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Moyen-Orient - Répression

Amman cible des militants et journalistes syriens basés en Jordanie

Les autorités jordaniennes ont récemment arrêté plusieurs figures syriennes opposées au régime de Damas dont l’une est retenue captive dans un camp de réfugiés du royaume.

Amman cible des militants et journalistes syriens basés en Jordanie

Une vue générale du camp d’Azraq pour les réfugiés syriens situé dans le nord de la Jordanie, le 17 mai 2017. Ahmad Abdo/AFP

Cela fait plus de sept ans que le journaliste syrien Ibrahim Awad a quitté sa ville d’al-Mouzayrib, rattachée au gouvernorat de Deraa (Sud-Ouest). Après un an et demi passé en Turquie, le trentenaire est arrivé en Jordanie où il a collaboré avec de nombreux médias pour couvrir notamment les événements agitant sa province natale. Mais depuis le 15 novembre dernier, sa vie a pris une toute autre tournure. Ce jour-là, quatre policiers et agents de renseignements jordaniens ont effectué une descente à son domicile, situé dans un quartier de Amman. Après s’être vu confisquer son ordinateur portable, deux téléphones et un iPad, Ibrahim Awad a été placé en garde à vue, selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ). L’organisation à but non lucratif a pu quelques jours plus tard échanger avec le journaliste – via une application de messagerie – depuis le camp de réfugiés syriens d’Azraq où il est désormais détenu. Situé dans le désert à 20 km de la ville éponyme, à l’est de la capitale jordanienne, ce camp est géré par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en coopération avec le gouvernement jordanien.

Les ordres d’en haut
Retenu pendant quelques heures au siège de la Direction générale du renseignement à Amman, Ibrahim Awad a par la suite été amené au Bureau de la direction de la sécurité de la ville, où les agents ont pris ses empreintes digitales, avant d’être transféré dans la nuit du 17 novembre au camp d’Azraq, a indiqué le CPJ. Selon le magazine en ligne Alqabda, qui est également parvenu à échanger avec lui, Ibrahim Awad a déclaré avoir été battu, harcelé et maltraité tout au long de son trajet en voiture vers le camp de réfugiés. « Lorsque j’ai essayé de me renseigner sur le motif de mon arrestation, l’un des officiers présents a expliqué ne pas connaître la véritable raison de mon arrestation car il n’y a pas de violation claire dans mon dossier. Il a scellé ses mots avec la phrase : les ordres d’en haut ! », a-t-il précisé à Alqabda. Ignorant les raisons de son arrestation et détenu sans aucun motif officiel, le journaliste a déclaré que son document de transfert lui interdisait de quitter les lieux. Plusieurs rumeurs non confirmées laissent entrevoir la possibilité qu’il soit expulsé vers la Syrie. Ibrahim Awad a déclaré qu’il respecterait les consignes dans le camp et qu’il y resterait jusqu’à ce que les autorités l’autorisent à rentrer chez lui ou qu’il réussisse à obtenir l’asile pour quitter la Jordanie avec sa famille en direction de l’Europe, a rapporté Alqabda.

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Contactées par plusieurs organisations, les autorités jordaniennes n’ont pas commenté le cas du journaliste. « Le CPJ a demandé les raisons de l’arrestation d’Awad et si des accusations avaient été portées contre lui, mais n’a reçu aucune réponse, observe à L’OLJ Ignacio Delgado, représentant Moyen-Orient et Afrique du Nord au sein de l’organisation. S’il a été inculpé ou accusé de quoi que ce soit, il a le droit de savoir et c’est quelque chose que les autorités jordaniennes ont négligé de faire. »

Ces événements sont survenus quelques jours après que le journaliste syrien a révélé sur sa page Facebook qu’il organiserait prochainement un « direct » consacré aux futurs projets iraniens dans la région et en particulier dans le sud de la Syrie. « Nous pensons qu’il y a un lien entre cette annonce et son arrestation, suggère Sabrina Bennoui, responsable du bureau Moyen-Orient à Reporters sans frontières (RSF). Dans tous les cas, aucun journaliste ni tout autre civil réfugié ne devrait craindre d’être expulsé dans son pays d’origine, où il est exposé à de sérieuses menaces. Il s’agit d’une pratique détestable que nous dénonçons fermement car elle laisse entendre aux journalistes syriens qu’ils sont constamment sur un siège éjectable. »

Collaboration en matière de renseignements
Le traitement infligé au journaliste syrien s’inscrit plus généralement dans le sillage de la reprise du dialogue entre Damas et certains pays voisins, comme la Jordanie, qui a progressivement tourné la page des années de boycottage du régime syrien. Un coup de fil inédit entre le roi Abdallah II et Bachar el-Assad, le 3 octobre, faisait suite à la venue d’une délégation syrienne sécuritaire de haut niveau à Amman puis à la décision prise fin septembre par le royaume hachémite de rouvrir le poste-frontière de Jaber-Nassib avec la Syrie.

Pour mémoire

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Si les journalistes et les militants syriens exilés dans le pays voisin se sentent particulièrement vulnérables depuis le rapprochement entre les deux pays, la récente escalade de violence entre les forces loyalistes et les rebelles dans la province du Sud syrien de Deraa – bastion de l’opposition situé à la frontière avec la Jordanie – expose particulièrement ceux qui couvrent les événements dans cette région. Selon le photojournaliste indépendant syrien Fared al-Mahlool, basé à Idleb, la récente interpellation d’Ibrahim Awad est intervenue après que le général de brigade syrien Lou’ay el-Ali a demandé de rouvrir les dossiers de militants syriens en Jordanie, en particulier ceux qui partagent les actualités à Deraa. « La ville est très proche de la frontière jordanienne, ce qui en fait un véritable enjeu pour Amman. Compte tenu de la forte communauté syrienne exilée dans le pays, toute publication relative à ce sujet est scrutée de près, souligne Sabrina Bennoui. Une collaboration (syro-jordanienne) en matière de renseignements n’est donc pas à exclure, y compris pour livrer des journalistes de l’opposition en exil. »

Selon RSF, trois autres cas similaires à celui d’Ibrahim Awad ont été récemment documentés, dont deux concernent des Syriens. « Le premier, qui a préféré garder l’anonymat, a été maintenu en détention pendant plusieurs semaines après avoir diffusé un reportage sur des questions de sécurité en Jordanie, précise Sabrina Bennoui. Sa famille craignait qu’il soit expulsé et la menace plane jusqu’à aujourd’hui, malgré sa libération entre-temps. » Le second, ajoute l’organisation, concerne une « rédaction composée de journalistes syriens, qui ont également souhaité préserver leur anonymat (et qui) craignent maintenant pour leur sécurité ». Rappelons que cet été, les bureaux situés à Amman de Syria Direct, un média indépendant hostile au gouvernement syrien, avaient été fermés probablement sur décision des services de renseignements du royaume. Relocalisée en Allemagne, la rédaction n’a pas donné suite à nos sollicitations. Le site web The Syria Report a cependant indiqué que des sources à Amman « ont affirmé que cette fermeture semble être liée au récent rapprochement entre la Jordanie et la Syrie ».

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