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Monde - Témoignages

Le calvaire des Afghans qui ont fui les talibans

Ayant fait le choix de l’exil après le retour au pouvoir du groupe insurgé, ils doivent désormais faire face à des conditions de vie difficiles et à la solitude.

Le calvaire des Afghans qui ont fui les talibans

Des Afghans traversant à pied la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan près de la ville de Chaman, le 18 août 2021. Photo AFP

Assis devant la télévision de leur nouvelle maison louée à l’aide de leurs économies à Karwan au Tadjikistan, Yasir, ses parents et ses cinq frères et sœurs se réunissent désormais tous les jours durant une dizaine de minutes pour regarder les informations à la télévision afghane. « Chaque fois, c’est la même histoire, déplore le jeune étudiant en médecine de 23 ans. Nous nous sentons tristes en regardant ce qu’il se passe sans rien pouvoir faire. De toute façon, nous ne nous attendons pas à entendre de bonnes nouvelles ». Cela fait quarante jours que cette famille originaire de Kaboul a trouvé refuge dans la ville de Karwan, située à environ 15 minutes de trajet de la capitale, Douchanbé. En l’espace d’un peu plus d’un mois, elle a assisté à distance à la prise de Kaboul par les talibans, le 15 août dernier au soir, actant leur retour au pouvoir après en avoir été chassés vingt ans plus tôt par une coalition dirigée par les États-Unis. Depuis, les forces étrangères ont quitté le pays à la faveur de la promesse de l’ancien président américain Donald Trump, puis de son successeur Joe Biden, d’en terminer avec les « guerres sans fin ».

Un groupe relativement restreint

Des milliers d’Afghans, terrorisés par le retour de la mouvance fondamentaliste, s’étaient massés le mois dernier aux abords de l’aéroport international Hamid Karzaï dans l’espoir d’embarquer à bord d’un des vols du pont aérien organisé par Washington et d’autres puissances occidentales. Au total, quelque 100 000 Afghans ont été évacués par les États-Unis. « Il est impératif de garder à l’esprit qu’il s’agit encore d’un groupe relativement restreint par rapport au nombre de personnes qui ont besoin de trouver refuge en dehors de l’Afghanistan », observe Tazreena Sajjad, spécialisée dans la question des réfugiés et des déplacements forcés qu’elle enseigne à l’American University. « Par conséquent, un plus grand nombre de personnes tentent et tenteront de traverser la frontière vers la Turquie, le Pakistan, l’Iran et d’autres pays voisins par des voies irrégulières, une réalité qui devient encore plus difficile à mesure que les frontières terrestres sont en train d’être fermées et que les personnes sans passeport et sans visa n’ont pas la chance de partir », poursuit-elle.

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S’estimant chanceux d’avoir pu obtenir un visa pour le Tadjikistan et d’avoir voyagé avec sa famille en avion – en faisant escale d’abord au Pakistan puis en Ouzbékistan – Yasir sait que la majorité de ses concitoyens ont été contraints de traverser les frontières à pied, dans des conditions extrêmement difficiles. Il espère de son côté partir avant un an vers le Canada, les États-Unis ou un pays européen afin de continuer ses études. « J’envisagerai l’immigration si je n’obtiens pas de permis de travail ou de bourse, dit-il. Je contacte des organisations, des amis et des écoles mais jusqu’à présent, je n’ai aucune piste. »

Frustration et peur

Homayoun, photojournaliste et travailleur humanitaire originaire de Kaboul, a décidé de prendre illégalement la route pour le Pakistan il y a vingt jours. Le jeune homme apprend alors que les talibans arrêtent et torturent des journalistes, des activistes humanitaires et des femmes célibataires après s’être saisis de la capitale. « Ma sœur de 23 ans était chanteuse et mon frère aîné a été membre de l’armée nationale afghane pendant 17 ans. Cela a incité les talibans à trouver notre adresse personnelle et nous avons dû quitter notre maison », confie t-il. À peine ont-ils le temps de se cacher dans la cave de la maison d’un de leurs oncles, où ils resteront deux jours, qu’il leur a fallu déjà quitter la ville. Homayoun parvient à vendre ses meubles à un proche afin de payer 20 000 roupies pakistanaises – soit un peu plus de 100 dollars – à un vieil homme qui promet de les conduire en camion à la frontière pakistanaise. Le trajet jusqu’au poste-frontière de Spin Boldak, situé dans la province de Kandahar, fief historique des talibans au sud-est de l’Afghanistan, leur prend 50 heures. Officiellement, son accès est fermé à tous à l’exception des personnes disposant de papiers valides pour des raisons médicales, de travail ou pour rendre visite à de la famille. Parmi les milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui affluent du matin au soir vers le point de passage menant à la ville pakistanaise de Chaman, certains Afghans se voient toutefois autoriser la traversée. Épuisés par près de huit heures d’attente sous une chaleur suffocante avoisinant les 35 degrés, le photojournaliste et sa famille en font partie. Mais Homayoun n’oublie pas ceux qu’il a laissés derrière lui, ces « habitants fatigués et poussiéreux avec de la frustration et de la peur sur le visage ». « J’ai vu des enfants de moins de cinq ans pleurer pendant huit heures sous le soleil brûlant, des vieilles femmes et des vieux s’évanouir. Il faisait si chaud et il n’y avait ni eau ni nourriture à disposition », raconte-t-il.

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Selon des sources locales citées par la chaîne qatarie al-Jazeera, près de 5 000 Afghans empruntaient quotidiennement ce poste-frontière avant la chute de Kaboul. Depuis, ce chiffre a doublé. Homayoun et ses proches vivent aujourd’hui dans la ville pakistanaise de Quetta, située près de Chaman, dans une petite pièce de trois mètres de large et de quatre mètres de long louée grâce à un prêt d’un ami vivant en Iran. « Nous et tous les Afghans détestons les talibans, s’emporte-t-il. Ils ne reconnaissent aucun droit pour les femmes. La preuve, ils les ont récemment violentées lors d’une manifestation et ont aussi torturé deux journalistes qui couvraient les événements. » Au cours du mois dernier, plusieurs manifestations pacifiques dans diverses provinces d’Afghanistan – initiées pour certaines par des femmes – ont été violemment réprimées par le groupe islamiste. Selon l’ONU, ces manifestants ont été confrontés à « une réponse de plus en plus violente de la part des talibans, qui ont notamment fait usage de balles réelles, de matraques et de fouets », avant d’interdire mercredi soir les « rassemblements illégaux ».

Cofondatrice du média Rukhshana, qui a pour mission de partager la voix des femmes afghanes, Zeinab continue d’être choquée par les événements qui secouent son pays depuis qu’elle l’a quitté le 22 août. « Ma vie et ma liberté étaient en danger. Je devais partir si je voulais continuer à travailler pour promouvoir les droits des femmes et des êtres humains », témoigne-t-elle. La jeune femme parvient à embarquer à bord d’un avion de l’armée de l’air américaine à destination d’un camp de réfugiés au Qatar où elle reste quatre jours. Elle rejoint ensuite l’Italie pour quatre autres jours avant de poser bagages dans un camp de réfugiés au Texas. Depuis, son quotidien est rythmé par les coups de fil à sa famille. « Je n’arrive pas à me concentrer ni à faire mon travail, je suis traumatisée, raconte-t-elle, éprouvée. Quand je me promène dans le camp, des hommes me harcèlent encore à cause de mes habits. » Zeinab trouve un peu de réconfort auprès d’autres migrants rencontrés dans la file d’attente de la cantine du camp. Dans quelques jours, elle devra choisir dans quel État des États-Unis elle souhaite s’installer. Mais elle ignore pour le moment si elle recevra des aides financières du gouvernement américain. Or, sa priorité est de payer les frais de scolarité et d’université de ses quatre sœurs et de ses trois nièces, alors que son père âgé n’est plus en mesure de travailler. À plus de 10 000 kilomètres de là, au Pakistan, Homayoun et sa famille se demandent quant à eux comment ils vont pouvoir continuer à payer leur minuscule habitation. « Nous avons payé le loyer ce mois-ci, mais nous ne pourrons pas le payer en octobre, déplore t-il. J’ai travaillé dur pendant vingt ans, je suis allé à l’université, j’avais des plans et des rêves pour mon avenir mais je n’ai désormais plus d’espoir. »

Assis devant la télévision de leur nouvelle maison louée à l’aide de leurs économies à Karwan au Tadjikistan, Yasir, ses parents et ses cinq frères et sœurs se réunissent désormais tous les jours durant une dizaine de minutes pour regarder les informations à la télévision afghane. « Chaque fois, c’est la même histoire, déplore le jeune étudiant en médecine de 23 ans....

commentaires (1)

S'ils sont tellement tristes, qu'ils s'adaptent a la nouvelle réalité, restent dans leur pays et contribuent a son essor... L'Afghanistan a besoin des compétences. A moins qu'ils n'aient eux-mêmes participe au massacre de leur propre peuple avec les étrangers ces dernières années... Le Liban, please, c'est déjà complet, full...

Mago1

04 h 24, le 13 septembre 2021

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Commentaires (1)

  • S'ils sont tellement tristes, qu'ils s'adaptent a la nouvelle réalité, restent dans leur pays et contribuent a son essor... L'Afghanistan a besoin des compétences. A moins qu'ils n'aient eux-mêmes participe au massacre de leur propre peuple avec les étrangers ces dernières années... Le Liban, please, c'est déjà complet, full...

    Mago1

    04 h 24, le 13 septembre 2021

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