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Lifestyle - Beyrouth Insight

Akram Nehmé, un électron libre à Beyrouth

« Je ne suis pas Superman », dit-il. Pourtant, aux yeux de beaucoup, Akram Nehmé, plutôt un « Superman à la tête de voyou », comme on le qualifie, fait des miracles dans le cadre d’Achrafieh 2020.

Akram Nehmé, un électron libre à Beyrouth

Akram Nehmé, hyperactif généreux, entre les cartons livrés au quotidien à des personnes dans le besoin. Photo Joao Sousa

Il déteste la politique, l’injustice, les profiteurs, les assistés, les malhonnêtes, les défaitistes et les paresseux. Et il adore son pays, sa ville, ses habitants. Dans l’échiquier libanais où se bousculent politiciens, société(s) civile(s), associations et individus en tout genre, Akram Nehmé est un peu le fou de tous ces rois maudits qui ont fait basculer le pays dans sa descente infernale. Entre eux et les autres pions, menés tous par leur appétit féroce du pouvoir et de l’argent, il se faufile et navigue en toute liberté dans le cadre de l’ONG Achrafieh 2020 pour « mettre en contact les personnes qui donnent et celles qui sont dans le besoin. Nous sommes une équipe de sept personnes au service des habitants d’Achrafieh ».


Les volontaires d’Achrafieh 2020 à l’œuvre. Photo C.H.

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« Achrafieh, c’est mon village. Je suis né ici et je mourrai ici. J’en connais chaque recoin, chacun de ses habitants, sa force et tous ses problèmes. » Hyperactif, il ne dort pas plus de 4 heures par jour, émotif au grand cœur qui cache ses larmes quand il voit que la dignité d’un individu est atteinte, et il vit ce malaise plusieurs fois par jour depuis 2018, Akram Nehmé a toujours été un réaliste positif. « Le collapse qui arrive, je l’avais prédit il y a 7 ans, en essayant de lancer des alertes sur ma page Facebook. Je voyais que cette configuration artificielle ne pouvait plus durer, dans le monde et encore plus au Liban. Les personnes qui nous aidaient en 2018 à nourrir des familles d’Achrafieh, ce sont elles aujourd’hui qui frappent à nos portes. C’est désolant… » Et de rajouter, très vite : « Mais je crois très fort que ça va aller. » Élève indiscipliné, jeune combattant des premières heures de la guerre civile, il quitte la maison familiale et les restes de son enfance à 16 ans, prend les armes aussitôt pour défendre sa vision du Liban et son territoire et perd son frère aîné deux ans plus tard. « Je suis né au mauvais moment, confie-t-il. Je considère que je n’ai pas eu une enfance ni une adolescence normale, comme beaucoup de Libanais. » Fort de ses convictions, impatient et surtout intègre, ce Monsieur 100 000 volts carbure à la générosité et à la liberté. Son franc-parler n’a d’égal que son efficacité. « Je ne prends part à aucune réunion, je ne fais aucune étude, la paperasse et les formalités, ce n’est pas mon fort. Je suis quelqu’un qui travaille, un homme de terrain. Je vis ma chrétienté dans la rue. » Sous la bannière d’Achrafieh 2020 où il officie depuis 2012, il a su canaliser cette énergie débordante et en faire bénéficier des milliers de personnes, en toute discrétion et sans jamais en faire des assistés. « Nous fonctionnons dans un échange de bons procédés. Il ne s’agit en aucune façon de mendicité mais d’entraide. “Superman avec une tête de criminel”, de tendre voyou ou de “saint François d’Assise”, peu importe, ce qui compte pour moi, dit-il en souriant, ses lunettes oubliées sur son front plissé par trop de réflexion, c’est le résultat. »


L’équipe de Achrafieh 2020, de gauche à droite : Noël Abi Nader, Carole Babikian Kikoni, Karim Mounayar, Akram Nehmé, Michel Raggi, Christina Abou Hamad et Jihad Bitar. Photo DR

Donner pour donner

Sur ce terrain dont il défend bec et ongles les valeurs et les habitants, Akram Nehmé a vécu plusieurs vies. D’abord celle du combattant, puis du partisan, mais aussi celle du voyagiste et du brocanteur. « J’ai eu mon agence de voyage durant des années, c’était mon activité principale. » Avec Histoire Géo, il fait de sa passion des objets anciens un nouveau métier. Aujourd’hui, c’est dans ces locaux de 300 m2 transformés en dépôts bien organisés qu’il passe le plus clair de son temps. Entre les luminaires Art déco, les tableaux, les icônes, les livres, les vieilles horloges dont une, derrière lui, suspendue au 4 août 18 heures sept, les photos des saints, les statues de la Vierge, les cartons et son chat, tout l’univers d’Akram se retrouve sous un même toit. Ce matin, comme tous les matins, un groupe de volontaires reconnaissables à leur belle énergie et leur gilet fluo Achrafieh 2020 s’affairent avec le sourire. Derrière son bureau chargé de souvenirs, Akram Nehmé donne des directives, insulte, plaisante, s’énerve, remercie et rassure. Son téléphone n’arrête pas, il parle vite. « Venez quand vous voulez madame. Oui nous sommes là, du lundi au vendredi, de 6h à 16 heures. De rien, madame. » Chaque mois, 700 cartons de produits non périssables sont ainsi empaquetés, grâce à l’aide d’une dizaine de volontaires, et 450 plats chauds servis tous les jours pour venir en aide à cette classe moyenne qui n’en est plus une. « Tous les jours entre 11h45 et 12h15, nous frappons à la porte de 84 personnes âgées qui ne peuvent pas se déplacer… Nous sommes une grande famille et je crois fort en la communauté. »

Pour mémoire

« Nous sommes passés par beaucoup d’épreuves, mais ces jours sont les plus noirs de notre vie »

Soucieux de chaque détail, curieux, Akram Nehmé a démarré depuis trois ans une campagne sur les réseaux sociaux intitulée Le cœur d’Achrafieh en y dressant le portrait de petits commerçants d’Achrafieh, « une manière de leur rendre hommage, de recenser des personnes, des métiers qui se perdent et leur ramener des clients ». Présent sur tous les fronts et partout où cela est nécessaire, Achrafieh 2020 a organisé des journées piétonnes, des activités écologiques communautaires, des marches dans Achrafieh sous le titre Marchons ensemble, nourri les révolutionnaires, aidé à déblayer les dégâts au lendemain du tragique 4 août. « Le 5, nous avons rassemblé 240 volontaires qui ont nettoyé la caserne des pompiers en 72 heures. Nous leur avons assuré 700 sandwiches et 1 200 bouteilles d’eau par jour. « Rien de tout ceci ne serait évidemment possible sans l’aide de généreux donateurs au Liban et à l’étranger et beaucoup d’amis. » Parmi eux, « notre colonne vertébrale » Just Help, plateforme de la diaspora libanaise installée à Paris, qui permet de recevoir de l’argent frais pour alimenter les caisses. Mais ce n’est jamais assez… Une collecte de fonds vient d’être lancée pour le mois de novembre, avec un besoin urgent en boîtes de conserve (thon, sardines, légumes, fèves, pois chiches), d’huile, de pâtes, de savon en barres et de dentifrice.


Akram Nehmé, devant l’horloge arrêtée au 4 août 18 heures 07. Photo Joao Sousa

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Et comme si tout cela ne suffisait pas, et parce que tout cela ne suffit pas, Achrafieh 2020 (Carole Babikian Kokoni – présidente, Michel Raggi, Karim Mounayar, Noël Abi Nader, Jihad Bitar, Christina Abou Hamad et Akram Nehmé ) a de nouveaux projets en cours pour « penser à cette nouvelle génération. Lui donner les moyens de se soigner, se nourrir mais aussi de s’éduquer ». Ainsi, grâce à la paroisse Saint-Jean et le père Gabriel Tabet qui a mis ses locaux à la disposition de l’association, et Denise Khalifé Salamé de la fondation Ounss, 30 enfants de 7 à 15 ans ont accès, de 15 heures à 20 heures, à un espace de travail, de lecture, de jeux et de loisirs. Enfin, « et c’est un projet plus personnel », Akram Nehmé et six de ses amis lancent à Noël un club d’un autre genre, dans Achrafieh évidemment, « où l’on peut boire un verre ou manger à prix coûtant ». Pour concrétiser ce concept et le rendre viable, un système d’abonnement mensuel adressé à 200 membres pourra couvrir les frais fixes et permettre, en plus, de générer des emplois. Enfin, quand il lui reste du temps, les dimanches en général, il sillonne les villages à l’affût de produits locaux qu’il achète et place dans ses cartons magiques. « Je rêve, avant de mourir, de voir se mettre en place une municipalité autonome à Achrafieh, parce qu’elle le mérite. Pour nous et pour nos enfants », confie cet homme de terrain. « Quand j’écoute notre hymne national, j’ai la chair de poule. Pour mon fils et sa génération, c’est malheureusement juste une chanson… »

*Pour vos dons, contactez le 03 700070 ou cliquez sur le lien https://www.just-help.org/c/achrafieh2020

Il déteste la politique, l’injustice, les profiteurs, les assistés, les malhonnêtes, les défaitistes et les paresseux. Et il adore son pays, sa ville, ses habitants. Dans l’échiquier libanais où se bousculent politiciens, société(s) civile(s), associations et individus en tout genre, Akram Nehmé est un peu le fou de tous ces rois maudits qui ont fait basculer le pays dans sa descente...

commentaires (2)

De la loyauté, de la générosité, du cœur, de l’intelligence des situations, de l’intégrité et au delà de tout cela le sens de l’honneur et du partage. Un rassembleur. Une formidable équipe….

Danielle Kerbage

17 h 29, le 04 novembre 2021

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Commentaires (2)

  • De la loyauté, de la générosité, du cœur, de l’intelligence des situations, de l’intégrité et au delà de tout cela le sens de l’honneur et du partage. Un rassembleur. Une formidable équipe….

    Danielle Kerbage

    17 h 29, le 04 novembre 2021

  • Tout est dit, plus rien a rajouter. Bravo Akram et toute l'equipe!

    Le Phenicien

    10 h 50, le 04 novembre 2021

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