Merci à vous tous d’avoir participé à notre premier « chat ». A bientôt pour le prochain !
HusseinZeid : Quel est l’impact de l’enquête en RDC ?
N.M.A. : L’enquête fait déjà grand bruit : une information judiciaire visant le clan de Joseph Kabila a déjà été ouverte à Kinshasa après ces révélations. En attendant qu’une telle fuite ait lieu au Liban...
Sam1975 : Quelles recherches ont été menées du Liban ?
N.M.A. : L’existence d’un important réseau d’hommes d’affaires libanais clients de la banque BGFI a nécessité l’implication d’un partenaire libanais. C’est pour cela que nous avons été contactés : les entreprises liées au réseau Tajeddine font partie des plus gros pourvoyeurs de cash de la banque du clan Kabila. En plus de l’analyse des données, des vérifications au Liban étaient nécessaires : registre commercial, cadastre, adresses d’entreprises… Une connaissance du contexte libanais était aussi importante pour raconter l’histoire derrière les chiffres.
MayaNour : Où peut-on trouver tous les résultats de l’enquête ?
N.M.A. : Les articles seront publiés au fur et à mesure, notamment sur le site : https://congoholdup.com/en/
Et puis il y a bien sûr les articles déjà publiés par L’Orient-Le Jour.
NouraM12 : Quelles sont les principales révélations ?
N.M.A. : L’enquête révèle des détournements de fonds massifs : plus de 138 millions de dollars ont été détournés en 6 ans au profit du clan Kabila via la banque BGFI RDC qui était dirigée à l’époque par Francis Selemani, le frère adoptif de l’ancien président. Un société écran, détenue par le clan Kabila, enregistrée dans un garage à Kinshasa, a reçu au moins 92 millions de dollars. Un système qui a été rendu possible grâce à la complicité d’institutions publiques du pays, notamment la Banque centrale du Congo, la Gécamine, l’entreprise publique minière, ou encore la CENI, la commission électorale chargée d’organiser les élections.
A ceux qui nous rejoignent maintenant, vous pouvez retrouver le dossier rassemblant tous nos articles sur cette enquête ici
R.Nr. : Quels autres médias ont été impliqués dans l’enquête ? Combien de personnes en tout ?
N.M.A. : Il s’agit d’une alliance unique en son genre, qui réunit 19 médias, dont BBC Afrique, RFI, De Standaard, Bloomberg, et 5 ONG, dont Public Eyes, The Sentry… En tout, ce sont plus de 100 collaborateurs de 18 pays différents ! Cela a nécessité une bonne organisation et coordination à distance, mais aussi physique : plusieurs meetings du consortium ont été organisés à Paris et à Bruxelles.
Souhail T. : Comment les documents ont-ils été obtenus, et comment être sûr de leur fiabilité ?
N.M.A. : Si l’origine de la fuite ne peut être dévoilée, la fiabilité est 100 % assurée. Ce sont des informations bancaires : elles sont extrêmement précises et détaillées. Nous avons aussi eu accès à des e-mails. Ensuite, il y a eu tout un travail de vérification des données au cours de l’enquête : les informations ont été recoupées avec des données notamment disponibles en open source, mais aussi confrontées avec les personnes mises en cause.
FG1012 : Vous parlez de la plus grande fuite de documents confidentiels d’Afrique, comment autant de documents ont-ils été analysés en seulement six mois ?
N.M.A. : L’ampleur de la fuite est sans précédent en Afrique : 3,5 millions de documents bancaires confidentiels issus de la BGFIBank. Ils ont été obtenus par le média d’investigation français Mediapart et l’ONG Plateforme pour la protection des lanceurs d’alerte en Afrique. Afin de les traiter le plus efficacement possible et de suivre l’argent, un moteur de recherche et un logiciel spécifique d’extraction d’informations sur une plateforme d’informations sécurisées ont été développés par le réseau European Investigative Collaborations, qui a coordonné l’enquête.
S. Chahine : Est-il possible de faire, vraiment, de l’investigation au Liban ?
N.M.A. : Faire de l’investigation est compliqué. Au Liban, ça l’est d’autant plus qu’il est extrêmement difficile d’avoir accès aux faits ou aux simples données. La loi sur l’accès à l’information est, par exemple, très mal appliquée. Par ailleurs, la culture du lanceur d’alerte n’est pas encore développée au Liban. Et puis, sur certains dossiers, il y a un véritable risque en termes de sécurité. Cela étant dit, faire de l’investigation n’est pas impossible. Mais il faut des ressources, une vaste palette de compétences, et beaucoup de temps.
C’est pour cela que nous avons décidé d’investir dans le journalisme d’investigation. Mais nous voulons le faire bien, c’est-à-dire nous assurer que les faits sont scrupuleusement restitués, que leur interprétation est rigoureuse et que la présentation est claire.
C’est un gros chantier donc, mais nous sommes prêts à le mener!
Et maintenant, une question de Imad Badreddine : Bonjour, nous connaissons votre ligne éditoriale. Elle est prosioniste et proaméricaine. Donc le fait de cibler la communauté chiite ne nous étonne pas. Il serait intéressant pour nous de savoir comment des politiques libanais ont été financés par les Saoudiens et les Américains pour aider l’État islamique qui a égorgé de nombreuses personnes en Syrie et au Liban.
N.M.A. : Tout d’abord, une petite correction. Notre ligne éditoriale n’est ni prosioniste ni proaméricaine. Notre ligne éditoriale tient en la défense de valeurs, et uniquement de valeurs. En voici quelques-unes parmi d’autres : défense des libertés, et avant tout de la liberté d’expression ; défense des droits de l’homme en général, de la femme et des minorités en particulier ; défense de la diversité culturelle et religieuse ; défense de l’État de droit contre tous les abus, d’où qu’ils viennent ; défense de l’indépendance et de la souveraineté du Liban contre les allégeances supranationales et les politiques identitaires qui minent l’État libanais et l’entité libanaise ; défense des principes d’ouverture, de tolérance et de vivre-ensemble contre les politiques sectaires et confessionnelles étriquées ; défense de la transparence, du droit à l’information et du principe de redevabilité (ou « reddition des comptes ») de toute personne assumant des responsabilités publiques, dans une optique de bonne gouvernance et face à l’impunité.
C’est justement parce que le principe de redevabilité nous semble essentiel que nous investissons dans l’investigation. Dans ce cadre, nous n’avons aucun agenda politique ou communautaire. Comme nous l’indiquions dans un texte à nos lecteurs, en nous associant à ce consortium international, nous avons saisi une opportunité, mais nous ne comptons pas pour autant en rester là. L’Orient-Le Jour croit au journalisme d’investigation et compte y consacrer encore davantage de temps et de ressources au cours des prochains mois. Avec toujours la même boussole : la restitution scrupuleuse des faits, la rigueur dans leur interprétation et la clarté dans leur présentation.
On attaque avec la question de Carlos Achkar :
Bravo pour cette enquête bien documentée. Moi-même, j’ai vécu de 2003 à 2020 à Kinshasa et je connais bien toutes ces personnes et les ramifications qui vont avec. Mais nous, peuple libanais, nous n’avons rien à faire avec ce qui se passe en RDC. Nous voulons une enquête sur ce qui se passe chez nous au pays. Nous voulons qu’on poursuive tous les politiciens qui ont volé le peuple. Pour cela, nous avons besoin de faits, de documents, d’une vraie enquête qui nous concerne tous. Avez-vous le courage et la possibilité de chercher et de divulguer toute la corruption que le peuple a endurée depuis plus de 30 ans ? C’est ça qui nous intéresse afin que la vérité éclate et qu’on puisse punir tous ces traîtres et mafieux.
N.M.A. : Nous entendons totalement votre remarque. En ce qui concerne « Congo Hold-up », nous avons saisi une opportunité qui s’offrait à nous de participer à une vaste enquête comprenant un volet libanais. Nous sommes convaincus, comme vous, qu’il faut s’attaquer aux dossiers qui concernent directement les Libanais au Liban. Nous avons déjà commencé à y travailler. Nous avons déjà réalisé ces derniers mois de longues enquêtes portant notamment sur la double explosion au port de Beyrouth, le coût faramineux des navires-centrales dans notre politique énergétique (ici et ici) ou encore, plus récemment, au sujet de l’affaire de pédophilie impliquant le prêtre Mansour Labaky (ici et ici). Et nous ne comptons pas nous arrêter là. Mais faire de l’investigation est une affaire compliquée, et d’autant plus au Liban. Nous voulons le faire bien, ce qui requiert du temps et des ressources humaines. Mais nous pouvons vous assurer que nos ambitions en la matière vont dans le sens de votre demande. Merci !
Avant d'ouvrir ce chat avec Nada Maucourant Atallah, notre journaliste qui a participé à la vaste enquête Congo Hold-up, petite séance de rattrapage pour les éventuels retardataires : tous les articles publiés par L'Orient-Le Jour dans le cadre de cette enquête sont ici
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commentaires (1)
Il serait plus judicieux de se concentrer sur le volet purement libanais qui intéresse plus que tout le reste les libanais qui ont été pillés et qui vivent au rythme des promesses mensongères des voleurs qui de toute façon s’en sortiront blanchis. On mobilise des centaines de journalistes d’investigation pour quelques 138 millions de dollars au Congo alors que les pertes du pays s’élèvent à des milliards, évaporés dans la nature et dont personne ne veut se pencher sur la question par peur ou par complicité pour élucider ce mystère qui n’en est plus un et on se demande tous les jours pourquoi. Pourquoi rien ne filtre sur le transfer de toutes ces sommes sur des offshores minutieusement maquillées et accepté par des banques internationales et pourquoi un gouverneur de banque n’est toujours pas démis de ses fonctions sachant qu’il a été l’alpha et l’oméga de ce trafic mais au contraire continue à bloquer les issues refusant de collaborer avec le FMI et s’amusant à chacune de ses apparitions à imposer ses conditions et ses choix pour noyer le poisson? Sans parler du cataclysme du port qui n’ont seulement à causé des pertes collasses financièrement mais a coûté la vie à des centaines de citoyens qui sont morts parce que des bandits l’ont décidé. Le juge continue à faire l’objet de manigances mafieuses pour empêcher que la vérité éclate et on s’intéresse au Congo? C’est un peu léger à mon humble avis.
Sissi zayyat
11 h 20, le 26 novembre 2021