C’est la première fois que Hassan Nasrallah « dévoile » le nombre de combattants dans les rangs de son parti. Le secrétaire général du Hezbollah a avancé, lundi soir, le nombre de « 100 000 » hommes, une affirmation qui a suscité de nombreuses réactions et qui laisse perplexes les experts. Généralement extrêmement discret sur ses capacités militaires, la décision du mouvement chiite de « révéler » cette donnée est surprenante. « L’organisation militaire du Hezbollah est l’une des plus secrètes au monde, même les Israéliens n’ont pas vraiment d’informations sûres. C’est un des atouts stratégiques du parti », commente Bachir Saadé, enseignant chercheur en politique et religion à l’Université Stirling au Royaume-Uni, et auteur du livre Hezbollah and the Politics of Remembrance (Cambridge University Press 2016).
Même son de cloche du côté de Nicholas Blandford, chercheur au Atlantic Council basé à Beyrouth et travaillant sur la question depuis 25 ans. « En général, le Hezbollah tait ses capacités militaires et ne fait fuiter que des rumeurs de temps à autre, qui ne sont confirmées que lorsque le groupe entre en action. C’était par exemple le cas au début du millénaire, quand le parti entretenait le flou sur le fait qu’il possédait des missiles antichars russes Kornet, jusqu’en 2005 quand il les a utilisés », souligne le chercheur.
Il faut évaluer l’ampleur de ce que représente cet effectif, d’autant plus pour ce qui est censé être une milice et non une armée. Avec 100 000 hommes, le Hezbollah se placerait en 48e position des plus grandes armées au monde. Il serait ainsi devant l’armée libanaise, qui compte environ 60 000 soldats, et jouerait à armes égales avec la Jordanie. Cent mille combattants, c’est en moyenne trois à quatre fois plus que ce que les estimations les plus sérieuses avaient avancé ces dernières années. En 2017, le mensuel britannique Jane’s Intelligence Review, qui s’intéresse aux questions de sécurité globale, estimait que le parti chiite disposait de 25 000 combattants professionnels, y compris les forces spéciales, et plus ou moins autant de réservistes.
« Nasrallah est généralement connu pour être précis dans les faits qu’il avance, mais tout peut changer », avance Bachir Saadé. Selon lui, l’ordre de grandeur n’est toutefois pas absurde. « L’appareil militaire est la priorité et la raison d’être du parti », analyse-t-il. Le parti chiite a fortement investi dans son aile militaire, surtout depuis la guerre de 2006 contre Israël. « Le Hezbollah comptait, avant la guerre de 2006, entre 3 000 et 5 000 combattants. Depuis, ce nombre augmente sans cesse, et il peut avoir atteint les 100 000 aujourd’hui », spécule Nicholas Blandford.
« Un nombre exagéré »
Le Hezbollah a surtout changé de dimension pendant le conflit syrien. Son engagement auprès du régime Assad lui a permis de renforcer ses capacités et de gonfler ses effectifs. « Selon mes informations, le Hezbollah est passé de 7 500 combattants et 20 000 réservistes à environ 50 000 hommes, parmi lesquels 20 000 combattants et 30 000 réservistes après 2011 », explique Joseph Daher, auteur du livre Le Hezbollah, un fondamentalisme religieux à l’épreuve du néolibéralisme (Syllepse 2019). « Le parti maintient environ 4000 à 5000 soldats en Syrie de manière permanente, mais il en a surement envoyé plus au total. Sa présence là-bas est également régie par un turnover. J’ai parlé avec un combattant qui se rendait en Syrie trois semaines, puis rentrait chez lui un mois », ajoute-t-il. Le parti chiite aurait perdu plusieurs milliers d’hommes de l’autre côté de la frontière, selon les estimations.
Joseph Daher balaie toutefois d’un revers de la main les affirmations du leader chiite. « C’est sûrement un nombre exagéré. 100 000 sans compter les associations civiles, ça voudrait dire que tous les chiites du pays sont pro-Hezbollah ».
Ce n’est pas la seule donnée qui pousse les experts à être sceptiques. Il y a également la question des contraintes budgétaires liées à une telle armada. « Il faudrait un budget monstrueux pour maintenir une armée aussi grande », fait remarquer Joseph Daher. Le Hezbollah, même soutenu financièrement par l’Iran, a-t-il les moyens de financer un tel bataillon ? « Le Hezbollah est encore plus discret sur ses finances que sur ses armes. Nous ne savons pas grand-chose là-dessus, mais il est vrai que payer les salaires, nourrir et équiper 100 000 hommes pourrait être beaucoup trop onéreux », concède Nicholas Blandford. Alors qu’il a fait du culte du secret l’un de ses atouts, pourquoi le Hezbollah a-t-il décidé aujourd’hui de faire étalage de ses forces au grand jour ? « C’est simple, le Hezbollah veut montrer les muscles », suppute Joseph Daher.
Hassan Nasrallah a évoqué ce nombre à la suite des événements de Tayouné, quand une manifestation du tandem Hezbollah-Amal a dégénéré en scène de guerre contre des éléments armés appartenant probablement aux FL. La rixe avait fait 7 morts (dont trois membres du Hezbollah, deux du mouvement Amal et deux civils) et une trentaine de blessés, laissant craindre une escalade qui aurait pu mener le pays vers la guerre civile. Le chef du parti chiite semble avoir voulu rassurer sa base sur le fait qu’il reste le plus fort sur le terrain, mais aussi effrayer son adversaire afin qu’il soit amené à « revoir ses calculs ».
commentaires (16)
LoL 100 000 combatants ? N’importe quoi !!! ???
Ziad
03 h 34, le 21 octobre 2021