacle majeur au progrès des négociations avec l’institution financière internationale, mais la paralysie du gouvernement depuis le 12 octobre, suite à un différend entre les blocs politiques sur le rôle de Bitar dans l’enquête du port, l’est également. Michel Aoun et Nagib Mikati ont exprimé l’espoir que le gouvernement se réunisse bientôt mais, sauf preuve du contraire, la paralysie semble toujours à l’ordre du jour, repoussant tout accord potentiel.

Si Henri Chaoul considère le scénario actuel comme une simple réplique de celui de 2020, les responsables tentent d’adopter un ton optimiste. « Nous sommes dans une situation difficile, mais il existe des solutions », a assuré Saadé Chami. « Je ne pense pas que quiconque puisse prévoir qu’il nous faudra dix-neuf ans pour nous remettre. Je dirais plutôt peut-être deux à trois ans », a-t-il ajouté. La dernière scène de l’acte des discussions avec le FMI s’est jouée hier, lors d’une réunion consacrée aux pertes financières entre Nagib Mikati, Saadé Chami, Youssef Khalil, Riad Salamé et le député Nicolas Nahas. Si Saadé Chami a annoncé qu’un compromis avait été trouvé sur l’approche à privilégier pour les estimer, il a toutefois indiqué que le sujet allait faire l’objet d’une seconde réunion cette semaine.

(Cet article a été publié originellement en anglais sur le site de « L’Orient Today » le 26 novembre 2021)

Après leur échec en juillet 2020 en raison d’une discorde côté libanais concernant le montant des pertes du secteur financier, les négociations entre le Liban et le Fonds monétaire international (FMI) ont enfin repris cet automne. L’interruption a donc duré plus d’un an, période pendant laquelle une large partie de la population libanaise a, elle, continué de sombrer dans la...

commentaires (5)

Mr Chaoul nous dit " frustré par le manque de progrès, mais aussi par les actions de certains responsables qui, selon lui, cherchaient à saper les négociations de l’intérieur". Ce qui est extraordinaire dans notre pays, qu'on qualifie de démocratique, c'est que jamais un "responsable" n'a le courage de citer des noms, on dit toujours les autres, comme si la volonté de ces hommes reste de ne pas couper l'herbe sous leur propres pieds, afin de pouvoir quémander un poste un jour ou l'autre auprès de n'importe quel diable, pourvu qu'ils soient casés et qu'ils puissent ratisser. Quant à l'aide du FMI, d'une part cette aide est forcément conditionnée, et les conditions sont généralement drastiques, et d'autre part, si ce sont les mêmes vertueux qu'on a aujourd'hui, cette aide, sera comme d'habitude, partagée entre leurs partis, afin qu'ils puissent faire perdurer leur hégémonie, et des miettes seront injectées dans les rafistolages dont on a la fâcheuse habitude de voir.

Citoyen

11 h 54, le 30 novembre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (5)

  • Mr Chaoul nous dit " frustré par le manque de progrès, mais aussi par les actions de certains responsables qui, selon lui, cherchaient à saper les négociations de l’intérieur". Ce qui est extraordinaire dans notre pays, qu'on qualifie de démocratique, c'est que jamais un "responsable" n'a le courage de citer des noms, on dit toujours les autres, comme si la volonté de ces hommes reste de ne pas couper l'herbe sous leur propres pieds, afin de pouvoir quémander un poste un jour ou l'autre auprès de n'importe quel diable, pourvu qu'ils soient casés et qu'ils puissent ratisser. Quant à l'aide du FMI, d'une part cette aide est forcément conditionnée, et les conditions sont généralement drastiques, et d'autre part, si ce sont les mêmes vertueux qu'on a aujourd'hui, cette aide, sera comme d'habitude, partagée entre leurs partis, afin qu'ils puissent faire perdurer leur hégémonie, et des miettes seront injectées dans les rafistolages dont on a la fâcheuse habitude de voir.

    Citoyen

    11 h 54, le 30 novembre 2021

  • J’ai un esprit simple mais pas simpliste. Qui a dilapidé les milliards? Qui a pillé les caisses de l’Etat? Qui a mis en place cette dette faramineuse? Réponse : les dirigeants politiques et les hauts fonctionnaires à leur tête le gouverneur de la BdL. Qui les a aidés dans cette entreprise mafieuse? Réponse: les banquiers (actionnaires et dirigeants). Qui paye les pots cassés ? Qui a son épargne séquestrée par les banques? Qui regarde ses dépôts en $ convertis au sixième de leur valeur du marché? Réponse: la population libanaise. Il est grand temps que ces impostures s’arrêtent. L’Etat libanais doit être déclaré en faillite, ses avoirs doivent être vendus. Les dirigeants politiques et les hauts fonctionnaires doivent être jugés, leurs avoirs internationaux saisis et rendus au Trésor Public. Les actionnaires des banques doivent vendre tout leur patrimoine national et international. Ainsi les déposants seront remboursés et on pourra ouvrir une nouvelle page d’un nouveau pays. Tout le reste n’est que du bla bla et de la comédie de bas fonds.

    Lecteur excédé par la censure

    11 h 37, le 30 novembre 2021

  • si j'en crois la conclusion de ma lecture, les DTS sont "donnees" sans conditions particulieres comme les reformes exigees par le FMI afin d'aider le Liban par ailleurs. GRAVE ERREUR en l'occurence de laisser les DTS entre les mains des memes kellon(a moins d'un miracle qui verrait 30 a 40 deputes VRAIS souverainistes elus au parlement & un pres. de la republique a l'oppose de m aoun). question confiance ? ZERO FIABILITE dans ce cas ! mais bon, qui vivra verra... de toutes facons nous n'y pouvons rien pour le moment.

    Gaby SIOUFI

    10 h 13, le 30 novembre 2021

  • La normalisation du pays par les réformes politiques et de gouvernance (autrement dit par le sabordage, entre autres, du Hezbollah) reste le point de passage obligé pour financer un redémarrage du pays. Cela dit, la question des pertes me fait marrer ou pleurer c'est selon, car les pertes, c'est normalement au tribunal des faillites qu'on les détermine et qu'on ordonne la liquidation des sociétés en faillite. Or plus rien, ni lois, ni salaires, ni tribunaux, ni administration, ni possibilité de liquidation étant donné la taille de la catastrophe. Tout est disloqué dans tous les sens.

    M.E

    09 h 58, le 30 novembre 2021

  • Il faut dégager les Iraniens lors des élections et ensuite le nouveau h=gouvernement devrait, avec l’aide de l’ONU s’il le faut les mettre en dehors de tout pouvoir de décision. Lorsque cela sera fait je suis prêt à parier que le pays sera très vite remis sur la bonne voie et que ce cauchemar sera dernière nous. Le peuple Libanais paye simplement sa lâcheté et son gout des compromis douteux au détriment des principes.

    Liban Libre

    01 h 38, le 30 novembre 2021

Retour en haut