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La Consolidation de la paix au Liban - Septembre 2021

Traversées désespérées : pour de nombreux Libanais et Syriens, la route maritime vers Chypre offre de faux espoirs

Traversées désespérées : pour de nombreux Libanais et Syriens, la route maritime vers Chypre offre de faux espoirs

En septembre dernier, Chamseddine Kerdli, un barbier de Tripoli, ses trois enfants et une cinquantaine d’autres personnes de nationalités libanaise et syrienne, sont montés à bord d’un bateau de pêche à destination de Chypre. Il a payé 6 millions de livres par personne, soit l’équivalent de près de 1 500 dollars au taux du marché noir à l’époque. « Nous n’avons pas d’avenir ici », confie-t-il, interrogé sur les raisons pour lesquelles il était parti.

En plus de la crise économique et politique qui sévit au Liban et des préoccupations concernant la sécurité, la double explosion au port de Beyrouth a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, souligne-t-il. « Peut-être qu’une explosion aura lieu au port de Tripoli, comme ce fut le cas à Beyrouth, lance Chamseddine Kerdli. Pourquoi devrais-je mourir ? Pourquoi mes enfants devraient-ils mourir ? Pour quoi ? ».

Même avant la double explosion au port, le désespoir suscité par l’effondrement économique était à l’origine d’une augmentation du nombre de candidats – principalement des réfugiés syriens, mais accompagnés d’un nombre croissant de Libanais – disposés à payer des passeurs pour traverser la Méditerranée.

Selon les Nations Unies, en 2020, 55 % et 25 % des Libanais vivaient respectivement en dessous du seuil de pauvreté et d’extrême pauvreté. Toujours selon l’ONU, près de 89 % des réfugiés syriens vivaient en dessous du seuil d’extrême pauvreté. Tout comme pour Chamseddine Kerdli, l’explosion au port a constitué pour de nombreuses personnes un autre facteur incitatif pour partir.

L’agence des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR) a signalé qu’entre janvier 2020 et début mai 2021, quelque 977 personnes ont tenté de se rendre clandestinement en bateau du Liban à Chypre. Parmi celles-ci, 229 personnes étaient parties au cours des quatre premiers mois de 2021. Au cours des dernières semaines, les autorités libanaises ont déclaré avoir arrêté plusieurs bateaux qui s’apprêtaient à quitter le littoral libanais. Le 20 mai, l’armée libanaise avait intercepté au large de la côte dans le Akkar (Liban-Nord), un navire transportant 125 Syriens.

En revanche, l’UNHCR a signalé qu’en 2019, seuls près de 270 passagers avaient essayé de se rendre en bateau du Liban à Chypre.

Alors que la grande majorité des passagers sont de nationalité syrienne, accompagnés d’un nombre infime de Libanais, de réfugiés palestiniens et d’autres nationalités, le l’agence onusienne a constaté en 2020 une forte augmentation du nombre de citoyens libanais tentant la traversée.

Le Conseil chypriote pour les réfugiés a indiqué que l’année dernière, 34 Libanais avaient fait une demande d’asile à Chypre, même si on ignorait combien d’entre eux étaient arrivés par bateau.

Lisa Abou Khaled, porte-parole du UNHCR au Liban, souligne que « d’après les conversations qu’a eues l’agence avec les personnes interceptées, secourues ou renvoyées au Liban, il est évident qu’il s’agit de traversées désespérées entreprises par des personnes qui ne voient pas comment elles peuvent survivre au Liban, alors que la situation socio-économique ne fait que s’aggraver. »

C’était déjà le cas l’été dernier, bien avant l’explosion. J’avais parlé à plusieurs personnes du quartier Bab el-Tebbané, à Tripoli, qui envisageaient d’entreprendre la traversée en mer. L’une d’entre elles, Rouba, veuve et mère de cinq enfants, avait confié que la crise économique était plus intolérable que les années de guerre qui avaient opposé les habitants de Bab el-Tebbané à ceux de la région voisine de Jabal Mohsen.

« Nous avons déjà vécu la guerre et nous y sommes habitués, avance-t-elle. Quand nous entendions des tirs la nuit, on s’échappait puis on descendait chez les voisins, à titre d’exemple. À l’époque, tout n’était pas cher comme c’est le cas maintenant. Au contraire, les choses étaient accessibles. Certes, c’était la guerre, mais nous avions les moyens de vivre. Maintenant, il n’y a pas de guerre, mais nous n’avons pas les moyens de vivre. »

Et pourtant, pour beaucoup, l’espoir qu’offrent ces voyages en mer s’est avéré être faux. De fait, selon l’UNHCR, près d’un tiers – 315 personnes – des personnes ayant tenté la traversée depuis janvier 2021 sont arrivés à Chypre.

Là-bas, beaucoup ont passé des mois dans des camps de réfugiés de plus en plus surpeuplés. Le camp de Pournara, situé à l’extérieur de Nicosie, est censé être un refuge de courte durée pour les demandeurs d’asile qui devraient être libérés rapidement après que leurs demandes soient traitées. Toutefois, Corina Drousiotou, coordinatrice et conseillère juridique principale du Conseil chypriote pour les réfugiés, affirme : « L’année dernière, en raison des bouclages et des mesures prises par le gouvernement, nous avons eu affaire à des cas qui ont duré cinq à six mois. »

Le reste des potentiels demandeurs d’asile étaient soit interceptés avant de quitter les eaux libanaises ou emportés vers les eaux syriennes, soit repoussés par les autorités chypriotes. Une pratique qui a été condamnée par les autorités internationales et les groupes de défense des droits de l’homme. Treize personnes sont mortes en mer ou sont toujours portées disparues, a rapporté l’agence de l’ONU.

D’autres ont été victimes d’escrocs qui leur ont promis de les emmener à Chypre, mais qui ont finalement disparu après avoir pris un « acompte ».

Deux jeunes Libanais à qui j’avais parlé l’été dernier s’étaient entendus avec de présumés passeurs sur un prix de 10 millions de livres, soit l’équivalent d’environ 1 200 dollars au taux du marché parallèle à l’époque. Après que chacun d’entre eux ait versé un acompte de l’équivalent de 100 dollars, le « passeur » a disparu et a changé son numéro de téléphone.

Plus récemment, Mohammed, un réfugié syrien originaire de Hama, m’a raconté qu’il a été victime en novembre de l’escroquerie d’un passeur présumé qui a disparu après avoir reçu une caution de 500 dollars. Désespérés de quitter le Liban, en raison des menaces avérées contre sa sécurité et de son incapacité à continuer de payer les médicaments de sa femme qui souffre d’une maladie cardiaque chronique, Mohammed et sa famille avaient vendu tous les objets de valeur en leur possession, y compris les bijoux en or de sa femme, pour payer le voyage.

Après que la tentative de traverser vers Chypre ait échoué, Mohammed a confié avoir payé un autre passeur pour l’emmener à Idlib, où il attend maintenant, sous des bombardements périodiques, une chance d’entrer en Turquie.

Chamseddine Kerdli et ses enfants ont d’abord pensé qu’ils avaient été plus chanceux. Ils étaient arrivés sains et saufs sur les rives de Larnaca, où ils comptaient demander l’asile et recommencer une nouvelle vie avec l’aide d’un proche qui avait émigré à Chypre avant lui.

L’homme raconte ainsi qu’après quelques jours passés dans un camp de réfugiés bondé et insalubre, les autorités chypriotes les ont embarqués, aux côtés de quatre autres familles libanaises et d’un groupe de réfugiés syriens et palestiniens, sur un bateau et les ont renvoyés au Liban.

Corina Drousiotou explique que si les ressortissants libanais arrivant sur les côtes chypriotes ont la possibilité de demander l’asile, celui-ci ne leur sera pas accordé dans la majorité des cas car, contrairement aux Syriens qui sont désignés comme réfugiés, la plupart des Libanais seraient probablement classés comme migrants économiques.

« Pour les ressortissants libanais, c’est une voie sans issue, insiste-t-elle. Ils sont en train de mettre leur vie en grand danger et de payer de grosses sommes aux passeurs pour emprunter un chemin sans issue qui ne les mènerait pas vers un avenir. »

En septembre dernier, Chamseddine Kerdli, un barbier de Tripoli, ses trois enfants et une cinquantaine d’autres personnes de nationalités libanaise et syrienne, sont montés à bord d’un bateau de pêche à destination de Chypre. Il a payé 6 millions de livres par personne, soit l’équivalent de près de 1 500 dollars au taux du marché noir à l’époque. « Nous n’avons pas...

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