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Politique - Explosion du 4 août

Seul contre tous, Tarek Bitar sous le feu nourri du leadership sunnite

Le juge d’instruction a délivré un mandat d’amener contre Hassane Diab, qui avait refusé de comparaître devant lui. Prochain rendez-vous : le 20 septembre.

Seul contre tous, Tarek Bitar sous le feu nourri du leadership sunnite

Une reconstitution de l’opération de soudure de la porte du hangar où le nitrate d’ammonium était stocké a été organisée mercredi en fin d’après-midi, sur le site du port, sous la supervision du juge Tarek Bitar. Dylan Collins/AFP

En dépit des barrières politiques et constitutionnelles érigées devant lui pour l’amener à canaliser ses investigations dans l’affaire de la double explosion meurtrière au port de Beyrouth dans un sens et pas dans un autre, et d’une politisation outrancière du dossier, le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar poursuit la procédure qu’il a engagée après sa nomination en février, comme si de rien n’était, mais dans un champ qui devient de plus en plus miné et difficile d’accès.

Hier, il était supposé interroger le Premier ministre sortant Hassane Diab, en sa qualité de mis en cause dans cette affaire et contre qui il avait engagé à ce titre des poursuites pour « négligence et manquement aux devoirs de la fonction, ayant causé le décès de centaines de personnes ». Or M. Diab a refusé de comparaître sous prétexte que le magistrat n’a pas le droit de l’entendre tant que le Parlement, qui s’est entre-temps saisi du dossier, n’a pas encore statué sur le point de savoir s’il devrait ou non comparaître devant la Haute Cour chargée de juger les présidents et les membres du gouvernement, en même temps que trois autres députés poursuivis dans le cadre de cette même affaire : Nouhad Machnouk, Ghazi Zeaïter et Ali Hassan Khalil. Le juge d’instruction a été notifié du refus du Premier ministre via la présidence du Conseil. M. Bitar devait immédiatement réagir en fixant au 20 septembre prochain la date d’une nouvelle audience, assortie cependant d’un mandat d’amener. Sa démarche a fait monter au créneau le groupe des quatre anciens Premiers ministres, Saad Hariri, Fouad Siniora, Tammam Salam et Nagib Mikati (Premier ministre désigné), qui ont sans ambages accusé le juge d’être manipulé par la présidence de la République et placé cette affaire dans le cadre d’un règlement de comptes politique et d’un bras de fer entre le Sérail et Baabda autour de l’accord de Taëf.

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De sources judiciaires, on explique cependant que Tarek Bitar n’aurait pas délivré le mandat d’amener si M. Diab n’avait pas expressément refusé d’être entendu dans le cadre de cette affaire. En d’autres termes, si le Premier ministre avait comparu devant lui et présenté des vices de forme à travers ses avocats, procédure que l’ancien commandant en chef de l’armée, le général Jean Kahwagi, avait suivie, le juge d’instruction n’aurait pas délivré un mandat d’amener à son encontre. Son refus, de par la loi, est considéré comme une obstruction au cours de la justice, d’où le mandat d’amener. Le document a été transmis au parquet de Beyrouth qui devrait, conformément aux articles correspondants du code de procédure pénale, charger une unité de police de l’exécuter.

Normalement, Hassane Diab n’a d’autre choix que d’obtempérer, au risque de faire l’objet d’un mandat d’arrêt, indique-t-on de sources juridiques, au cas où pour une raison quelconque, il refuserait encore une fois d’être entendu par le juge ou si le mandat délivré à son encontre ne serait pas exécuté.

Quoi qu’il en soit, le bras de fer qui se joue autour de l’affaire du port a fini par devenir éminemment politique et commence de plus en plus à prendre une dimension confessionnelle. Tarek Bitar se retrouve seul face à un bouclier formé d’institutions et de leaderships qui protègent, sous divers prétextes, les personnalités politiques et sécuritaires mises en cause dans cette affaire. Il s’agit du Parlement, du Conseil supérieur de défense, présidé par le président de la République, qui a refusé d’accorder au magistrat l’autorisation de poursuivre le directeur de la Sécurité de l’État, le général Tony Saliba, du Hezbollah, du leadership sunnite qui a volé hier à la rescousse de Hassane Diab, voire éventuellement du parquet, qui a également refusé d’autoriser des poursuites contre le directeur de la Sûreté générale, le général Abbas Ibrahim.

Les prérogatives du Premier ministre désigné

Dans un communiqué conjoint publié en soirée, Saad Hariri, Fouad Siniora, Tammam Salam et Nagib Mikati se sont ainsi offusqués du « précédent » créé par Tarek Bitar en délivrant un mandat d’amener contre un Premier ministre, stigmatisant « une initiative suspecte qui se recoupe avec des tentatives menées depuis des années pour neutraliser l’accord de Taëf, briser l’autorité de la présidence du Conseil et réduire sa place dans le système politique ». « En témoignent les actes maintenus depuis des années pour bloquer la formation des gouvernements et essayer de contenir les prérogatives constitutionnelles des Premiers ministres désignés », souligne le communiqué qui lance ainsi une attaque directe contre le président Michel Aoun alors que Nagib Mikati s’efforce toujours de parvenir avec lui à une formule consensuelle pour la formation d’un nouveau cabinet.

« Le président a reconnu avoir pris connaissance de la présence du nitrate d’ammonium au port quinze jours avant l’explosion suspecte. En tant qu’ancien commandant de l’armée, il connaissait parfaitement la procédure (…) et le danger que la quantité stockée représentait. Un délai de quinze jours est suffisant pour désamorcer une bombe nucléaire (…). Le chef de l’État s’est rendu responsable de négligence (….) et son immunité devrait être levée (…), ce qui permettrait au juge d’instruction de se libérer de textes qui l’empêchent de poursuivre des présidents et autres », selon le communiqué qui rappelle la proposition de loi soumise par le groupe parlementaire du Futur pour une suspension des textes constitutionnels et juridiques relatifs aux immunités.

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Pour MM. Hariri, Siniora, Salam et Mikati, la démarche de Tarek Bitar « représente une insulte à la fonction de président du Conseil, un affaiblissement inacceptable du Premier ministre sortant et une reconnaissance flagrante du fait que le dossier de l’enquête est manipulé depuis Baabda ».

Face à cette exploitation politique du dossier, quelles marges de manœuvre restent encore pour Tarek Bitar ? Selon des sources judiciaires, ce dernier reste déterminé à poursuivre ses investigations, comme en témoigne la reconstitution de l’opération de soudure qu’il a supervisée mercredi en fin d’après-midi au port, au terme de préparatifs effectués par un comité regroupant des officiers de l’armée et des services de renseignements des Forces de sécurité intérieure, ainsi que d’un juge et des membres de la Défense civile. L’opération s’est également déroulée en coordination avec le service météorologique de l’Aéroport international de Beyrouth, les conditions climatiques devant être identiques à celles du 4 août 2020. Le juge Bitar a ainsi pu assister à une reconstitution détaillée de l’opération de soudure. Un hangar similaire à celui du port a été mis en place, à proximité du cratère provoqué par l’explosion, ainsi que de la porte qui aurait subi la soudure. La reconstitution a été filmée et photographiée, afin de l’inclure au dossier.

Même si le magistrat, qui a déjà recueilli les témoignages de plus de 150 personnes dans le cadre de ses investigations, ne parvient pas à interroger des personnalités-clés dans le cadre de cette affaire, il compte établir son acte d’accusation et peut requérir les peines nécessaires sur base des présomptions et de sa conviction intime qu’il devrait détailler dans le document, qui sera directement soumis à la Cour de justice, selon les sources judiciaires qui soulignent la difficulté de la tâche de Tarek Bitar en raison de l’imbroglio politico-juridique inhérent à ce genre d’affaires. Celui-ci s’exprime entre autres par les jurisprudences contradictoires développées au cours des dernières années au niveau notamment de la Chambre, lorsque celle-ci a dû plancher sur des affaires judiciaires dans lesquelles certains de ses membres étaient impliqués.

En dépit des barrières politiques et constitutionnelles érigées devant lui pour l’amener à canaliser ses investigations dans l’affaire de la double explosion meurtrière au port de Beyrouth dans un sens et pas dans un autre, et d’une politisation outrancière du dossier, le juge d’instruction près la Cour de justice Tarek Bitar poursuit la procédure qu’il a engagée après sa...

commentaires (13)

nos corrompus de politiciens jouent sur l'affectif et le communautaire en criant à l'insulte et au scandale pour mobiliser leur base. S'ils n'avaient rien à se reprocher ils auraient sans problème collaboré avec le juge Bitar.

CAMAYOU / INEOS

20 h 11, le 27 août 2021

Tous les commentaires

Commentaires (13)

  • nos corrompus de politiciens jouent sur l'affectif et le communautaire en criant à l'insulte et au scandale pour mobiliser leur base. S'ils n'avaient rien à se reprocher ils auraient sans problème collaboré avec le juge Bitar.

    CAMAYOU / INEOS

    20 h 11, le 27 août 2021

  • A quand la séparation de la loi de la politique? Le plus cynique dans cette histoire c’est que nos mafieux tout d’un coup se mettent en défenseurs de la loi soi-disant bafouée par le juge Bitar alors que tout notre système legal est douteux et qu’ils ont passe ces dernières décennies a dénigrer le légal!

    CW

    16 h 46, le 27 août 2021

  • Rendez justice à ces innocents qui ont tombé à cause de vos négligences, ignorances, incompétences, et j’en passe. La loi n’a jamais était appliquée dans ce pays; alors que maintenant vous voulez suivre les textes de la loi qui a été façonnée à vos mesures? Pitié! Arrêtez la logique des tribus et de clientélisme: 200 morts! Vous n’avez pas honte! Au diable tels leaders et tels responsables.

    Georges S.

    14 h 00, le 27 août 2021

  • Lorsqu’on veut sortir un serpent de son trou on le tire par la queue pour éviter ses morsures. Il est temps que les sunnites comprennent que le juge Bitar ne vise pas leur communauté mais veut arriver au premier coupable de ce désastre et pour cela il faut qu’il ait la preuve que ceux qui ont empêché Diab de se rendre sur place pour constater la dangerosité des matières stockées et leur disposition sont les mêmes qui ont provoqué la déflagration et que le fait d’avoir dissuadé Diab de s’y rendre était dans le seul but de mener à bien leur plan de destruction sans être pointés du doigt comme seuls responsables de ce meurtre innommable. Laissons Monsieur Bitar travailler et voyons si le cours des choses aboutira à la condamnation des vrais responsables avant de tirer des conclusions hâtives non fondées. Leur refus de permettre au juge de faire son travail ouvre la voie aux vrais coupables de refuser de respecter les décisions du juge en se cachant derrière le fait que les autres factions ont refusé de le faire et ainsi anéantir les efforts du juge et le déroulement de l’enquête. Cela fait partie du complot contre la justice de notre pays. PIGÉ?

    Sissi zayyat

    10 h 19, le 27 août 2021

  • 1- si T Bitar est vraiment un sympathisant de m aoun, le juge Sawan l'est il aussi ? sinon comment mal prendre la decision du 1er pareille a celle du 1er ,non aouniste ? 2- pourquoi les "sunnites" en voudraient aux 2 juges, alors que 3 autres 1ers ministres-sunnites- ne sont pas touches par aucune injonction a ce jour ? ces derniers ont ils des infos secrets sur le dossier du juge Bitar qui confirmeraient leur mise en accusation prochaine ?

    Gaby SIOUFI

    09 h 56, le 27 août 2021

  • Pour MM. Hariri, Siniora, Salam et Mikati, la démarche de Tarek Bitar « représente une insulte à la fonction de président du Conseil, un affaiblissement inacceptable du Premier ministre sortant et une reconnaissance flagrante du fait que le dossier de l’enquête est manipulé depuis Baabda ». On est gouverné par une bande mafieuse de tout bord. Tous les politicards quelle que soit leur religion et leur affinité sont dans le même sac, ils se protègent et cherchent par tous les moyens à éviter la justice et à couvrir leurs erreurs qui ont conduit à l’explosion du port et à la déliquescence du pays. Il n’y aura jamais de gouvernement tant que Monsieur Aoun est président. Quand à un putch de l’armée, faut pas y compter. Elle est noyautée à la base, elle ne suivra pas le haut commandement et elle risque d’imploser comme au début de la guerre civile. Bonne journée

    Karam Georges

    09 h 22, le 27 août 2021

  • Dieu a dit : que la lumière soit ! Chuck Norris répondit :on dit s'il vous plaît .... Le juge Bitar aurait dû faire sienne cette déclaration, il a pensé, naïvement , que les ministres ne sont pas au dessus des lois... Malheureusement les lois ne s'appliquent pas ici comme ailleurs, !e président Sarkozy a été mis en examen pour dépassement de ses comptes de campagne, Éric Dupond-Moretti a été mis en examen pour «prise illégale d'intérêts» au Liban le ministre diab pourrait se voir décerner la médaille de l’Ordre national du Mérite au grade argenté...pour services rendus à la nation... appuyé en cela par trois anciens ministres émérites....qui crient au scandale, ce qui convient parfaitement au président impliqué au même titre ...

    C…

    09 h 19, le 27 août 2021

  • Ce genre d'actions de la part des leaders de partis au pouvoir, CPL. CDF, Hezbollah Amal, PSP, PSNS et tous les autres qui tourniquent dans le giron du Hezbollah, en d'autres termes les corrompus, nous ont conduit a la catastrophe dans laquelle le Liban nage depuis maintenant plus de 30 ans. ils donnent ainsi raison a ceux qui préconisent que seul une guerre avec un vainqueur et un vaincu comme issue pourra sauver le pays. Soit ça passe soit ça casse, mais au moins le vainqueur gérera le pays comme il l'entend et le peuple pourra alors souffler et enfin vivre dans la paix. Depuis les trahisons de Aoun en 89-90 (Guerre d’élimination) et par la suite en 2005-2006 (Accord de St Michel) la situation du pays n'a fait que se détériorer et il semble que ce n'est que le début. La corruption a gangrené tous les aspect du pays y compris le peuple lui même qui ne réagit plus et accepte que ses dirigeants se comporte de la sorte. Honnêtement autre que la guerre qu'elle est la solution?

    Pierre Hadjigeorgiou

    09 h 11, le 27 août 2021

  • Finalement le kelloun yaani kelloun est apparemment exact ! Tous ces “responsables” qui fuient honteusement leurs responsabilites. Il ne fait plus de doute que tous les rouages du pouvoir etaient au courant…et se sont tus et n’ont rien fait pour eviter la catastrophe. A commencer par le chef de l’Etat qui a declare etre au courant 15 jours avant mais n’a rien fait ! Car c’etait trop tard !!! Tous se sont soumis au dictat de celui qui a importe le nitrate mortel , qui est maintenant connu de tous, et qui a decreté que l’enquete devait etre cloturee! Que Dieu vienne en aide au juge Bitar.

    Goraieb Nada

    08 h 33, le 27 août 2021

  • Les Sunnites détiennent le leadership des attentats commis contre eux ! Un point c’est tout !Comment peut on ne plus avoir confiance dans nos politiques et soudain tout accepter et rendre crédible une autorité pour une tragédie que ne pourra régler qu’une enquête internationale ! Saad Hariri fous le camp de ce pays tu as assez donné en vain des conseils à tes dépens !

    PROFIL BAS

    08 h 23, le 27 août 2021

  • Sunnite, chiite, maronite druze ....... la justice est au dessus de tous au dessus de KELLON

    Élie Aoun

    07 h 36, le 27 août 2021

  • Cette position du groupe des anciens PM est un excellent moyen pour 1- Faire au nom de tous les sunnites acte de soumission à l’Axe safavide du nitrate d’ammonium en obstruant le travail du juge Bitar 2- Embarquer tous les sunnites dans un conflit contre les chrétiens en demandant la poursuite de Aoun au même titre que Diab. Conflit qui est le souhait le plus cher des néo-safavides au pouvoir à Téhéran et à Damas. Parmi ce groupe des anciens PM non seulement c’est Saad Hariri qui de loin est la figure politique qui a le plus de popularité, mais on trouve même Fouad Sinioura présenté comme un « faucon » du Courant du Futur. Combien de temps le citoyen libanais va mettre à comprendre que CPL et CDF ne sont que les deux faces de la même monnaie néo-safavide ? Que au Liban les néo-safavides ne peuvent compter comme partisans qu’une courte majorité de la population chiite et pratiquement personne dans les autres communautés, qu’ainsi ils n’ont que 20% de la population à peu près acquise et 80% largement hostile ? Que c’est grâce à la guéguerre entre bleus et oranges qu’ils détournent les uns contre les autres l’hostilité de leurs ennemis potentiels ? Que si en 1990 la rue chrétienne mobilisée contre l’Axe safavide s’était choisie un autre leader que Aoun et dès 2005 la rue du 14 mars sunnite chrétienne et druze mobilisée dans le même combat s’était choisie un autre leader que Hariri, jamais le Hezbollah n’aurait pu être ce qu’il est aujourd’hui, et nous aurions gagné ?

    Citoyen libanais

    07 h 28, le 27 août 2021

  • Sa seule chance de s’en sortir est de se soumettre à la justice, avant que la justice du peuple ne prenne le pas, car dans ce cas il se ferait lyncher…

    Gros Gnon

    05 h 33, le 27 août 2021

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