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Société - Élections législatives

Plus de 100 000 expatriés déjà inscrits, malgré les obstacles et le désenchantement

Entre problèmes techniques, documents manquants, découragement ou manque de confiance dans le système libanais, la diaspora est dans tous ses états en ce qui concerne le processus d’inscription pour voter de l’étranger.

Plus de 100 000 expatriés déjà inscrits, malgré les obstacles et le désenchantement

Une manifestation qui a eu lieu à Paris lors du soulèvement de la rue le 17 octobre 2019. Photo AFP

Ils étaient 101 088 Libanais non résidents à s’être inscrits pour voter aux élections législatives qui devraient avoir lieu le 27 mars 2022, selon les derniers chiffres du ministère des Affaires étrangères qui datent du 10 novembre. Un chiffre qui dépasse déjà celui de 2018 quand un peu plus de 82 000 s’étaient enregistrés en tout, sachant que le délai cette année n’expire que le 20 novembre.

Cette année, l’affaire semblait pourtant plutôt mal embarquée. Il y a une dizaine de jours, le nombre de Libanais de l’étranger inscrits sur la plateforme ne dépassait pas les 50 000, une déception pour tous ceux qui comptent sur ces électeurs pour susciter un changement significatif lors du prochain scrutin. On doit le soudain bond dans les chiffres à de réels efforts effectués sur le terrain par les groupes de la société civile, malgré les nombreuses incertitudes qui demeurent sur le scrutin et ses conséquences.

« Les Libanais de la diaspora avaient peur que leur vote ne soit confiné à six sièges répartis sur les continents comme le prévoyait la loi de 2017. Malgré l’amendement de ce texte qui les autorise à voter pour les 128 sièges suivant leur circonscription d’origine, ils craignent toujours un retour à la case départ », explique Ali Mourad, conseiller juridique à Kulluna Irada. Cet amendement de la loi a été approuvé au Parlement, mais le seul parti politique qui n’y était pas favorable, le Courant patriotique libre, tente de torpiller cette décision en présentant un recours auprès du Conseil constitutionnel, ce qui pourrait replonger les Libanais de l’étranger dans le doute.

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« L’incertitude pèse sur le nombre des inscriptions, ce qui se passe est tout sauf démocratique », estime Dayana el-Baba, coordinatrice de projet à l’Association libanaise pour la démocratie des élections (LADE). Elle cite la question de la date des élections, qui a été rapprochée à la fin mars par un amendement du Parlement (le scrutin devait avoir lieu en mai). Or, mardi dernier, le ministère des Affaires étrangères a indiqué à celui de l’Intérieur qu’il ne pourrait pas organiser le scrutin des émigrés dans les délais impartis.

« Je suis très en colère parce que toutes ces manœuvres visent à entraver notre vote. J’étais déjà un peu perdue et j’avais peur de m’inscrire. La déclaration du ministère des Affaires étrangères me plonge un peu plus dans la perplexité », explique Nora*, qui avoue désormais préférer rentrer au Liban pour voter plutôt que de faire la procédure pour pouvoir voter depuis Dubaï.

Objectif : 200 000

Les inscriptions sont également freinées par le manque de confiance dans les institutions. « Beaucoup se disent qu’il y aura de la triche » lors du scrutin, explique Zeina Moukaddem, de l’équipe de liaison avec la diaspora au sein de Nahwal Watan. C’est pour cette raison que Rola, 49 ans, préfère voter au Liban plutôt que dans son pays de résidence, la Grèce. « Comment pouvons-nous faire confiance aux ambassades ? Est-ce que des personnes de l’opposition seront présentes pour superviser les élections à l’étranger ? » s’interroge cette Libanais originaire de la Békaa-Ouest.

Malgré tous ces obstacles, les organisations de la société civile, à l’étranger comme au Liban, ne baissent pas les bras. Car si les chiffres ont augmenté, ils restent loin de l’objectif initial qui est de 200 000 inscrits. « Si nous continuons sur notre lancée, nous pourrons atteindre 130 000, voire 150 000 inscrits », pense Ali Mourad.

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« Nous travaillons depuis 2020 sur la question du vote de la diaspora », témoigne Nancy Stephan, membre de The Lebanese Diaspora Network (le Réseau de la diaspora libanaise). « Nous avons affiché des posters dans les commerces libanais à l’étranger. Nous organisons presque quotidiennement des meetings par zoom pour aider les gens à s’inscrire, mais aussi les persuader de le faire », poursuit-elle. Dimanche dernier, un marathon de 24 heures a été organisé par le réseau. À l’issue de la journée, « 8 044 personnes de plus s’étaient inscrites », rapporte Nancy Stephan. Des centres d’appel ont également été mis en place par les plateformes Kulluna Irada (+961 76/907686) et Nahwal Watan (+961 76/777403 / 450).

Des efforts qui ne se limitent pas aux organisations mais sont également portés par de simples citoyens motivés. Abdallah, qui votera pour la circonscription Mont-Liban I (Kesrouan-Jbeil) aux États-Unis, a contacté de sa propre initiative cent Libanais de la diaspora, après avoir jugé « décevants » les premiers chiffres d’inscrits. « Je pense que beaucoup de gens ont commencé à s’inscrire après mes appels, ils avaient besoin d’encouragements », raconte le quarantenaire qui vit à Philadelphie. « Le point commun entre eux, c’est le défaitisme. Les Libanais sont brisés, ils ont perdu espoir », regrette-t-il.

Difficultés techniques

Parmi les personnes contactées par Abdallah, certaines rencontraient aussi des difficultés techniques, et c’est précisément l’un des freins importants aux inscriptions. « Le site paraît simple, mais des complications empêchent les électeurs d’arriver au bout de la démarche. À titre d’exemple, ils ne reçoivent pas de mail de confirmation à l’issue de la première étape de l’enregistrement et doivent donc créer une nouvelle adresse mail pour tenter de débloquer le processus », explique Zeina Moukaddem.

Autre problème : certains Libanais de l’étranger n’ont pas les documents nécessaires pour s’inscrire, ayant souvent quitté le pays dans l’urgence. Nadia, 30 ans, a rapidement compris que sa seule option pour voter est de rentrer au Liban, car elle n’a toujours pas reçu sa carte de résidence en Côte d’Ivoire. Si elle a quitté un pays qu’elle « ne reconnaît plus », elle veut faire l’effort de se déplacer pour voter « pour ceux qui sont restés ». Cybèle, elle, vit à Montréal avec un visa touristique depuis mai 2021. « Je ne peux pas voter car je n’ai pas de preuve de résidence… C’est très frustrant pour moi », explique la femme âgée de 36 ans, qui a quitté le pays avec ses enfants après la double explosion au port, le 4 août 2020, dans le cadre de laquelle elle a perdu un proche. Difficile pour elle de comprendre pourquoi certains Libanais de l’étranger ne souhaitent pas faire l’effort de voter quand cela leur est possible.

« Un jour dans votre vie, c’est quatre ans dans la nôtre »

Car le découragement, le désespoir et le dégoût pur et simple sont autant de facteurs de démotivation pour ceux qui ont choisi de s’expatrier. C’est le cas d’Anis*, 42 ans, qui habite à Montréal depuis 2010 et ne compte pas voter aux prochaines législatives. « Le Liban ne m’a rien apporté. Je ne comprends pas comment on peut toujours avoir espoir en ce pays. »

« Pourquoi m’inscrire ? Rien ne va changer ! » s’exclame Dalia*, 28 ans. Pourtant, il fut un temps où cette jeune Libanaise, qui a activement participé à la thaoura, était habitée par l’espoir. Mais son dégoût pour la classe politique ne suffit pas pour la pousser à s’inscrire. « Le Liban est une cause perdue, lâche-t-elle. La population est presque aussi corrompue que la classe politique. Il n’y a qu’à entendre ceux qui se vantaient de leur “wasta” pour faire le plein durant la pénurie de carburant... » La jeune femme, qui réside à Paris depuis septembre 2021, se demande aussi pour qui elle pourrait voter en l’absence d’alternative.

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Le flou qui entoure jusqu’à présent les candidats hors establishment politique est un des arguments brandis par ceux qui ne s’inscrivent pas pour justifier leur décision. Ceci, la société civile en est consciente. « Nous fonctionnons étape par étape : aujourd’hui, la priorité est à l’enregistrement d’un maximum d’expatriés. Dans la perspective des élections, nous avons de nombreux candidats fiables, et d’ici à un mois, nous allons les présenter », affirme Zeina Moukaddem.

Pour certains, aucun argument n’est cependant convaincant, car ils estiment que les jeux sont déjà faits dans leur région d’origine. « Je vote au Liban-Sud. Et ce sont les mêmes qu’avant qui remporteront les élections », déplore Hassan, 22 ans, qui étudie à Toronto. Il fait référence au puissant tandem chiite qui domine jusque-là le paysage politique du Sud.

Ali Mourad rejette ce défaitisme. « C’est le moment du vote-sanction. Au Liban, nous sommes écrasés par une contrainte économique, confessionnelle, politique. La voix de la diaspora est plus libre. Certes, cette élection ne va pas tout changer, mais c’est une étape dans un processus lent, fatigant et difficile, mais un processus tout de même. » Pour l’expert, le vote de la diaspora a un poids qui peut « changer la donne ». « Avec 10 000 voix de plus dans chaque circonscription, on peut modifier la configuration électorale. Avec 10 députés opposants, on peut saisir le Conseil constitutionnel. Avec 20 députés, on a notre mot à dire dans la formation du gouvernement. Avec plus que ça, on peut imposer notre choix du président de la République. S’il y a division entre deux camps, on peut devenir les faiseurs de roi. »

Pour sa part, Zeina Moukaddem tient à rappeler aux membres de la diaspora libanaise « qu’un jour dans leur vie, c’est quatre ans dans la nôtre ».

* Les prénoms ont été changés.

Ils étaient 101 088 Libanais non résidents à s’être inscrits pour voter aux élections législatives qui devraient avoir lieu le 27 mars 2022, selon les derniers chiffres du ministère des Affaires étrangères qui datent du 10 novembre. Un chiffre qui dépasse déjà celui de 2018 quand un peu plus de 82 000 s’étaient enregistrés en tout, sachant que le délai cette année...

commentaires (14)

Les aquoibonistes qui ne s'inscrivent pas pourraient rendre leur passeport. La diaspora serait ainsi plus justement estimée. Même si sur 100 000 "préinscrits", certains ne seront pas pris en compte pour "procédure incorrecte'", même si la fraude sera importante, même s'il n'y aura pas de candidat d'opposition crédible, même si la majorité des libanais ne voudra pas changer le pays... il restera l'espoir porté par ces "quelques" voix de l'étranger qui refuse d'enterrer le Liban où ils sont nés.

Georges Lebon

17 h 11, le 12 novembre 2021

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Commentaires (14)

  • Les aquoibonistes qui ne s'inscrivent pas pourraient rendre leur passeport. La diaspora serait ainsi plus justement estimée. Même si sur 100 000 "préinscrits", certains ne seront pas pris en compte pour "procédure incorrecte'", même si la fraude sera importante, même s'il n'y aura pas de candidat d'opposition crédible, même si la majorité des libanais ne voudra pas changer le pays... il restera l'espoir porté par ces "quelques" voix de l'étranger qui refuse d'enterrer le Liban où ils sont nés.

    Georges Lebon

    17 h 11, le 12 novembre 2021

  • Pour le consulat du Liban en France j'ai aussi beaucoup galéré. Il faut appeler le 01.40.67.26.26, puis le poste 7 ou 8.

    Cabbabe Nayla

    01 h 03, le 12 novembre 2021

  • J'espère que nos votes compteront. Et qu'il y ai des élections... En attendant, inscrivez-vous

    Libre Arbitre

    23 h 39, le 11 novembre 2021

  • Je comprends pas ceux qui se plaignent, l'inscription était très simple. Nous étions 4 à s'inscrire, aucun problème

    Libre Arbitre

    23 h 38, le 11 novembre 2021

  • Done, pour contribuer quelque peu à l'édifice d'un pays digne de ce nom, et en espérant qu'il n'y ait pas de mauvaises surprises de dernière minute.

    Pseudonyme

    21 h 44, le 11 novembre 2021

  • Eu au téléphone une personne très aimable de l’ambassade. Mais je dois rappeler demain parce que aujourd’hui est un jour férié. Quant au formulaire en ligne, je n’ai pas tenté à nouveau. À se demander pourquoi c si compliqué. Délibérément?

    Marionet

    21 h 29, le 11 novembre 2021

  • TRES DIFFICILE SANS AIDE DE S'ENREGISTRER. LE PERSONNEL DE L'AMBASSADE ONT ETE TRES SERVIABLE ET POSITIF MAIS CELA RESTE COMPLIQUE EN ANGLAIS . LE PROBLEME QUE LES AMBASSADES NE RECOIVENT PAS LES PERSONNES A L'AMBASSADE POUR SE FAIRE INSCRIRE VUE LA SITUATION DU CORONA QUI AUGMENTE LA DIFFICULTE LA VERITE: POURQUOI UN SITE PRIVE OU GOUVERNEMENTAL NE POURRAIT PAS ETRE CREE AVEC UN ACCES AU TELEPHONE PAR WHATTSAPP OU GRATUIT AFIN D'AIDER LES PERSONNES A S'ENREGISTRER?

    LA VERITE

    16 h 56, le 11 novembre 2021

  • TOUT SIMPLEMENT ILS PREVOIENT OU PLUTOT ILS SAVENT QU,IL N,Y AURAIT PAS DE RESULTAT MEME SI PAR HASARD IL Y AURAIT DES LEGISLATIVES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 49, le 11 novembre 2021

  • PEU. TRES PEU ENCORE. IL FAUT UN MILLION POUR RETOURNER LES CHOSES UP-DOWN ! SUR LE PAPIER CAR LA TRINITE DIABOLIQUE DU MAL METTRAIT TOUT EN DOUTE ET BLOQUERAIT TOUT NOUVEAU PARLEMENT ET FORMATION DE TOUT NOUVEAU GOUVERNEMENT ISSU DES LEGISLATIVES... CA SI IL Y AURAIT DES LEGISLATIVES.

    LA LIBRE EXPRESSION

    14 h 40, le 11 novembre 2021

  • Je ne comprends pas ce défaitisme ,manque de courage et motivation . Cette tiédeur est écœurante ! Lorsqu’on est conscient et qu’on n’agit pas , c’est presque un crime envers ceux qui se débattent sur place pour changer la donne et lorsqu’on est inconscient, c’est encore un autre crime,,,

    Wow

    13 h 38, le 11 novembre 2021

  • Découragement , déception , défaitisme, obstacles , manque de confiance dans le système , peur de s inscrire , retour à la case départ , incertitudes du scrutin et ses conséquences, triche etc… … et j en passe , ces termes utilisés par des défaitistes , ne justifient en aucun cas qu il faudrait baisser les bras et subir les manœuvres au quotidien de certains politiques, qui tentent par tout moyen habile de créer un climat d incertitude parmi la diaspora pour tenter,utilisant leurs nombreux sbires , de freiner notre élan et nous faire boycotter l enregistrement auprès des autorités de tutelles, qui nous autorise à nous exprimer lors des élections législatives prochaines …. Ces lâches devraient être traité et jugé pour haute trahison… Celles et ceux qui ont vécu le calvaire à regarder les bras croisés leur Mère Patrie s effondrer sans action aucune de leur part répétant « à quoi mon engagement servira t il ?? »devraient être punis .. ASSEZ cela est préjudiciable pour «  Non assistance à personnes en danger «  …. Nous le défendrons ce pays à nos corps défendant et nous nous exprimerons tant que le sang coulera dans nos veines … Il ne reste plus que 9 jours pour agir et accomplir un devoir citoyen , atteindre le maximum du nombre des enregistres pour bien voter …

    Menassa Antoine

    12 h 18, le 11 novembre 2021

  • Pour contrer les 100 000 assassins de l'index menaçant.

    Christine KHALIL

    11 h 17, le 11 novembre 2021

  • Comme dans une pub du Loto, et pour paraphraser, 'ceux qui n'ont pas joué ne pouvaient pas gagner'. Idem pour la Diaspora libanaise, du moins celles et ceux et qui, peu ou prou, continuent de s'intéresser à leur pays d'origine. Au delà de tous les calculs et suppositions, un pragmatisme élémentaire devrait conduire, d'abord, à s'inscrire. Car, sans inscription, pas de vote. Pour le reste, on verra.

    Illico Presto

    10 h 53, le 11 novembre 2021

  • Je tente en vain de m’inscrire sur la plateforme du ministère des affaires étrangères. J’ai rempli le formulaire mais n’ai pas reçu de confirmation d’inscription. J’ai donc tenté de joindre hier au tél. l’ambassade à Paris. Mais après avoir écouté le répondeur égrainer « pour le bureau de l’ambassadeur, tapez 1, pour l’attaché militaire, tapez 2, j’ai essayé « tapez 7 » pour le service administratif »: nobody. J’ai rappelé en choisissant cette fois-ci le service consulaire, pas de réponse et au service des passeports non plus. Une vraie galère… mais je recommence aujourd’hui. Quelqu’un finira bien par décrocher, rien que pour plus entendre sonner.

    Marionet

    09 h 09, le 11 novembre 2021

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