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Lifestyle - Beyrouth Insight

Après des années de rivalité entre frères, un des « Falafel Sahyoun » ferme ses portes

Retour sur l’histoire mouvementée de ces deux célèbres échoppes beyrouthines.

Après des années de rivalité entre frères, un des « Falafel Sahyoun » ferme ses portes

L’enseigne rouge de Falafel M. Sahyoun avant sa fermeture. Photo tirée de leur page Facebook

Sur le chemin de l’ancienne funeste ligne verte qui divisait Beyrouth pendant la guerre, s’est joué, pendant quinze ans, un autre conflit entre deux frères, les frères Sahyoun, propriétaires de deux célèbres échoppes proposant des falafels. Depuis 2006, les deux frères ne se parlaient plus. Aujourd’hui, la rivalité a pris fin, pour le moment du moins.

En bas de la rue Béchara el-Khoury, l’enseigne en rouge sur laquelle on pouvait lire « M. Sahyoun » a en effet disparu derrière un rideau de fer baissé après des années de bons et loyaux services. Quelques mètres plus bas, sous une autre enseigne, bleue celle-ci, M. Sahyoun (original shop), on continue de servir les clients assidus. Même nom, même menu mais, surtout, une même rancœur entre les deux « clans » d’une même famille, qui a mené à une rupture apparemment définitive… Fin octobre, les amateurs de falafels de Beyrouth ont eu la mauvaise surprise de trouver le premier des deux magasins de Falafel Sahyoun fermé. « Nous regrettons de devoir informer nos chers clients de notre décision de fermer provisoirement notre magasin en raison des circonstances actuelles connues de tous. En espérant des jours meilleurs pour le pays et les Libanais », pouvaient-ils lire, en guise d’information, sur une pancarte grossièrement collée sur le rideau de fer. Les deux points de vente, aux enseignes et menus quasi identiques, détenus et exploités par deux frères qui ne se parlent plus, nourrissent chacun sa clientèle, depuis que Fouad Moustapha Sahyoun s’est séparé de son frère Zouheir en 2006 pour ouvrir sa propre enseigne juste à côté. Dès lors, la fidélité des clients oscille entre l’une ou l’autre des enseignes, soulevant des débats passionnés pour savoir laquelle des deux propose le meilleur sandwich.

Falafels en crise
Le fils de Fouad, Moustapha, avoue, pour expliquer cette décision radicale, que l’entreprise fonctionnait à perte depuis le début de la crise économique, il y a deux ans. « Le sandwich de falafel qui coûtait auparavant 3 500 LL a plus que quadruplé, pour atteindre les 15 000 LL. » Et ce n’était même pas suffisant pour faire face à l’augmentation drastique du coût des matières premières. « La fabrication de chaque sandwich nous coûte entre 20 000 et 40 000 LL, précise-t-il, ce qui engendre une perte considérable sur chaque pièce vendue. » À cela s’est ajoutée la pénurie d’électricité publique au Liban, qui a contraint son père à s’abonner à deux propriétaires de générateurs privés. Alors qu’ils ne voulaient pas lésiner sur la qualité des ingrédients utilisés et l’huile de friture, ils ne souhaitaient pas non plus continuer à hausser les prix par égard pour leurs clients, eux aussi frappés de plein fouet par la crise économique. « Depuis que mon grand-père a ouvert le magasin, tout le monde sait que nous vendons le falafel le plus cher du pays, car nous offrons une qualité supérieure », explique encore Moustapha. Quant à la scission survenue en 2006, les deux frères ne disent rien sur les circonstances exactes qui ont conduit à cette séparation après des décennies de coopération et d’exploitation de l’unique entreprise Falafel Sahyoun. Tout en regrettant cette décision, Moustapha déclare que sa famille a « toujours été fidèle et honnête envers le pays, et que le pays ne lui a jamais rien donné en retour ».

Presque un siècle plus tard
Selon Karim Sahyoun, le fils de Zouheir, qui officie dans l’enseigne bleue encore ouverte, l’histoire de Falafel Sahyoun a commencé en 1933. Son grand-père, Moustapha Sahyoun, vendait alors des falafels sur un chariot de rue, juste à l’extérieur du centre-ville, sur Béchara el-Khoury, avant de prendre ses quartiers au rez-de-chaussée d’un nouveau bâtiment de la rue de Damas, leur adresse actuelle. Durant les trois décennies suivantes, il propose ses falafels concoctés avec sa recette signature, « sans persil », précise Karim. Les fils de Moustapha, Zouheir et Fouad, l’utilisent encore aujourd’hui. Le magasin a fermé quelques années après le déclenchement de la guerre civile au Liban, en 1978, selon le site web de Karim. Cette même année, le fondateur de l’enseigne à succès décède. Durant cette période cruciale de la guerre, la rue de Damas devient une ligne de front séparant l’est et l’ouest de Beyrouth, et rares étaient les personnes qui s’aventuraient à traverser la rue Béchara el-Khoury, craignant d’être la cible des francs-tireurs embusqués sur les toits des immeubles à proximité. Pour poursuivre l’activité initiée par leur père, Fouad et Zouheir, encore très proches à l’époque, détiennent de déménager à la rue d’Algérie, à Zarif, dans « l’ouest de Beyrouth ». « Cette décision s’est imposée à eux pour pouvoir continuer à travailler et subvenir aux besoins quotidiens de la famille », se souvient le fils du premier, Moustapha. Après l’invasion israélienne de 1982 et le siège qui a suivi à l’ouest de Beyrouth, les Sahyoun se déplacent encore, cette fois-ci vers le secteur de corniche el-Nahr. Un an et demi plus tard, ils retournent à Zarif et y resteront jusqu’à la fin de la guerre. Ce n’est qu’en 1992 que les deux frères reviennent à l’emplacement d’origine, sur l’ancienne ligne de front. Le magasin de Zarif est conservé jusqu’à sa fermeture en 2000, faisant du local de Béchara el-Khoury la seule enseigne de vente de falafels.

L’un des célèbres deux points de vente des falafels Sahyoun est désormais fermé. Photo Richard Salamé/L’Orient Today

La rupture
C’est en 2006 que le conflit éclate entre les deux frères. Personne ne semble vouloir s’étendre sur les véritables raisons de ce différend qui conduit Fouad à quitter le magasin et à s’installer dans ce qui était, selon son neveu Karim, « la zone de stockage du magasin d’origine », situé juste à côté. Pour expliquer les raisons du conflit, Moustapha avance, à demi-mots, que les critères de qualité de son père étaient plus élevés que ceux de son oncle. « Quand votre partenaire décide d’emprunter une autre voie que la vôtre, vous refusez de suivre, dit-il. Je n’ai pas accepté de compromettre nos exigences… C’est l’une des principales raisons de cette séparation. » Karim, pour sa part, confie que les deux frères étaient toujours d’accord sur tout ce qui concernait l’entreprise jusqu’à ce que « tout à coup il y ait des divergences ». « C’est mon oncle Fouad qui a pris la décision de partir, pas mon père », lance-t-il. « L’entreprise qu’il a créée est un “copier-coller” de la première », ajoute-t-il, contrarié par la proximité des deux enseignes. Son cousin Moustapha précise, quant à lui, que les deux frères partageaient un même avocat lors de leur séparation, qu’ils pensaient initialement pouvoir être conclue à l’amiable. « Ils ont convenu que l’un des frères garderait la devanture originale de 1933, tandis que l’autre prendrait le nom de Falafel Moustapha Sahyoun. » Finalement, Fouad déménage à côté et les deux enseignes conservent le même nom. Le jeune Moustapha rapporte que son père a poursuivi son frère Zouheir en justice peu de temps après leur séparation pour avoir prétendument enfreint son droit exclusif au nom, et que l’affaire est toujours en cours quinze ans plus tard, l’avocat chargé de la scission étant décédé entre-temps. « La fermeture du magasin de Fouad n’a pas permis de renouer la relation entre les frères. Cela n’arrivera pas. »

L’un des célèbres deux points de vente des falafels Sahyoun est désormais fermé. Photo Richard Salamé/L’Orient Today

Quelle suite ?
En 2012, Karim Sahyoun, fort de ses années d’expérience dans le domaine, ouvre sa première enseigne à son nom, le premier Falafel Karim Sahyoun. Contrairement aux frères rivaux de Béchara el-Khoury, son entreprise fonctionne sur un modèle de franchise, qui a abouti à une chaîne d’une vingtaine d’échoppes à travers le Liban, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Kurdistan irakien et la France. Après l’annonce de la fermeture de l’enseigne de son oncle, la société de Karim a pris la peine de préciser sur les réseaux sociaux : « Le point de vente qui a fermé en raison de la lourde crise économique que traverse le Liban n’a rien à voir avec la chaîne ou le magasin d’origine qui reçoit toujours ses clients et fonctionne comme il l’a toujours fait depuis 1933. »Aujourd’hui, personne ne peut prédire ce que l’avenir réserve aux différentes entreprises de falafel de la famille Sahyoun. Zouheir et Fouad doivent bientôt prendre leur retraite, et Karim se dit prêt et capable de reprendre l’affaire familiale le moment venu. Le fils de Fouad, Moustapha, envisage de nombreuses solutions pour l’avenir, tout en affirmant que « l’heure de la retraite de (s)on père n’a pas encore sonné ». Pour l’instant, l’enseigne de Zouheir est privée de sa sœur jumelle, dont la devanture ne laisse plus entrevoir qu’un rideau de fer. Mais Moustapha promet qu’ils reviendront.

(Cet article a été originellement publié en anglais sur le site de « L’Orient Today » le 11 novembre. Cette traduction est une version raccourcie de l’article original).

Sur le chemin de l’ancienne funeste ligne verte qui divisait Beyrouth pendant la guerre, s’est joué, pendant quinze ans, un autre conflit entre deux frères, les frères Sahyoun, propriétaires de deux célèbres échoppes proposant des falafels. Depuis 2006, les deux frères ne se parlaient plus. Aujourd’hui, la rivalité a pris fin, pour le moment du moins.En bas de la rue Béchara...

commentaires (5)

Amateur de falafels, j'étais depuis 1947 client d'un magasin situé au début de la rue Gouraud face au cinéma Empire. Ayant eu connaissance, vers 1950, du légendaire Falafel Sahyoun rue de Damas, je changeai d'enseigne sans regret : les falafel Sahyoun etaient delicieux. Le falafel de luxe à l'époque était à 35 piastres ! Vivant a l'étranger, j'apprends par l'OLJ aujourd'hui avec surprise et regret les problèmes survenus à cette enseigne familiale.

Un Libanais

19 h 52, le 19 novembre 2021

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Commentaires (5)

  • Amateur de falafels, j'étais depuis 1947 client d'un magasin situé au début de la rue Gouraud face au cinéma Empire. Ayant eu connaissance, vers 1950, du légendaire Falafel Sahyoun rue de Damas, je changeai d'enseigne sans regret : les falafel Sahyoun etaient delicieux. Le falafel de luxe à l'époque était à 35 piastres ! Vivant a l'étranger, j'apprends par l'OLJ aujourd'hui avec surprise et regret les problèmes survenus à cette enseigne familiale.

    Un Libanais

    19 h 52, le 19 novembre 2021

  • Tant mieux si les 2 ferment. Très chers falafel pour une petite bouchée. C'est vrai, ce n'est plus la mode. Ouvrez à Dubai si vous ne l'avez pas encore fait.

    Esber

    13 h 52, le 19 novembre 2021

  • VOUS CONTINUEZ A CENSURER. ET LES ABONNES VOUS CENSURERONT. VOUS FAITES DU GRAND DOMMAGE AU JOURNAL.

    MON CLAIR MOT A GEAGEA CENSURE

    12 h 44, le 19 novembre 2021

  • The best falafel in the world !

    Wow

    12 h 26, le 19 novembre 2021

  • La leçon à tirer de cette histoire : Au liban, les décennies passent… les avocats décèdent et se succèdent, les générations se transmettent le flambeau…. ET? Eh bien… la justice traine et ne décide de rien … Les dossiers s’entassent… Dans ce cas des falafel Sahyoun…. l’avocat est décédé alors que le dossier n’a pas avancé… pire… L’une des 2 parties a mis les clés à la porte alors que la justice était / est toujours aux abonnés absents .

    LE FRANCOPHONE

    00 h 48, le 19 novembre 2021

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