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Moyen-Orient - Éclairage

Comment le Shin Bet a inventé des preuves pour placer des ONG palestiniennes sur liste noire

Une enquête menée par des journalistes israéliens a permis d’analyser le matériel, tenu jusque-là secret, exploité par le renseignement israélien afin de placer six ONG palestiniennes sur la liste des « organisations terroristes », le 22 octobre dernier.

Comment le Shin Bet a inventé des preuves pour placer des ONG palestiniennes sur liste noire

Addameer, une ONG palestinienne venant en aide aux prisonniers politiques dans les territoires occupés, fait partie des organisations classées « terroristes » par Israël depuis le 22 octobre. Photo AFP

Quelles sont ces preuves « dures comme la pierre » auxquelles se raccrochent les autorités israéliennes? Depuis plus de deux semaines, la société civile, ainsi que certains représentants locaux et étrangers, ressassent en boucle cette même question. Au cœur du mystère : les éléments du renseignement qui, ne laissant pas « de place au doute », ont conduit le gouvernement israélien à placer, le 22 octobre, six ONG palestiniennes sur la liste des « organisations terroristes ».

Alors que de nouvelles révélations concernant l’utilisation du logiciel d’espionnage israélien Pegasus afin de traquer les employés de ces ONG alimentent la polémique, une enquête inédite publiée jeudi dénonce l’absence de preuves des autorités. Pendant plusieurs semaines, trois médias indépendants (+972, Local Call et The Intercept) ont analysé le contenu de documents confidentiels, dont notamment le rapport initial émis par le Shin Bet (l’agence de renseignements israélienne) ayant servi de base à l’argumentation du gouvernement, ainsi que des retranscriptions d’interrogatoires.

Jusque-là, l’argumentaire officiel tenait en quelques lignes : les ONG visées, parmi lesquelles figurent certaines organisations de réputation internationale comme el-Haq ou Addameer, seraient liées au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) – un groupe armé palestinien marxiste lui-même qualifié de terroriste depuis plusieurs années par l’État hébreu et l’Union européenne. « Sous couvert d’activités civiles, ces organisations sont liées à la direction du FPLP qui appelle à la destruction d’Israël par des actes terroristes », avait alors affirmé un communiqué du bureau du ministre israélien de la Défense, Benny Gantz.

Le gouvernement lui-même ne s’en cache pas : il s’agit alors de pousser les Occidentaux à réduire, voire arrêter, les financements étrangers de ces organisations dont le travail quotidien dérange, soit parce qu’il entache la réputation internationale de l’État hébreu, soit parce qu’il menace de traduire en justice (locale ou internationale) certaines des politiques dénoncées. Mais à Bruxelles comme à Washington, l’argumentation ne convainc pas : il en faut davantage que quelques assurances de « liens incontestables » contenus dans des « documents secrets » pour obtempérer. D’autant qu’en face, les sociétés civiles palestinienne et israélienne ont fait front commun pour dénoncer la décision du gouvernement – les responsables concernés professant que « tout le monde sait où chaque shekel va », selon les mots de Hisham Sharbati, chercheur à el-Haq, interrogé par le magazine en ligne +972.

« Cours de dabké »

Mais si la levée de boucliers a été déclenchée par l’annonce du mois dernier, l’enquête du consortium rappelle que les manœuvres de l’exécutif en vue de couper les financements étrangers de certaines ONG sont bien plus anciennes. En ce sens, la liste du 22 octobre n’est que le dernier outil d’une stratégie débutée en amont, des années plus tôt, au sein du ministère des Affaires stratégiques et visant à identifier les organisations palestiniennes qui « délégitiment Israël », selon +972.

Alors que le dossier change d’autorité, passant sous la houlette du ministère de la Défense, la rhétorique sécuritaire s’appuyant sur des charges « confidentielles » sera désormais l’axe charnière de l’argumentaire. En mai 2021, un rapport du Shin Bet mentionne pour la première fois les éléments de langage repris par la suite. Le document de 74 pages auquel les trois médias ont eu accès, intitulé « Findings of Inquiry: Foreign Funding for the Popular Front for the Liberation of Palestine through a Network of ‘Civil Society’ Organizations », est avant tout destiné aux dirigeants européens. Il développe la thèse centrale du gouvernement : six ONG palestiniennes – les mêmes qui seront sélectionnées en octobre – fourniraient une façade « sociale » au PFLP, tandis qu’une partie des financements étrangers rejoindraient directement le groupe armé.

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Pour étayer ces accusations, le rapport s’appuie sur des interrogatoires menés par les renseignements israéliens entre mars et mai 2021, ainsi que sur quelques documents annexes (factures, enregistrements audio). Problème : ni les personnes interrogées ni les documents mentionnés ne sont en lien avec les ONG ciblées…

De surcroît, Said Abdat et Amro Hamoud, les deux anciens comptables de la Health Work Committee (une organisation palestinienne illégale depuis janvier 2020 qui ne fait pas partie des six ONG visées) convoqués par le Shin Bet ont depuis été renvoyés par leurs employeurs pour malversations financières… Leurs déclarations, obtenues sous la torture selon les avocats, n’indiquent aucun lien direct entre les ONG et le FPLP, ni avec aucune activité violente. Les témoignages permettraient, tout au plus, d’établir un vague lien entre ces ONG et certaines activités éducatives ou humanitaires, comme par exemple des « cours de dabké ».

Selon l’enquête révélée jeudi, les autorités ne disposent d’aucun autre élément permettant d’incriminer les organisations : le rapport du Shin Bet, toujours classé confidentiel, rassemblerait les seuls faisceaux d’accusations. Les autorités ont quant à elles ignoré les demandes des gouvernements européens et du département d’État américain, qui réclament des preuves supplémentaires.

Quelles sont ces preuves « dures comme la pierre » auxquelles se raccrochent les autorités israéliennes? Depuis plus de deux semaines, la société civile, ainsi que certains représentants locaux et étrangers, ressassent en boucle cette même question. Au cœur du mystère : les éléments du renseignement qui, ne laissant pas « de place au doute », ont conduit le...

commentaires (2)

On s'en fiche un peu et même beaucoup....

Christine KHALIL

11 h 38, le 10 novembre 2021

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Commentaires (2)

  • On s'en fiche un peu et même beaucoup....

    Christine KHALIL

    11 h 38, le 10 novembre 2021

  • Abstraction de l'article et de ce que feraient les israeliens. Rappel : Les palestiniens n'ont pas besoin de "tricherie" de tiers, pour être sur liste noire. Il suffit de voir les dégats qu'ils font à chaque fois dans les pays qui les accueillent. Au liban, ils transportaient des armes dans des ambulances. A gaza, ils protègent leurs armes dans des caches souterraines et ce sont des civls, (femmes et enfants) qu'ils placent au dessus de ces armes en guise de chair à canon puis ils ameutent la presse mondiale que l'on bombarde des civils, alors que ce sont les armes qui sont ciblées. Bref, au liban, nous les avons enduré et subi . On ne nous la fait pas / plus.

    LE FRANCOPHONE

    00 h 07, le 10 novembre 2021

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