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Politique - Focus

Les calculs de Riyad au Liban

Le royaume saoudien renforce son désengagement et se repositionne dans le même temps comme un acteur majeur du jeu politique libanais.

Les calculs de Riyad au Liban

Le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammad ben Salmane. Photo d’archives AFP

Ceci « n’est pas une crise ». Ce n’est pas seulement par goût pour la provocation que le chef de la diplomatie saoudienne, Fayçal ben Farhane, a tenu à faire passer ce message ce week-end dans une interview accordée à la chaîne de télévision américaine CNBC. Comment en effet ne pas qualifier de crise l’annonce par l’Arabie saoudite du retrait de son ambassadeur, du renvoi de son homologue libanais en poste dans le royaume et de l’arrêt des importations en provenance du pays du Cèdre ? Si ce n’est pas une crise, c’est que c’est en fait beaucoup plus que cela. Et Riyad tenait à mettre rapidement les points sur les i. « Nous sommes parvenus à la conclusion que traiter avec le Liban et son gouvernement actuel n’est ni productif ni utile, en raison de la domination continue du Hezbollah sur la scène politique », a expliqué Fayçal ben Farhane lors de l’interview. Autrement dit, aux yeux du royaume, le Liban, à moins de changer de trajectoire, n’existe plus.

Les propos du ministre de l’Information, Georges Cordahi, qui a critiqué l’offensive saoudienne au Yémen dans une interview à al-Jazeera, ne sont qu’une goutte d’eau dans cette histoire. Et son éventuelle démission serait loin de régler le problème. « Nous voulons créer une onde de choc au Liban », explique un responsable saoudien sous couvert d’anonymat. C’est le paradoxe de cette approche, qui rappelle la mise en place par l’axe saoudo-émirati du blocus contre le Qatar en 2017. D’une part, l’Arabie se désengage encore plus du terrain libanais, de l’autre, et sans que cela soit nécessairement contradictoire, elle redevient un acteur central du jeu politique local, après son coup de force. « L’Arabie saoudite a décidé d’exploiter le problème Cordahi pour matraquer son message : le Liban doit agir vite et se démarquer du Hezbollah sous peine de ne plus pouvoir compter sur les pays arabes », décrypte un diplomate de la région ayant requis l’anonymat.

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L’Arabie saoudite est en retrait de la scène libanaise depuis 2017, après la démission forcée de Saad Hariri depuis Riyad. En 2015 déjà, interrogé par un journaliste sur sa vision du pays du Cèdre, le jeune Mohammad ben Salmane, à l’époque vice-prince héritier, expliquait : « Le rôle du Liban a été artificiellement gonflé, et aucun objectif n’y a été atteint. » Cela résumait la nouvelle politique saoudienne vis-à-vis du Liban, qui ne considère plus le pays comme une priorité justifiant de faire des compromis avec les Iraniens. Avec cette escalade, le royaume consolide cette stratégie, mais impose dans le même temps une nouvelle équation : soit les responsables libanais prennent leurs distances avec le Hezbollah, soit le pays du Cèdre sera coupé de la péninsule Arabique.

« L’Arabie ne veut pas éliminer le Hezbollah »
Comme pour indiquer la voie à suivre, l’ambassadeur saoudien au Liban, Walid Boukhari, s’est rendu chez le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, quelques heures avant de quitter le pays vendredi. Le royaume invite ainsi les autres dirigeants libanais à se tenir aux côtés des FL, son principal allié au Liban, afin de constituer un front anti-Hezbollah. Le fait que cette décision intervienne après les événements de Tayouné, où des combats ont opposé des forces du tandem chiite à des éléments armés appartenant probablement aux Forces libanaises, ne semble pas être un hasard. Le Hezbollah est de nouveau le principal objet de polarisation dans le pays, et le royaume donne l’impression de vouloir en profiter.

« L’Arabie ne veut pas éliminer le Hezbollah de l’équation, mais plutôt que les officiels libanais se dissocient de sa politique étrangère et se conforment aux décisions de la Ligue arabe et aux résolutions internationales », fait savoir un autre responsable saoudien, qui a également requis l’anonymat. Riyad considère aujourd’hui que tout le pays est sous la coupe du Hezbollah, qui impose, selon lui, sa politique aux institutions libanaises. « L’Arabie n’a pas demandé la démission de Cordahi. Mais l’absence de mesures officielles du gouvernement, suite à ses propos, a été perçue comme une preuve supplémentaire que le Hezbollah décide de tout dans ce pays », poursuit le responsable précité.

L’escalade saoudienne intervient paradoxalement à un moment où Riyad et Téhéran sont en pleine négociation dans l’objectif de restaurer leurs liens diplomatiques. « Ce n’est pas la première fois que nous entamons un dialogue avec l’Iran », rappelle le responsable saoudien comme pour minimiser l’importance de celui-ci, avant de confirmer qu’« aucune avancée n’avait pu être constatée pour le moment sur tous les dossiers sensibles », dont le Liban ne fait pour l’instant pas partie. Les officiels saoudiens interrogés par L’Orient-Le Jour affirment que les deux dossiers ne sont pas liés. En résumé : l’Arabie ne veut plus entendre parler du Liban, mais cela ne l’empêche pas de dialoguer avec l’Iran.

« Ils ne nous le pardonneront pas »
Alors qu’il avait cessé de cibler l’Arabie saoudite dans ses discours, sûrement pour donner une chance au dialogue irano-saoudien, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’en est pris directement à Riyad après les affrontements de Tayouné. « C’était le signal que les pourparlers entre Riyad et Téhéran ne se passaient pas bien », décrypte le diplomate arabe cité plus haut. Mais le Hezbollah semble lui aussi faire une distinction entre les dossiers. C’est ce que rapporte une personnalité politique de premier plan qui s’est récemment entretenue avec un haut responsable du parti à ce sujet. « Il m’a affirmé que le Hezbollah avait conscience que même si les relations entre l’Iran et l’Arabie saoudite s’améliorent et que la réconciliation a lieu, Riyad ne changera pas la façon dont il traite avec lui », raconte-t-il à L’Orient-Le Jour. « Nous leur avons porté préjudice plus que l’Iran, que ce soit au niveau militaire, politique ou dans les médias, et ils ne nous le pardonneront pas », aurait aussi ajouté le haut responsable du Hezbollah lors de cette conversation.

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Ceci « n’est pas une crise ». Ce n’est pas seulement par goût pour la provocation que le chef de la diplomatie saoudienne, Fayçal ben Farhane, a tenu à faire passer ce message ce week-end dans une interview accordée à la chaîne de télévision américaine CNBC. Comment en effet ne pas qualifier de crise l’annonce par l’Arabie saoudite du retrait de son ambassadeur, du...

commentaires (9)

Imaginons que les cieux s'ouvrent, qu'un rayon en sorte pour illuminer le soupirail de Hassan Nasrallah, qu'une colombe glissant sur ce rayon lui porte un message lui expliquant combien il s'est trompé et que le soir même il batte sa coulpe à la télévision en promettant de désarmer et en annonçant sa demande d'immigration au Danemark. Admettons même que le Hezbollah suive. Que se passera t-il à J+1? La plus belle campagne de déstabilisation avec voitures piégées et compagnie que vous ayez jamais vue. Car, comme dans toute organisation qui se respecte, les patrons contrôlent leurs employés et je vous garantis au moins deux contrôles sur le Hezbollah: le premier c'est l'Iran (Pasdarans ou autre structure) et, surprise surprise, le deuxième c'est la Syrie qui dispose de suffisamment de relais ici pour nous pourrir la vie, Hezbollah ou pas. Anti Hezbollahs de tous les quartiers (et ça me concerne), pensez à autre chose, barrez vous si vous n'en êtes pas capables mais comprenez que ce pays a changé, durablement, et pas pour le mieux

M.E

21 h 56, le 02 novembre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (9)

  • Imaginons que les cieux s'ouvrent, qu'un rayon en sorte pour illuminer le soupirail de Hassan Nasrallah, qu'une colombe glissant sur ce rayon lui porte un message lui expliquant combien il s'est trompé et que le soir même il batte sa coulpe à la télévision en promettant de désarmer et en annonçant sa demande d'immigration au Danemark. Admettons même que le Hezbollah suive. Que se passera t-il à J+1? La plus belle campagne de déstabilisation avec voitures piégées et compagnie que vous ayez jamais vue. Car, comme dans toute organisation qui se respecte, les patrons contrôlent leurs employés et je vous garantis au moins deux contrôles sur le Hezbollah: le premier c'est l'Iran (Pasdarans ou autre structure) et, surprise surprise, le deuxième c'est la Syrie qui dispose de suffisamment de relais ici pour nous pourrir la vie, Hezbollah ou pas. Anti Hezbollahs de tous les quartiers (et ça me concerne), pensez à autre chose, barrez vous si vous n'en êtes pas capables mais comprenez que ce pays a changé, durablement, et pas pour le mieux

    M.E

    21 h 56, le 02 novembre 2021

  • Ah nos frères les saoudiens! Si tous les pays amis se mettent à régler leurs litiges avec les autres pays en utilisant le Liban comme moyen de pression, nous ne sommes pas prêts à sortir de l’impasse. Y a t-il un seul pays honnête pour mettre tout son poids afin de nous débarrasser, avec l’aide de l’opposition, de ces vendus sans contrepartie? vu que nous n’avons plus rien à donner et que le dernier sacrifice que ces pays nous demandent est l’agonie et la mort certaine du pays et de toute sa population? Que vont imaginer les saoudiens en privant le Liban de ses alliés de toujours et en isolant le pays? Ils font l’affaire des iraniens et du HB, eux qui prétendent les combattre et combattre leur tyrannie, ils le leur offre sur un plateau d’argent en affamant le peuple pour que seul HN vienne les sauver et se faire passer pour un héros.

    Sissi zayyat

    11 h 40, le 02 novembre 2021

  • Oh oui cher monsieur : si vous savez lire revoyez l’HISTOIRE : LIBAN v/s ARABIE SAOUDITE ? Votre onde de choc vous l’avez au YÉMEN ( chez VOUS , et vous tremblez ! )Arriérés vous prenez votre MÉDIOCRITÉS comme un signe de GRANDEUR ; VOUS craignez de faire les faux pas ( eh oui ) , mais continuez à le faire en oubliant d’avancer .Sachez que le LIBAN jamais ne se démarquera du Hezbollah , des Forces Libanaises , de Amal , des Kataeb , des Joumblat , des Frangieh , etc …: Chez nous la devise du CITOYEN LIBANAIS « Un pour tous, tous pour un ! » vous connaissez ?? Un faux calcul est facile à faire …..

    aliosha

    11 h 06, le 02 novembre 2021

  • Si le Liban américain s'effrondre, il sera plus facilement récupéré par la Russie. Après la Syrie, le Liban, puis...

    NASSER Jamil

    10 h 43, le 02 novembre 2021

  • Le problème c'est que ce sont les saoudiens qui dictent le tempo et les appels à une amélioration de la situation n'auront aucun effet. Cela fait des années que les tentatives d’introduire en contrebande des armes envoyées du Liban aux Houthis ainsi que notamment du Captagon provenant du Liban en direction de l’Arabie saoudite et d’autres pays du Golfe, se poursuivent. Il est passé le temps où les saoudiens avaient comme conseillers spéciaux des Libanais ou quand ils considéraient le Liban comme une seconde patrie. Les déclarations du sinistre ministre de l'information, qui ne fait que suivre les directives, ont simplement servi de détonateur et tant que le parti de dieu tirera les ficelles de la politique étrangère du Liban les appels à la réconciliation avec nos pays "frères" n'auront aucun effet, d'autant que les pays arabes ont suffisamment payé pour savoir que si on choisit ses amis mais on ne choisit pas ses frères...

    C…

    09 h 42, le 02 novembre 2021

  • CA SUFFIT ! voila ou M Aoun & meme S Hariri ont mene le pays. le Hezb lui faut meme pas le citer comme puisque lui n'a jamais cache sa strategie. par contre les 1ers nommes n'ont jamais annonce clairement la leur, certainement pas pour de vrai.

    Gaby SIOUFI

    09 h 15, le 02 novembre 2021

  • Bien sûr, la démission de Cordahi, si elle survenait maintenant, ne suffirait pas. Il aurait fallu une réaction immédiate et ferme de Mikari pour montrer la sincérité de l'attachement du Liban à l'Arabie Saoudite, Tout ce qu'il pourra dire ou faire maintenant aura une allure de "réchauffé".

    Yves Prevost

    07 h 40, le 02 novembre 2021

  • « Nous ne pouvons pas combattre le Hezbollah sans un appui extérieur ». La vérité est exactement le contraire, le Hezbollah et son Axe tigre en papier ne pourront pas gagner contre la vraie résistance libanaise sans un appui extérieur. On l’a très bien vu en Syrie: sans l’intervention russe l’Axe tigre en papier serait à terre. De même encore aujourd’hui sans l’intervention chinoise dans l’économie iranienne.. Le régime iranien est devenu lui-même à la botte des russes et des chinois autant que le Shah était à la botte des américains. Il contrevient à son propre principe fondateur: ni Est ni Ouest, république islamique. Surtout lorsqu’on sait combien ses nouveaux maîtres russe et chinois portent l’islam dans leur cœur. Si la Russie ne vient pas au secours du Hezbollah au Liban comme elle est venue au secours de Assad en Syrie, la vraie résistance libanaise, la vraie révolution libanaise ont toutes les chances de l’emporter contre l’Axe néo-safavide.

    Citoyen libanais

    07 h 34, le 02 novembre 2021

  • Les calculs de Riyadh au Liban?! Très difficiles à s'en débarrasser, l'eau minérale, bière et même fragmentation aux ultrasons n'y ferait rien... La chirurgie radicale s'impose

    Wlek Sanferlou

    02 h 56, le 02 novembre 2021

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