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Culture - Expositions

En Europe, Abed al-Kadiri prend sa revanche sur le destin brisé de ses œuvres au Liban

C’est un mois de septembre faste pour l’artiste libanais, dont le travail est exposé quasi simultanément dans deux grandes villes européennes. À Londres, où s’est ouverte hier l’exposition solo consacrée à sa série d’œuvres sur la « Révolution du 17 octobre 2019 », et à Florence, où sera présentée à partir de demain samedi son grand projet curatorial sur l’art dans les villes en quarantaine.

En Europe, Abed al-Kadiri prend sa revanche sur le destin brisé de ses œuvres au Liban

L’artiste en plein accrochage de ses œuvres sur la révolution d’octobre 2019 à Londres... Photo DR

Le Liban ne l’aura pas épargné ces dernières années. Lui qui le chérissait tant, au point d’avoir abandonné une trajectoire d’artiste, de curateur et d’éditeur en plein essor au Koweït et dans les Émirats arabes unis pour revenir s’y installer. Et retrouver le chaos vivifiant de Beyrouth, dont la mémoire architecturale et les changements de tissu socio-urbano-économique ont beaucoup nourri son travail pictural de grande envergure. Récipiendaire du Prix du Salon d’automne du musée Sursock en 2016, Abed al-Kadiri est dès lors sollicité pour des expositions à l’étranger. Mais il reste attaché à sa capitale libanaise, idéalisée en ville de tous les possibles, dont il ne découvrira qu’à partir d’octobre 2019 la face sombre.

« Le jardin est confiné dans ma chambre », extrait du livre d’artiste de Ziad Dalloul. Photo DR

Sauvagement agressé lors de l’une de ses participations aux mouvements de la révolte d’octobre 2019 et spolié, comme l’ensemble de ses compatriotes, de son argent par les banques, avant de voir son accrochage individuel à la galerie Tanit totalement soufflé par la double explosion du 4 août 2020, le trentenaire cumule en quelques mois les traumatismes. Le jeune homme, qui rêvait d’un pays du Cèdre enfin débarrassé de ses démons, perd espoir dans son relèvement imminent. Après avoir réalisé un dernier corpus d’œuvres dans les décombres mêmes de la galerie dévastée de Nayla Kettaneh-Kunigk à Mar Mikhaël – en hommage aux victimes de la terrible tragédie du port et dont les recettes des ventes ont été versées à la reconstruction des zones détruites –, il boucle ses bagages, s’empare du visa d’artiste que lui propose la France et s’envole pour Paris. Où lui a été réservé un studio au sein de la cité des arts.

Extrait du leporello de Hoda Tawakol dans le cadre de « Cities Under Quarantine : the Mailbox Project ». Photo DR

Là, dans la quiétude d’un environnement stable qui lui apporte le réconfort mental dont il avait besoin, Abed al-Kadiri retrouve sa vitalité créative. Paris se trouvant alors, comme la majorité des capitales du monde, sous la chape d’un confinement de plusieurs mois, il met à profit cette période de réclusion pour redynamiser le projet de livres d’artistes Cities Under Quarantine : the Mailbox Project (Villes en quarantaine : le projet de la boîte aux lettres) qu’il avait lancé en mars 2020.

Abed al-Kadiri posant devant la fresque « Today, I Would Like to Be a Tree », réalisée l’été dernier immédiatement après la double explosion au port de Beyrouth, en hommage aux victimes... Photo DR

Regard dans le rétroviseur : à cette époque, la pandémie planétaire de coronavirus avait mis le monde à l’arrêt. Cloîtré chez lui, à l’instar des trois quarts des habitants de la planète, ne pouvant pas avoir accès à tous les matériaux nécessaires à son travail de création de peintures en grand format, Abed al-Kadiri ressent un sentiment de « suffocation » dû à l’isolement et l’oisiveté. Pour le combattre, il s’attelle à revisiter des œuvres antérieures et d’anciens projets longuement mis en mode pause… Comme celui des livres d’artistes. Une pratique que ce cofondateur (avec Sarah Chalabi et Reza Abedini) des éditions Dongola avait expérimentée, avec bonheur, il y a quelques années et qui lui semblait « plus que jamais pertinente en ces temps de confinement ».

À Florence, en Italie, la villa Romana prête ses cimaises aux 57 livres d’artistes du projet Cities « Under Quarantine : the Mailbox Project » de Abed al-Kadiri. Photo DR

Des peintures dans la boîte aux lettres

« It’s difficult to put à painting in the mailbox » (« C’est difficile de mettre une peinture dans une boîte aux lettres »). Inspiré par cette citation du peintre américain John Baldessari lue dans son ouvrage Ingres and Other Parables (Ingres et autres paraboles), l’artiste et curateur libanais a alors l’idée de monter un projet collectif de « création d’un art tangible facilement transportable hors des murs des galeries. Et qui mettrait en évidence la survie de la créativité dans les moments de crise », dit-il. À savoir le livre d’artiste.

« L’art a toujours été exceptionnellement réactif au monde qui nous entoure. Grâce à lui, nous capturons les problèmes personnels, sociaux, politiques et environnementaux que nous nous efforçons de comprendre », indique Abed al-Kadiri. Lequel sollicite, dans un premier temps, un grand nombre de ses condisciples au Liban pour créer des livres d’artistes « reflétant leurs impressions de cette période verrouillée et leurs rêves pour l’avenir », avant d’élargir son appel à de nombreux talents du Moyen-Orient piochés dans son carnet d’adresses. Des peintres, plasticiens, illustrateurs ou encore photographes aussi bien émergents qu’établis (tels que Ali Cherri, Dalia Baassiri, Serwan Baran, Mona Saudi et Samia Halabi…) qui finissent ainsi par former un groupe conséquent de 57 participants.

Le 26 octobre 2019 peint par Abed al-Kadiri à l’encre de chine sur papier chinois. Photo DR

Leporellos ou cahiers cousus main

Un mois plus tard en avril 2020, deux formats, au choix, de leporellos et de cahiers cousus main conçus par le designer graphique Reza Abedini sont envoyés par courrier à ces artistes arabes dispersés dans 19 villes à travers le monde. Et huit mois plus tard, naissaient les 57 pièces uniques du projet « Cities Under Quarantine : the Mailbox Project ».

Entre-temps, et alors que Abed al-Kadiri s’activait à mettre en place le réseau d’expositions qui présenteraient, au Liban comme à l’international, ces œuvres créées pendant le confinement par plus de 50 artistes du Moyen-Orient, la double explosion au port de Beyrouth le 4 août a lieu, mettant tout en veilleuse. Aussi bien l’accrochage dans les institutions muséales de ces « pièces d’art portatif, non destinées à la vente », que la publication par Dongola de leur compilation en éditions limitées*.

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Sauf que tout arrive à point à qui sait attendre. Et ce sera deux expositions en quasi-simultané dans deux importantes villes européennes que réservera cet été 2021 à Abed al-Kadiri. Comme une revanche sur celle de l’été dernier à la galerie Tanit de Beyrouth, « Remains of the Last Red Rose », saccagée par la double explosion meurtrière du 4 août.

Et c’est cette même galerie – elle aussi renaissante de sous les décombres – qui présente du 1 au 12 septembre à Londres, dans un espace d’exposition à Cromwell Place, 11 pièces de sa série de très grandes peintures à l’encre et au fusain sur papier de riz documentant les moments forts de la contestation populaire d’octobre 2019. Un accrochage londonien, intitulé « October 17, 2019. The Lebanese Revolution », qui s’inscrit « dans une tentative de ramener à la vie l’ardeur, la force et la motivation révolutionnaires que le peuple libanais ressentait avant d’être meurtri et de sombrer dans un effondrement total », indique la note d’intention qui accompagne l’invitation.

Et la seconde à Florence, en Italie, où la villa Romana prête ses cimaises, du 4 septembre au 18 décembre 2021, aux 57 livres d’artistes issus de son projet de « boîte aux lettres ». Avec une scénographie basée sur une rotation de 15 artistes toutes les 4 semaines.

« La première édition comprendra des œuvres de Hiba Kalache, Hani Zurob, Mohammad al-Shammarey, Dina Haddadin, Lulwah al-Homoud, Kevork Mourad, Dia al-Azzawi, Cristiana De Marchi, Faisal Samra, Ghada Khunji, Sadek Rahim, Nazar Yahya, Issam Kourbaj », énumère Abed al-Kadiri. Avant de signaler que ces livres d’artistes nés dans une période de grande perturbation, autant que les peintures inspirées de la révolution libanaise, constituent la preuve en soi que « l’art restera toujours une pratique essentielle d’expression des moments extraordinaires ».

* Un ouvrage que l’on peut se procurer via limitededitions@dongola.com

Entre Beyrouth et Munich, la galerie Tanit passe aussi par Londres

Pour contrer les turbulences et les ravages qu’elle a subis l’année dernière année, et dans le but de continuer à défendre les artistes qu’elle représente, la galeriste Nayla Kettaneh-Kunigk a élaboré une stratégie de collaborations entre sa galerie Tanit de Beyrouth et des espaces artistiques à l’étranger. Après avoir exposé, au cours de ces derniers mois, à Vérone, Munich et Paris, elle présente à Londres, jusqu’au 12 septembre, simultanément deux nouvelles expositions dans deux galeries adjacentes du Cromwell Place, un nouveau hub artistique au cœur de South Kensington, le quartier des musées de la capitale britannique.

La première, « October 17, 2019. The Lebanese Revolution », est la solo consacrée à la série d’œuvres sur papier de Abed al-Kadiri. Tandis que la seconde, intitulée « Something Blue », est un accrochage collectif qui réunit, autour de la couleur bleue, une dizaine d’artistes maison de la galerie Tanit. Dont les Libanais Simone Fattal, Flavie Audi et Ghassan Zard…

Les artistes participants

Les 57 artistes à qui les cahiers ont été expédiés sont les suivants : Reza Abedini, Abed Alkadiri, Serwan Baran, Dalia Baassiri, Shawki Youssef, Gilbert Hage, Hiba Kalache, Mona Saudi, Majd Abdel Hamid, Taysir Batniji, Ziad Dalloul, Leila Muraywid, Fatima el-Hajj, Ali Cherri, Mohammad Joha, Hani Zurob, Mohammad al-Shammarey, Mahmoud Obaidi, Ammar Khamash, Dina Haddadin, Khaled Khreis, Said Baalbaki, Khaled Barakeh, Heba Amin, Nadia Kaabi-Linke, Raed Yassin, Hoda Tawakol, Ahmad Mater, Lulwa AlHumood, Sadik Kwaish Alfraji, Mounira al-Solh, Samia Halabi, Kevork Murad, Mohammad Omar Khalil, Dia Batal, Dia Azzawi, Laila Shawa, Khalid Albaih, Issam Kourbaj, Mohammad Kazem, Christiana De Marchi, Hazem Harb, Walid al-Wawi, Faisal Samra, Abdul Rahim Sharif, Camille Zakharia, Ghada Khunji, Sadek Rahim, Moataz Nasr, Fadi Yazigi, Nizar Sabour, Youssef Abdelke, Bashar al-Hroub, Tanya Habjouka, Zoulikha Bouabdellah, Nazar Yehya et Mary Touma.

Le Liban ne l’aura pas épargné ces dernières années. Lui qui le chérissait tant, au point d’avoir abandonné une trajectoire d’artiste, de curateur et d’éditeur en plein essor au Koweït et dans les Émirats arabes unis pour revenir s’y installer. Et retrouver le chaos vivifiant de Beyrouth, dont la mémoire architecturale et les changements de tissu socio-urbano-économique ont...

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