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Moyen-Orient - Commentaire

La Palestine à l’ère du clic

La Journée de solidarité avec le peuple palestinien a lieu chaque année le 29 novembre, jour de l’adoption du plan de partage de la Palestine en 1947. Cette année, elle arrive six mois après les événements de mai dernier qui avaient replacé la « cause palestinienne » au cœur de l’attention médiatique.

La Palestine à l’ère du clic

Ahed Tamimi le 30 juillet 2018, après sa sortie de prison alors qu’elle avait été arrêtée par l’armée pour avoir giflé un soldat israélien. Originaire du village de Nabi Saleh en Cisjordanie, la jeune fille était devenue en quelques mois une icône de la résistance palestinienne. Abbas Momani/AFP

Sur un smartphone, le choix d’un fond d’écran est rarement anodin. Il laisse échapper un bout d’intimité. Une petite part de ce qui nous est cher, de ce que l’on souhaite offrir en spectacle au monde. Il est chargé d’émotion. Mais l’avoir sous le nez à toute heure de la journée signifie aussi que l’œil s’habitue. C’est le propre de l’image : elle a besoin de mouvement pour continuer à être vue. Seul le changement de perspective empêche l’ordinaire de s’installer. Pendant des années, les Palestiniens semblaient avoir été réduits à cela. Un cliché figé dans le temps, à la fois très présent dans les discours et l’imaginaire collectif, mais de plus en plus accessoire. La « décennie de la paix » avait laissé place à l’intifada, la seconde. L’opinion publique occidentale semblait s’être lassée ; la région avoir changé de priorités. Le printemps arabe, ses espoirs du début puis l’enlisement étaient passés par là. Les Palestiniens faisaient figure de fond d’écran : toujours là, mais secondaires.

La journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien a lieu chaque année le 29 novembre, jour de l’adoption par l’Assemblée générale de l’ONU en 1947 d’un plan de partage de la Palestine. Cette année, elle arrive six mois après les événements du printemps dernier qui avaient bousculé l’ordre bien installé des choses. Suite aux violences de Cheikh Jarrah, d’al-Aqsa puis de Gaza, l’élan de solidarité intrapalestinien qui avait embrasé les villes du Jourdain à la Méditerranée avait remis en mouvement certains clichés. Le temps d’une séquence, les Palestiniens avaient repris le contrôle des images... du moins en partie. Grâce aux réseaux sociaux, d’abord, qui leur ont permis de se réapproprier leur propre narration de l’histoire. Le buzz médiatique autour des jumeaux Kurd devient la signature de l’époque : en couvrant les phénomènes en ligne, la presse traditionnelle se faisait le relais, et la caisse de résonance de cette nouvelle génération politisée et hyperconnectée. La maîtrise du message politique est aussi venue de l’union d’une jeunesse fragmentée : celle de Jérusalem, de Gaza et de Nazareth qui, malgré la distance physique, était parvenue à crier d’une même voix contre la puissance occupante. « On arrête de parler de l’occupation comme s’il s’agissait seulement des territoires de 1967. Enfin, on commence à parler de l’occupation des terres de 1948 », admettait alors dans nos pages Aya Zinaty, une jeune femme originaire de Lod.

Dans les sondages, des inflexions nouvelles amenaient à penser que l’opinion publique internationale appuyait ces évolutions. Un sondage publié début juin par YouGov indiquait que le soutien à Israël s’était écroulé entre février et mai 2021 dans plusieurs pays européens – au Royaume-Uni, en France, en Suède, au Danemark mais aussi en Allemagne, d’ordinaire très prudente sur la question. Aux États-Unis, la sympathie à l’égard des Palestiniens augmente, surtout chez les plus jeunes : alors que 60 % des Américains âgés entre 18 et 34 ans tiennent Israël pour responsable des violences de mai, 76 % des plus de 65 ans blâment le Hamas.

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Grâce au travail mené sur les campus, notamment américains, et à l’émergence d’une nouvelle solidarité organisée à travers les ONG, la « cause palestinienne » a cessé d’être un cas à part. Elle a rejoint les rangs d’autres combats, celui des violences policières ou de l’inégalité raciale. Des célébrités deviennent les nouveaux visages de cette tendance, à l’image des sœurs Gigi et Bella Hadid, d’origine palestinienne. D’autres les rejoignent. Susan Sarandon, Mark Ruffalo, Viola Davis, Dua Lipa : la cause palestinienne n’a jamais été aussi « sexy », même si l’indignation est parfois à géométrie variable. On se souvient du cofondateur de Pink Floyd, Roger Waters, qui s’émouvait du sort des Palestiniens tout en se faisant le relais de la propagande du régime de Bachar el-Assad en Syrie. En octobre dernier, c’est au tour du géant de streaming en ligne, Netflix, de montrer patte blanche en annonçant la mise en ligne d’une nouvelle collection de films. Ces « histoires palestiniennes » côtoient depuis sur la plateforme des productions israéliennes à succès, dont certaines sont accusées de parti pris antipalestinien.

Effets de mode

Les Palestiniens intéressent de nouveau, mais faut-il s’en réjouir ? Peut-être pas complètement. Car ces effets de mode passagers ont également cohabité avec des vents contraires disant tout autre chose. Une fois l’émotion du moment passée, les médias traditionnels sont revenus à leurs moutons. L’opinion publique internationale, malgré les quelques inflexions citées, reste avant tout clivée. Six mois après les bombardements de Gaza, le sentiment propalestinien à la hausse n’en est pas moins minoritaire face aux pro-israéliens et à ceux qui restent profondément indifférents.

Surtout, les élans de sympathie n’ont rien changé à la réalité politique. Les Israéliens ont continué d’enchaîner les victoires diplomatiques et d’approfondir leur vision d’un nouveau Moyen-Orient, au sein duquel ils occupent une place toujours plus centrale avec l’aide de leurs alliés arabes, émiratis en tête. Sur le plan interne, aucun changement n’a été initié par Naftali Bennett, pourtant annoncé comme chef d’un gouvernement « du changement ». Les méthodes sont restées les mêmes : espionnage et surveillance des Palestiniens, poursuite de la colonisation, blanc-seing aux colons, sous-traitance d’une partie de la répression à l’Autorité palestinienne. Selon de nouvelles estimations publiées la semaine dernière par le Conseil économique national, plus d’un tiers de la population juive israélienne sera issue de la communauté ultraorthodoxe d’ici à 2050. Ce chiffre indique que la droitisation du paysage politique israélien, qui s’était accélérée pendant les 12 ans de règne de Benjamin Netanyahu, devrait se poursuivre dans les années à venir.

Mais c’est sur le plan des représentations que le bât blesse le plus. La ferveur médiatique du printemps 2021 n’a rien changé aux mouvements de fond engagés depuis plusieurs décennies. D’un côté, l’amalgame entre terrorisme, islam et Palestiniens est toujours à l’œuvre dans l’inconscient collectif. De l’autre, les Israéliens continuent d’être prisés à l’international pour leur savoir-faire technologique et leur expertise en matière de lutte contre le terrorisme. Les forces de sécurité israéliennes ont par exemple été accusées d’exporter leurs méthodes de répression grâce à des formations et programmes d’échange, notamment aux États-Unis.

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Ces deux phénomènes ont contribué à un troisième : la « folklorisation » de la solidarité palestinienne, réduite à des clichés, vidée de sa charge politique. Le keffieh était déjà devenu un objet de mode depuis des années. Désormais, c’est à qui fera le plus de surenchère sur les réseaux sociaux. L’ère du clic, c’est un espace de contestation virtuel qui se satisfait du partage d’images. Qui mieux que le visage de Ahed Tamimi, cette jeune Palestinienne aux yeux bleus devenue en 2018 une icône nationale avant de retomber dans l’oubli général, pour témoigner de cette fétichisation ?

La lutte palestinienne réactive de puissants imaginaires. Elle fait écho au passé colonial des nations européennes et, plus récemment, aux politiques occidentales menées dans le sillage du 11-Septembre. Mais cette esthétisation amène également à ne traiter des Palestiniens que sous l’angle de l’occupation, c’est-à-dire toujours en lien avec l’occupant. Criminalité, corruption, violences domestiques, crimes d’honneur, poids du religieux : les problématiques propres à la société palestinienne sont évacuées. L’objet de l’attention médiatique n’existe pas en lui-même, pour lui-même, mais seulement dans la mesure où il incarne quelque chose. L’appétence pour la figure du résistant, de l’opprimé ou de la victime héroïque est certaine. Mais elle en dit moins sur l’intérêt porté aux Palestiniens que sur la fonction qu’ils occupent. Symbole de la lutte anti-impérialiste pour les uns, de l’antiracisme pour les autres, ils sont dans tous les cas otages d’une image réduite, tronquée et figée.

Sur un smartphone, le choix d’un fond d’écran est rarement anodin. Il laisse échapper un bout d’intimité. Une petite part de ce qui nous est cher, de ce que l’on souhaite offrir en spectacle au monde. Il est chargé d’émotion. Mais l’avoir sous le nez à toute heure de la journée signifie aussi que l’œil s’habitue. C’est le propre de l’image : elle a besoin de...

commentaires (2)

Une fois de plus : On s'en fiche des palestiniens... Faut il le répéter?

LE FRANCOPHONE

15 h 12, le 29 novembre 2021

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Commentaires (2)

  • Une fois de plus : On s'en fiche des palestiniens... Faut il le répéter?

    LE FRANCOPHONE

    15 h 12, le 29 novembre 2021

  • Pas de commentaire……..

    Robert Moumdjian

    00 h 59, le 29 novembre 2021

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