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Culture - Édition

« Je doute beaucoup, Nerval, que ton récit soit exact... »

Dans son nouvel ouvrage, « Le voyage de Nerval » (2021, La Déviation), Denis Langlois propose une approche intime et diachronique du célèbre périple oriental du poète et écrivain français Gérard de Nerval. L’occasion de revisiter une matière textuelle riche, un poète mystérieux et une région qui n’en finit pas de séduire et d’intriguer.

« Je doute beaucoup, Nerval, que ton récit soit exact... »

Denis Langlois : « Le voyage de Nerval au Liban n’est pas un périple géographique, mais une plongée littéraire, sociologique, politique et psychologique. » Photo DR

Avocat et écrivain, Denis Langlois est venu au Liban pour la première fois en 1969. « J’étais l’avocat de la Ligue des droits de l’homme. À l’époque, le pays m’est apparu comme envoûtant, mais en grand danger, du fait de sa position géopolitique. Pacifiste et antimilitariste, j’ai eu envie en 1998 de passer une année au Liban pour écrire un livre qui dénoncerait la guerre dont les séquelles étaient encore présentes, ce fut Le Déplacé », précise l’auteur, qui a découvert le propos de son dernier ouvrage dans le Chouf. « En mars 1999, je suis tombé sur le livre de Hoda Adra Gérard de Nerval et le Liban, à la bibliothèque de Baakline. Lorsque j’ai lu que Nerval était venu au Liban en 1843, je me suis mis à rechercher tout ce que je trouvais sur le sujet. »

« Tu te trompes, Nerval. On ne se remet jamais d’un voyage en Orient et encore moins d’une plongée dans la religion druze. » Dès les premières lignes du texte, le tutoiement est de rigueur pour exprimer les analyses et les intuitions d’un lecteur contemporain érudit, qui met en perspective son approche intimiste et personnelle du texte nervalien. « Un grand écrivain ne peut pas refuser ce service à un petit écrivain. Lui fournir la matière d’un livre, devenir son personnage central. Jouer l’arroseur arrosé. » Entre la biographie, le fiction, et l’essai, Denis Langlois propose la lecture polyphonique d’une région du monde qui a le vent en poupe au milieu du XIXe siècle. « Avec Nerval, c’est un tu complice. J’ai pu dès lors parler avec lui en toute franchise et raconter son histoire libanaise. Exprimer de l’admiration, mais aussi de la critique, et parfois de la déception. Il s’agit d’une discussion amicale à trois personnes, lecteur compris. »

Accompagné de Joseph de Frontide, Nerval est chargé par le ministère français des Affaires étrangères d’effectuer une « mission culturelle en Égypte et en Syrie ». La lecture de Langlois met en valeur la sédimentation qui compose un texte fortement irrigué de lectures orientalistes contemporaines et de fantasmes. « Le lu et le vécu se mélangent dans ta tête et dans tes pages. Impossible de les démêler », constate celui qui insiste sur le fait que Nerval a tendance à vérifier sur le terrain ce qu’il a déjà lu ou vu dans différentes œuvres. « Tu pousses un cri d’émerveillement. Tu viens de reconnaître l’œil en amande et la paupière oblique des Javanaises dont tu as vu des peintures en Hollande. » Ainsi, Nerval utilise une grille de lecture artistique pour apprécier la beauté d’une Abyssinienne rencontrée au Caire.

La couverture de l’ouvrage.

La religiosité du Chouf

« C’est l’Europe et l’Asie se fondant en molles caresses ! Une oasis maritime ! Ne t’y fie pas trop, Nerval. Les oasis sont trompeuses. » Si Nerval est d’emblée saisi par le panorama majestueux qui s’offre à lui dans la baie de Beyrouth, sa stupeur n’est pas en reste face à ses femmes. « Elles ne se dissimulent pas derrière un voile, elles portent le tantour, une corne d’argent haute de trente centimètres drapée d’une gaze légère volant derrière leur tête, qui les fait ressembler à des princesses du Moyen Âge, à des Dames à la licorne. » La dimension romanesque de la perspective nervalienne se poursuit lors du récit de sa rencontre avec un cheikh maronite, qui l’invite sur ses terres, à Aïntoura. L’ascension à cheval est l’occasion de découvrir entre autres la grotte où Saint-Georges a terrassé le dragon, Nahr el-Kalb, les magnaneries qui constituent la principale industrie du pays ou encore la première imprimerie du monde arabe à Mar Hanna. Une expédition contre les druzes, à laquelle l’auteur de Sylvie aurait participé, constitue un topos orientaliste qui ne semble pas convaincre Langlois. « Je doute beaucoup, Nerval, que ton récit soit exact, car tu ne décris pas l’habit traditionnel des druzes, qui n’aurait pas manqué de te frapper. Aujourd’hui encore, cent cinquante ans après ton passage, une bonne partie des femmes se dissimulent sous de grands voiles blancs qui tranchent avec le noir de leurs robes. »

Le coup de foudre du poète avec une princesse druze apparaît comme un prétexte pour l’initiation à une religion à laquelle il restera fidèle toute sa vie. « Par ton père, tu as été nourri dans l’horreur du meurtre d’Adoniram et l’admiration du saint Temple, dont les colonnes ont été taillées dans les cèdres du Mont-Liban. Tu te reconnais dans l’étoile à cinq branches. La première est la pointe du compas. Bref, tu n’es plus pour les druzes un infidèle, tu es un mutadarassin, un étudiant. » Par le détour de la franc-maçonnerie à laquelle il a déjà été initié, Nerval se considère comme druze lui-même, et cet éclairage spirituel de la quête nervalienne au Liban constitue une hypothèse de lecture stimulante. « Le mystique Gérard de Nerval ne pouvait qu’être profondément marqué par sa découverte de la religion druze. Il l’a été, à mon avis, jusqu’à sa mort. Je ne suis pas croyant, mais j’ai senti constamment au cours de mon séjour dans le Chouf cette religiosité. On m’a parlé de la transmigration des âmes, et j’ai écouté avec intérêt. Mais Nerval est allé plus loin. Cette survie des âmes dans des corps nouveaux entrait en résonance avec ses préoccupations. D’un seul coup, il pouvait espérer retrouver en d’autres femmes son amour perdu, Jenny Colon, qui venait de mourir », suggère Langlois. « Lui-même pouvait espérer se régénérer, et oublier son internement comme fou, faire monter son âme dans la hiérarchie et accéder à l’immortalité. Paradoxalement, cela l’a peut-être amené à se suicider, non pas pour mourir, mais pour renaître autrement », poursuit-il.

« Je sens toujours l’éblouissement de ce mirage lointain qui flamboie et poudroie dans mon souvenir, comme l’image du soleil qu’on a regardé fixement poursuit longtemps l’œil fatigué qui s’est replongé dans l’ombre », écrit Nerval en quittant le Liban pour Constantinople. L’auteur de L’Affaire Seznec insiste sur l’écho qu’il perçoit avec sa propre expérience. « Pour le Français que je suis, la magie opère toujours. Comment la définir ? Le Liban est curieusement un pays à la fois ouvert et fermé. D’autres l’ont dit avant moi, on croit rapidement le connaître et si l’on y reste quelque temps, on s’aperçoit qu’on n’a pas compris grand-chose, et on apprécie de ne pas avoir compris. Le Liban est une énigme dont on souhaite qu’elle le demeure. Ce serait dommage de dévoiler le secret de son originalité. Dès lors, pour un écrivain, c’est une source idéale d’inspiration », confie l’avocat, qui a su mettre en valeur la spécificité d’un texte nourri d’érudition, de sensualité, de spiritualité, de rêve et de fantasmes. « Le voyage de Nerval au Liban n’est pas un périple géographique, mais une plongée littéraire, sociologique, politique et psychologique. Bref, il a essayé de comprendre le Liban par le dedans. Quel bilan en tirer ? Il a plutôt bien réussi », répond Denis Langlois, à l’unisson avec le propos de son dernier ouvrage.

Avocat et écrivain, Denis Langlois est venu au Liban pour la première fois en 1969. « J’étais l’avocat de la Ligue des droits de l’homme. À l’époque, le pays m’est apparu comme envoûtant, mais en grand danger, du fait de sa position géopolitique. Pacifiste et antimilitariste, j’ai eu envie en 1998 de passer une année au Liban pour écrire un livre qui dénoncerait la...

commentaires (3)

On ne peut que remercier et l’auteur et le journaliste et aussi le commentateur de cet article qui nous ramènent vers le monde de la lumière. Cela nous change de tous les sujets invariablement ressassés des exploits des obscurantistes qui trônent dans notre pays pour le ramener à l’âge de pierre.

Sissi zayyat

18 h 19, le 02 septembre 2021

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Commentaires (3)

  • On ne peut que remercier et l’auteur et le journaliste et aussi le commentateur de cet article qui nous ramènent vers le monde de la lumière. Cela nous change de tous les sujets invariablement ressassés des exploits des obscurantistes qui trônent dans notre pays pour le ramener à l’âge de pierre.

    Sissi zayyat

    18 h 19, le 02 septembre 2021

  • P.S. DU RECUEIL - LES DIATRIBES - DE ANASTASE TSIRIS.

    LA LIBRE EXPRESSION

    21 h 20, le 31 août 2021

  • GERARD DE NERVAL - A PARIS, EN UN COIN D,UN NOUVEAU MEGASTORE, JE CHOISIS LE RECUEIL DE GERARD DE NERVAL. CE POETE INSPIRE, QUE J,ADMIRE ET J,HONORE, BOULEVERSE LES COEURS PAR SON STYLE JOVIAL. - IL ECRIVIT SANS PEINE. IL REPANDIT LA SPORE QUI MELANGE LA PROSE AU VERS SENTIMENTAL. POEMES, SOUVENIRS, ODES QU,IL EDULCORE, SERENADES ET NUITS FORMENT UN LIEN GENIAL. - LE CHRIST AUX OLIVIERS, EMPREINT DE MYSTICISME, CHEZ LES DIEUX INTERDITS INTRODUISIT LE SCHISME, TOUT COMME CHEZ PILATE ET SON MAITRE DE FER. - LE POEME EMOUVANT A LA BELLE MYRTHO, OU LE PALE HORTENSIA S,UNIT AU MYRTHE VERT, TOUCHA MEME LE COEUR DE LA MUSE ERATO. PAR ANASTASE TSIRIS

    LA LIBRE EXPRESSION

    21 h 18, le 31 août 2021

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