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Politique - Enquête du port

Quand Nagib Mikati tente de ménager la chèvre et le chou...

Après la formation de son équipe, le Premier ministre semble avoir modifié ses positions relatives à ce dossier, faisant des appels du pied tant à la communauté sunnite qu’aux parents des victimes.

Quand Nagib Mikati tente de ménager la chèvre et le chou...

Le Premier ministre Nagib Mikati à Baabda, le 10 septembre 2021. Photo Dalati et Nohra

En dessaisissant – temporairement – le juge Tarek Bitar de l’enquête sur la double explosion meurtrière du 4 août 2020 au port de Beyrouth, la classe politique a remporté une nouvelle bataille contre le pouvoir judiciaire. Mais elle a aussi mis au pied du mur le Premier ministre, Nagib Mikati. Ce dernier est désormais devant un sérieux casse-tête : concilier les impératifs dictés par son poste de chef du gouvernement et les demandes politiques de la communauté sunnite et de ses leaders… à quelques mois des législatives. Avant d’être nommé à la tête du cabinet, le milliardaire de Tripoli avait choisi son camp, le 26 août dernier, après l’émission, par le juge Bitar, d’un mandat d’amener à l’encontre de Hassane Diab, ex-Premier ministre. Comme ce fut le cas lorsque le dossier était aux mains du juge Fadi Sawan, cette décision de M. Bitar a suscité une levée de boucliers sunnite contre lui. C’est le club des anciens Premiers ministres, un rassemblement regroupant Nagib Mikati et ses collègues Saad Hariri, Fouad Siniora et Tammam Salam, et se voulant représentatif du pouls de la communauté sunnite, qui s’est chargé d’exprimer la frustration de la communauté à l’égard de la décision du magistrat. Quelques heures après l’émission du mandat d’amener, les ex-chefs de gouvernement ont publié un communiqué particulièrement virulent, dans lequel était tancé M. Bitar. Ils se sont alors offusqués du « précédent » créé par le magistrat en délivrant un mandat d’amener contre un Premier ministre, et ont stigmatisé « une initiative suspecte se recoupant avec des tentatives menées depuis des années pour neutraliser l’accord de Taëf, briser l’autorité de la présidence du Conseil et réduire sa place au sein du système politique ». En cosignant ce texte, Nagib Mikati se montrait, à l’instar de ses collègues, hostile à la démarche du juge.

Après le 10 septembre…

Mais tout cela, c’était avant le 10 septembre 2021, date de la formation du gouvernement de Nagib Mikati après treize mois de blocage. Arrivé à son poste dans un contexte économique et politique particulièrement tendu, l’homme d’affaires tripolitain est soucieux de se montrer conscient de l’ampleur des défis qui guettent son équipe, notamment en ce qui concerne l’enquête sur la catastrophe au port. Comme pour faire un appel du pied aux parents des victimes, mais surtout à la communauté internationale qui l’attend au tournant sur ce dossier, Nagib Mikati a multiplié les déclarations dans lesquelles il s’engageait à ce que son gouvernement suive de près les investigations. Un engagement qu’il a réitéré devant le président français, Emmanuel Macron, à Paris la semaine dernière.

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L’affaire a toutefois pris un nouveau tour avec la plainte présentée en fin de semaine dernière par Nouhad Machnouk, actuel député sunnite de Beyrouth et ancien ministre de l’Intérieur, poursuivi par le juge Bitar pour intention présumée d’homicide, négligence et manquements. Une démarche qui a mené à la suspension de l’enquête, le temps que la cour d’appel prenne sa décision finale au sujet du maintien – ou non – de Tarek Bitar.

Comme pour faire pression sur le Premier ministre, M. Machnouk a pris le soin d’attaquer le juge d’instruction depuis la tribune de Dar el-Fatwa, la plus haute autorité sunnite du pays. Le mufti de la République, Abdellatif Deriane, s’était, lui aussi, indigné de « l’atteinte à la présidence du Conseil ». Mais dans une volonté d’éviter d’alimenter la querelle politique à coloration confessionnelle, une source proche de cette autorité renouvelle, dans une déclaration à L’Orient-Le Jour, l’appui de Dar el-Fatwa à M. Mikati. Elle souligne que les prises de position de Nouhad Machnouk n’engagent pas l’instance sunnite. « Il revient exclusivement au mufti de la République d’exprimer la position officielle de Dar el-Fatwa », ajoute la source.

De son côté, Fouad Siniora, qui refuse de commenter les propos de Nouhad Machnouk, assure à L’OLJ que la position exprimée par les anciens Premiers ministres ne vise pas à mettre le chef du gouvernement au pied du mur. « Tout ce que nous voulons, c’est que justice soit faite loin des comportements discrétionnaires », explique-t-il, rappelant que le président de la République était au courant du stockage du nitrate d’ammonium au port. « Il s’agit là d’une position de principe et non d’une volonté de défendre Hassane Diab », ajoute M. Siniora.

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Même après son dessaisissement temporaire, Bitar continue d’être harcelé

Dans ce contexte marqué par la frustration sunnite, Nagib Mikati a semblé, ces derniers jours, vouloir tempérer sa position, préférant s’éloigner des prises de position tranchantes. Lors d’une interview accordée lundi soir à la chaîne LBCI, le chef du gouvernement a eu des propos modérés, affirmant qu’il « s’agit d’une question judiciaire sur laquelle (il) n’intervient pas ». Tout en tentant de ménager la chèvre et le chou : si le président du Conseil a dit espérer que « le juge Bitar poursuivra sa mission conformément aux textes légaux afin que nous puissions connaître la vérité », il lui a ensuite reproché des « infractions à la Constitution », notamment en ce qui concerne les poursuites contre un ex-Premier ministre.

À l’issue de son entretien avec le président de la Chambre, Nabih Berry, à Aïn el-Tiné, mardi, il a tenu des propos allant dans le même sens. Il a donc renouvelé « le souhait » de « voir le juge se conformer aux dispositions des lois en vigueur ». « Il ne faut pas que le juge soit remplacé une nouvelle fois (après le dessaisissement de Fadi Sawan) parce que cela est à même de porter atteinte à la crédibilité de l’enquête », a-t-il en outre déclaré. À travers ces propos, Nagib Mikati croyait faire d’une pierre deux coups : essayer de calmer les appréhensions des parents des victimes quant à l’avenir de l’enquête et, dans le même temps, réaffirmer son appui au club des ex-Premiers ministres, dont il fait partie.

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La classe politique va-t-elle venir à bout de Tarek Bitar ?

« Ce genre de positions et de comportements est naturel chez Nagib Mikati, connu pour sa capacité à arrondir les angles », commente pour L’OLJ un ancien juge qui a requis l’anonymat. La plainte de Nouhad Machnouk contre le juge Bitar est intervenue quelques jours après les menaces que ce dernier avait reçues de la part de Wafic Safa, haut responsable du Hezbollah, selon lesquelles le parti chiite pourrait le « déboulonner ». « Comment se fait-il que les menaces lancées contre un juge au Palais de justice ne suscitent aucune réaction officielle, et que le chef du gouvernement, pourtant à la tête du pouvoir exécutif, avec le chef de l’État, se contente d’une réaction timide ? » s’alarme le magistrat cité plus haut. Il fait référence aux déclarations de Nagib Mikati, toujours à la LBCI, dans lesquelles il précisait que des « mesures de sécurité ont commencé à être prises » après les menaces à l’encontre de M. Bitar.

Paris « regrette » la suspension de l’enquête

La France a dit « regretter » hier la suspension de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth, soulignant que les Libanais ont le « droit de savoir » et que la justice libanaise doit « travailler en toute transparence, à l’abri de toute interférence politique ». « Il revient aux autorités libanaises de permettre à l’enquête de se poursuivre avec les moyens financiers et humains nécessaires, afin de faire toute la lumière sur ce qui s’est passé le 4 août 2020, conformément aux attentes légitimes de la population libanaise », a déclaré la porte-parole de la diplomatie française.

Le juge Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur l’explosion gigantesque au port de Beyrouth, a dû suspendre ses investigations lundi après une plainte de l’ex-ministre Nouhad Machnouk. Des ONG et les proches des victimes déplorent une nouvelle preuve d’obstruction politique. « Comme l’a indiqué le président de la République au Premier ministre Nagib Mikati, le 24 septembre, la France continuera de soutenir le travail de la justice de manière indépendante, sereine et impartiale au sujet de l’enquête », a rappelé Anne-Claire Legendre.

En dessaisissant – temporairement – le juge Tarek Bitar de l’enquête sur la double explosion meurtrière du 4 août 2020 au port de Beyrouth, la classe politique a remporté une nouvelle bataille contre le pouvoir judiciaire. Mais elle a aussi mis au pied du mur le Premier ministre, Nagib Mikati. Ce dernier est désormais devant un sérieux casse-tête : concilier les impératifs...
commentaires (14)

Faisait*

Nassar Jamal

07 h 38, le 01 octobre 2021

Tous les commentaires

Commentaires (14)

  • Faisait*

    Nassar Jamal

    07 h 38, le 01 octobre 2021

  • Ce que Hariri Faisal avant October 2019,Makati le fait maintenance,et IL le fait bien!

    Nassar Jamal

    07 h 38, le 01 octobre 2021

  • Vous devriez avoir honte L’OLJ de censurer nos commentaires parce que nous dénonçons les mafieux que ça soit les députés, le président le premier ministre, l’armée et tous les autres responsables politiques et de partis qui font semblant de ne pas être capables de se débarrasser de ces mafieux qui les protègent pour qu’ils restent au pouvoir et continuer le pillage et le saccage du pays. Tout ce cinéma n’est que du foutage de gueule des libanais pour les anesthésier et leur faire accepter leur misérable sort de force sans pouvoir réagir parce qu’ils ont peur de se retrouver blessés par les barbares qu’ils lâcheront alors qu’il n’y a plus d’hôpitaux ni de médecins ni de justice ni d’autorité pour les protéger de ceux là même qui les martyrisent et qui représentent le pouvoir et l’état mafieux qui font de tout pour que ça perdure. Tout est bien organisé pour que ce sytème bien rodé et imposé soit le seul qui vaille pour qu’ils restent les seuls profiteurs.

    Sissi zayyat

    18 h 39, le 30 septembre 2021

  • Mais, on le connaissait en tant que ministre des travaux publics depuis une vingtaine d'années. Il était invité dans un village de la montagne au Mont Liban, comme quoi il constaterait l'état défectueux de la route dangereuse, pour aider aux réparations indispensables. Sa réponse fût qu'il n'y avait pas un sou à débloquer dans son ministère. Tandis que les sous pleuvaient dans les régions qui l'intéressaient.

    Esber

    18 h 25, le 30 septembre 2021

  • ET SI LE JUGE BITAR AVAIT D'ABORD PRIS LE DOSSIER A L'ENDROIT REEL CAD QUI A ACHETE LE MINTRATE QUI L'A ENVOYE AU LIBAN QUI S'EST ARRANGE POUR LE DEBARQUER POURQUOI UN JUGE A DEMNDE DE LE DESCENDRE DU BATEAU ET DE LE STOCKER SOUS CONTROLE JUDICIAIRE AU PORT AU DEPOT NO 12 ET ENFIN QUI A PU DURANT TOUTES CES ANNEES EN PRENDRE LIVRAISON SANS AUCUNE RECTION DES DIRIGEANTS ET EMPLOYES DU PORT OU DE L'ARMEE ET LA POLICE QUI CONTROLE LES ENTREES ET SORTIES DU PORT LA VERITE: C'EST PAR TOUT CELA QUE LE JUGE BITAR AURAIT DU COMMENCER CAR UNE FOIS PROUVER TOUT CET ACHEMINEMENT , LA CUL;PABILITE DES DIRIGEANTS SAUTERA AUX YEUX CAR ILS AURONT COUVERT TOUT LE PROCESSUS ET SERONT DONC CONVOQUER D'ABORD COMME TEMOIN DE FACON A CONSOLIDER LE DOSSIER PUIS EN TEMPS QU'ACCUSER AVEC DES PREUVES SOLIDES LA DEUXIEME VERITE: DOMMAGE OCCASION RATTEE

    LA VERITE

    14 h 50, le 30 septembre 2021

  • Il y a belle lurette que la chèvre a digérer le chou et qu'elle s'est fait choisir comme plat accessoire farcie avec du riz farsi... sahtayyyn au loup garou...

    Wlek Sanferlou

    13 h 25, le 30 septembre 2021

  • Aux Etats unis, le Président Nixon a été obligé de démissionner, En France L’ex président Jacques Chirac a été condamné dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris, toujours en France aujourd’hui l’ex président Nicolas Sarkozy vient d’être condamné a un an de prison ferme sous bracelet électronique. Ne parlons pas de Laval condamné à mort et exécuté, Pétain, condamné à mort puis commué à perpétuité pour collaboration avec les allemands en 1940. Mais ! au Liban même un ex ministre ou un simple quidam ne peut être interrogé et encore moins convoqué par un juge ou une autre autorité sécuritaire du Pays. Le Président en exercice dirigé par le Hezbollah n’ose pas moufeter d’une oreille sans l’aval de Hassan Nasrallah. Merci de publier le texte ci-dessous Hors Sujet, ce matin le 30.09.2021 sur CNEWS chaîne d’info à l’émission des pro. de Pascal Praud, le journal l’ORIENT-LE JOUR a été cité par Pascal Prod en personne, comme Journal de référence au même titre que ; le Figaro, le monde, Libération, les échos, la croix etc… il m’était indispensable de le dire pour rendre hommage au journal, aux journalistes et à tous les collaborateurs, de porter très haut l’étendard Libanais par votre savoir et la liberté d’expression malgré tous les problèmes et les risques encourus. Un moment de fierté m’a envahi en écoutant en direct cet hommage d’un grand journaliste. Merci à vous tous de nous donner ce sentiment longtemps oublié, et trop souvent bafoué et piétiné par nos dirigeants

    Le Point du Jour.

    13 h 18, le 30 septembre 2021

  • Encore un exemple de la prédation de nos politiciens doublement traîtres et férocement pervers . Qu’ils soient maudits!

    Wow

    13 h 06, le 30 septembre 2021

  • La presse est animée sans cesse par des centaines de positions politiques et de prises de paroles de personnalités politiques, des parents de victimes, des commentateurs anonymes, etc. en se penchant parfois pour applaudir et parfois pour contester, et en essayant de peser sur le climat politique et les décisions. Or il y a un seul décideur dans le pays, s'il veut écarter un juge, le juge sera écarté, s'il veut réinstaller le juge dans sa mission, ça sera chose faite. Nous faisons tous semblant en écrivant pour influencer, bien que cela ne sert à pratiquement rien, mais l'on s'amuse en se relisant. Il est nécessaire cependant de continuer à le faire car la démocratie a besoin de nos tours de répétition pour nous perfectionner en vue qu'elle demeure vivante en chacun de nous pour une éventuelle renaissance, si la Communauté internationale décide de le faire.

    Shou fi

    12 h 23, le 30 septembre 2021

  • Mais comment voulez vous qu'ils fassent autrement ? ils naviguent tous dans les eaux troubles mafieuses ....

    Zeidan

    11 h 59, le 30 septembre 2021

  • Et voilà le milliardaire sunnite de Tripoli, accessoirement Premier ministre, qui rejoint à nouveau le troupeau des "super responsables" magnifiques de courage, compétences...et patriotisme !!! - Irène Saïd

    Irene Said

    08 h 16, le 30 septembre 2021

  • “... du « précédent » créé par le magistrat en délivrant un mandat d’amener contre un Premier ministre ...” - un EX-Premier Ministre. Autant il est concevable qu'on ne devrait pas, sous certaines conditions, juger un premier ministre en fonction, autant les premiers ministres devraient comprendre qu'ils ne le sont pas à vie, et qu'une fois leur mandat terminé, ils redeviennent des citoyens ordinaires, susceptibles d'êtres justiciables, même (et surtout) pour tout acte illégal commis sous l’immunité temporaire de leur mandat!

    Gros Gnon

    08 h 15, le 30 septembre 2021

  • Plus ca change et plus c’est la meme chose ! Le conseil des ministres n’a pas evoque les menaces publiques du hezbollah au juge Bitar. Il fallait s’y attendre, les ‘’responsables’’ qui nous gouvernent obeissent aveuglement a la milice sectaire armee et n’osent en aucun cas s’opposer a ses instructions. Le chef de l’Etat declare , sans aucune honte, etre avec l’instruction judiciaire …mais refuse de lever l’immunite de son poulain , le chef de la securite de l’Etat Toni Saliba. Le Liban est occupe par une clique de corrompus et de criminels et pas un seul de ces messieurs n’a une once de patriotisme et de dignite.

    Goraieb Nada

    07 h 48, le 30 septembre 2021

  • Le dilemme est clair: que choisir entre le peuple et les partis, la justice et la politique? La question m'a même pas à être posée

    Yves Prevost

    07 h 39, le 30 septembre 2021

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