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Moyen-Orient - Éclairage

Danemark : ces réfugiés syriens prêts à tout pour échapper à un retour forcé

Alors que les autorités de Copenhague considèrent Damas et ses environs comme des « zones sûres », les Syriens dont les permis de séjour provisoires ont été suspendus sont confrontés à un dilemme : se rendre dans des camps dits de « retour » ou revenir dans leur pays natal.

Danemark : ces réfugiés syriens prêts à tout pour échapper à un retour forcé

La police danoise et un groupe de migrants, principalement originaires de Syrie et d’Irak, le 9 septembre 2015. Jens Noergaard Larsen/Getty Images/AFP

Ce mardi 26 octobre, au pied de son petit appartement en briques rouges situé dans la ville danoise de Ringsted, où elle a vécu pendant sept ans, Asmaa el-Natour salue sa voisine de 92 ans, sortie sur son balcon pour lui faire ses adieux. En larmes, la réfugiée syrienne âgée de 50 ans s’apprête encore une fois à tout laisser derrière elle. « Ma voisine était très surprise de mon départ. Elle m’a demandé : est-ce que tu voyages ? J’ai répondu que les autorités m’emmenaient dans un camp. Elle s’est mise à pleurer et a saisi ma main en me disant de ne pas y aller », raconte Asmaa el-Natour depuis le camp dit de « retour » où elle est arrivée avec son mari il y a huit jours.

La scène, immortalisée par un journaliste danois et largement partagée sur les réseaux sociaux, a provoqué un nouveau tollé au Danemark et à l’international. En avril dernier, un flot de critiques s’était déjà abattu sur Copenhague dans le sillage de sa décision de révoquer les permis de séjour provisoires de plus de 200 réfugiés syriens, suite aux conclusions tirées par les autorités danoises fin 2019 selon lesquelles la capitale syrienne est désormais « sûre » ainsi que sa banlieue depuis février dernier. En pratique, cette annonce signifie que les réfugiés originaires de ces zones sont forcés de retourner dans leur pays. À l’époque, 11 des 12 experts cités dans l’un des rapports du service de l’immigration danois avaient pourtant expliqué que leurs informations avaient été manipulées et avaient averti sur les risques de ces rapatriements.

« L’objectif des autorités est de faire en sorte que les réfugiés passent le moins d’années possible au Danemark, car il sera plus difficile en vertu de la Constitution de leur retirer leur permis de séjour et de les renvoyer en Syrie s’ils ont passé une longue période dans le pays », dénoncent l'avocat Mohammad Bertaoui et Imad el-Halabi, tous deux engagés auprès de l’organisation syro-danoise Syrisk Forening i Danmark (SFD), venant en aide aux réfugiés. Premier signataire de la convention des Nations unies sur les réfugiés de 1951, le Danemark a semblé cependant prendre une direction opposée au cours de ces dernières années.

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Depuis 2019, 620 réfugiés syriens et leurs proches ayant bénéficié du regroupement familial au Danemark ont perdu leur titre de séjour, parmi lesquels 90 d’entre eux se sont vus confirmer cette décision en seconde instance, indique le service danois de l’immigration. « Il y a également un objectif politique derrière : faire en sorte qu’il y ait zéro demandeur d’asile en vue des prochaines élections », soulignent également Mohammad Bertaoui et Imad el-Halabi, en référence au scrutin municipal fixé le 16 novembre dans un contexte de montée en puissance des partis d’extrême droite et de soutien d’une grande partie de la classe politique danoise à ces mesures de durcissement. Il y a une dizaine de jours, une initiative populaire demandant aux autorités danoises de ne plus priver de permis de séjour des Syriens originaires de Damas a néanmoins dépassé les 50 000 signatures et devrait ainsi être étudiée par les parlementaires.

Opposants au régime

Suscitant une vague d’indignation, un rapport publié le mois dernier par Human Rights Watch a mis en lumière le cas de dizaines de réfugiés revenus en Syrie entre 2017 et 2021 depuis le Liban et la Jordanie et qui ont fait l’objet de « graves violations des droits humains », parmi lesquelles des arrestations et des détentions arbitraires, de la torture, des enlèvements ou encore des exécutions extrajudiciaires et des disparitions forcées. Contacté par L’Orient-Le Jour au sujet des menaces liées au retour forcé de réfugiés syriens, l’attaché de presse au service danois de l’immigration a affirmé que « chaque décision est basée sur des évaluations concrètes et individuelles ». « En général, les autorités sont très conscientes des personnes dites profilées qui sont ou pourraient être en danger lors d’un retour en Syrie et toutes les décisions sont prises sur la base d’un principe de précaution », a-t-il souligné.

Pourtant, de nombreux Syriens connus pour être des opposants au régime se voient refuser le renouvellement de leur titre de séjour. Recherché par le pouvoir syrien, Youssef Farès a récemment dû quitter le Danemark où il bénéficiait depuis 2014 d’un permis de séjour, après avoir été informé en février dernier que ses papiers ne seraient pas renouvelés. « Mon entretien au service de l’immigration a duré environ neuf heures. J’ai parlé des dangers qui m’attendaient si je venais à retourner en Syrie », explique celui qui a perdu trois de ses frères en « martyrs ». Alors que l’un de ses frères a été enlevé en 1978 par le régime syrien sous couvert d’accusation d’être un membre des Frères musulmans, un autre a été arrêté en 2013 dans la branche 215, un centre de détention et de torture affilié aux services de renseignements militaires et basé à Damas, où il est décédé. Son troisième frère a également été arrêté un an plus tard par la même branche. Ayant demandé l’asile aux Pays-Bas, Youssef sera contraint de revenir au Danemark et de vivre dans un « camp de déportation » si le tribunal hollandais rejette sa demande.

Briser des familles

Si le gouvernement danois, qui n’a pas normalisé ses liens avec Damas, ne peut rapatrier de force les réfugiés syriens sans permis de séjour, deux choix s’offrent à ces derniers. Retourner en Syrie de leur plein gré avec un dédommagement d’environ 28 000 dollars ou rester indéfiniment dans les « camps de déportation », selon les termes utilisés par les activistes. « Le but de ces camps est de rendre la vie essentiellement invivable pour ces réfugiés au point qu’ils ne veulent plus y rester, dénonce Alysia Alexandra, une activiste indépendante danoise. Cela inclut des conditions de vie absolument horribles, le manque d’hygiène et de ressources de base, des règles très strictes concernant le droit d’entrée et de sortie des résidents ainsi que les visites auxquelles ils ont droit. Tout doit être pré-approuvé. »

Pour mémoire

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Pour Asmaa el-Natour, originaire de Deraa mais qui vivait et travaillait à Damas, le centre de détention de Sjaelsmark, situé à Copenhague, n’est ni plus ni moins une prison. « J’ai besoin de faire tamponner un papier chaque fois que je veux sortir pour voir mes enfants. Le trajet est long et coûte cher », déplore-t-elle. L’expulsion d’Asmaa et de son mari leur a valu d’être séparés de leurs deux fils de 20 et 24 ans. Ces derniers ont obtenu une protection permanente en raison du risque de conscription s’ils revenaient dans leur pays natal. Alors, même depuis le camp, la quinquagénaire ne baisse pas les bras et affirme vouloir protester contre les autorités danoises, accusées de briser des familles et de livrer les Syriens à un régime sanguinaire. « Je ne resterai pas un mois ici. Aucun des équipements ici n’est digne d’un être humain, même les animaux ne voudraient pas rester ici », fustige Asmaa el-Natour, qui n’hésite pas à faire entendre sa voix sur sa page Facebook. À ses yeux, retourner en Syrie n’est cependant pas une option. « Plutôt mourir ici avec mon mari que d’aller en Syrie. Nous sommes des opposants connus et je suis originaire du berceau de la révolution », souffle-t-elle.

Une situation que Alaa’ Aouda craint de connaître à son tour et d’être séparée de son mari et de sa fille, alors qu’elle ignore encore si son permis de séjour sera renouvelé après avoir passé un entretien de six heures au service de l’immigration en septembre dernier. « Si elle retourne en Syrie, elle sera immédiatement arrêtée, c’est certain », insiste son mari Nayef, qui est originaire de Homs et n’est donc pas menacé par un retour forcé. Le couple, qui s’est rencontré au Danemark en 2015, est impliqué dans des activités de sensibilisation dans le pays contre le régime de Bachar el-Assad. Le 13 novembre, de nombreuses manifestations sont prévues dans tout le Danemark pour protester contre le traitement infligé par les autorités aux réfugiés.

Ce mardi 26 octobre, au pied de son petit appartement en briques rouges situé dans la ville danoise de Ringsted, où elle a vécu pendant sept ans, Asmaa el-Natour salue sa voisine de 92 ans, sortie sur son balcon pour lui faire ses adieux. En larmes, la réfugiée syrienne âgée de 50 ans s’apprête encore une fois à tout laisser derrière elle. « Ma voisine était très surprise de...

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