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Moyen-Orient - Au Moyen-Orient, ces personnages oubliés

Najati Sidqi, un bolchévique impie en Palestine

Le nom de ces « personnages oubliés » ne vous dit peut-être rien, mais ces hommes et ces femmes issus de la région ont, d’une manière ou d’une autre, marqué l’histoire du Proche-Orient, chacun dans son domaine. Issus de familles royales ou simples personnages de l’ombre, leurs parcours de vie atypiques inspirent fascination et admiration. D’un joueur d’échecs alépin à une scientifique égyptienne, « L’Orient-Le Jour » propose ainsi une série de six portraits publiés chaque jour au cours de cette semaine. Aujourd’hui, le militant communiste palestinien Najati Sidqi (4/6).

Najati Sidqi, un bolchévique impie en Palestine

La couverture du livre publiant le journal de Najati Sidqi.

Tumultueux destin que celui de Najati Sidqi, communiste palestinien iconoclaste, témoin et acteur d’un monde en perpétuel bouleversement. Le périple qui le mena de sa Palestine natale vers la Russie, la France, l’Espagne, le Liban et la Grèce fut à l’image d’une époque déchirée et déchirante, marquée pour lui par des engagements internationalistes, des exils forcés et des lendemains qui déchantent.

Militant politique, Najati Sidqi l’était, sans aucun doute. Mais il n’était pas que cela. Polyglotte, curieux de tout, amoureux des belles lettres, il fut l’un des premiers traducteurs en arabe de certaines œuvres de Pouchkine, Tchekhov et Gorki. Il traduisit également, de l’anglais, Le Scarabée d’or d’Edgar Allan Poe, et du français des nouvelles de Maupassant. Comme éditeur, il se fit remarquer par la publication de quelques chefs-d’œuvre des littératures chinoise et espagnole. Nouvelliste lui-même, il est considéré comme l’un des fondateurs de ce genre littéraire en Palestine grâce à ses deux recueils, Al-akhawât al-hazînât (« Les sœurs tristes », 1953) et Al-Shuyû’î al-miliûnîr (« Le Communiste millionnaire », 1962).

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Né en 1905 à Jérusalem, Najati passe son enfance entre Djeddah, dans le Hedjaz, et Le Caire, puis s’installe avec sa famille à Damas quand Fayçal est proclamé roi. Au début des années 20, il amorce une carrière de petit fonctionnaire au ministère des Postes et Télégraphes et rejoint le Parti communiste palestinien naissant, alors majoritairement formé d’immigrants juifs d’Europe de l’Est. Sidqi reste sur ses gardes. De nombreux sionistes de gauche militent au sein du parti et leur projet lui semble aller à l’encontre des revendications des Arabes palestiniens. « À leurs yeux, les Arabes étaient un peuple socialement arriéré, inapte au socialisme », écrira-t-il dans ses Mémoires.

Le jeune homme est envoyé en 1925 à Moscou, pour y étudier à l’Université communiste des travailleurs d’Orient (KUTV) qui forme les cadres des Partis communistes de la région. Il se distingue déjà par sa liberté de pensée. On lui reproche ainsi son appréciation critique de la répression des petits propriétaires terriens et on le force à se dédire publiquement. Un avant-goût de ce qui lui arrivera plus tard.

Une fois sa formation terminée, il rentre à Jérusalem et milite pour l’arabisation du PC. Sa plus proche camarade n’est autre que son épouse, Lutca, d’origine juive ukrainienne. Leur fille, Dawlat, est encore un bébé lorsque, en 1931, ses parents se font arrêter par la police britannique. « Mon père était sur la liste des communistes qui devaient être arrêtés… Alors le Komintern a proposé que le bébé soit gardé à Moscou tant que ses parents étaient en prison à Jérusalem », confie-t-elle dans le film You Come From Far Away, réalisé par Amal Ramsis (2018).

« Défendre Le Caire à Barcelone… »

Najati et Lutca passent deux ans derrière les barreaux, ballottés entre les prisons de Jérusalem, Jaffa et Acre, jusqu’à ce que le Komintern leur permette de prendre la fuite en direction de Paris. Là, Sidqi est chargé de diriger Al-Sharq al-‘arabî, le journal en langue arabe de l’Internationale communiste, diffusé clandestinement au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Mais les autorités françaises décident de l’interdire et d’expulser son directeur qui revient dès lors en Palestine. Pas pour longtemps. Car en 1936 va commencer l’épisode probablement le plus palpitant de son existence : son engagement dans les rangs des républicains espagnols. « En 1936, mon père est venu à Moscou et on lui a demandé d’aller en Espagne. Ma mère m’a retirée de l’orphelinat et nous avons vécu à Moscou, à l’hôtel Lux, de 1936 à 1939 », raconte Dawlat face à la caméra.

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Najati Sidqi avait pour mission de démobiliser les soldats marocains enrôlés par le général Franco en insistant à leur adresse sur l’antinomie entre le fascisme et l’islam. Il n’était pas le seul Arabe à combattre avec les Brigades internationales antifascistes, mais il fut certainement, par ses écrits publiés à l’époque, le défenseur le plus talentueux de cette cause. Son engagement internationaliste était d’ailleurs inséparable dans son esprit de son patriotisme arabe. « Je suis venu en Espagne pour défendre Le Caire à Barcelone, Damas à Tolède et Bagdad à Madrid », écrira-t-il. Fin décembre 1936, on le retrouve en Algérie avec une nouvelle charge : fonder une radio en arabe destinée à l’Afrique du Nord, et plus particulièrement au Maroc sous contrôle espagnol. Ce sera un échec.

Sidqi met ensuite le cap vers la Syrie et le Liban. Des dissensions de plus en plus fortes l’opposent notamment à Khaled Bagdache, le secrétaire général du Parti et l’homme de confiance de Moscou. Après le gel de ses activités au sein du Parti, il en est définitivement exclu en 1939. Motif derrière cette révocation ? Sa critique du pacte germano-soviétique. « Il ne pouvait pas juste obéir. Si une personne pense librement, ses ailes ne peuvent pas être coupées », dira Dawlat dans le film d’Amal Ramsis. « En 1939, ma mère a décidé de quitter Moscou et m’a placée dans un orphelinat. Elle avait peur pour ma vie parce qu’elle était désormais comme mon père sur liste noire... Elle m’a laissée en pensant me récupérer un an plus tard. » Mais l’histoire en décidera autrement. Avec la Seconde Guerre mondiale, la communication sera coupée entre les enfants de l’orphelinat et leurs familles, pour ceux qui en avaient une.

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Najati et Lutca retournent à Jérusalem où ils auront deux autres enfants, Saïd et Hind. « Mon père a tout fait pour me récupérer en 1946, une fois la guerre terminée. Ma famille vivait en Palestine. Mais on ne m’a pas laissée partir. Ils ont voulu le punir », se souvient Dawlat. Deux ans plus tard, nouveau bouleversement. La Nakba contraint la famille Sidqi à l’exil. La radio dans laquelle il travaillait déménage à Chypre. Il y demeure jusqu’à 1950, date à laquelle il se réinstalle à Beyrouth et reprend ses activités de journaliste, traducteur et écrivain. En 1976, alors que le Liban est pris dans le tourbillon macabre de la guerre civile, lui et son épouse partent pour Athènes où vit leur fille Hind. C’est là qu’il meurt, en 1979 ; une année charnière pour le monde arabe qui bascule dans une nouvelle ère marquée à la fois par la révolution islamique en Iran et le traité de paix entre Israël et l’Égypte.

Sources : Salim Tamari , « La montagne contre la mer, essais sur la société et la culture palestiniennes », Actes Sud, 2011.

Amal Ramsis, « You Come From Far Away », Klaketa Árabe and Morgana Producciones, 2018.

Tumultueux destin que celui de Najati Sidqi, communiste palestinien iconoclaste, témoin et acteur d’un monde en perpétuel bouleversement. Le périple qui le mena de sa Palestine natale vers la Russie, la France, l’Espagne, le Liban et la Grèce fut à l’image d’une époque déchirée et déchirante, marquée pour lui par des engagements internationalistes, des exils forcés et des...

commentaires (2)

En concernant la mission de démobiliser les soldats marocains enrôlés par le général Franco : je ne savais pas que des soldats marocains ont lutte pour Franco en 1937 mais en effet il semble qu'il y a eu des affrontements entre republicains et 'moros franquistas' a Covadonga https://www.elconfidencial.com/cultura/2019-04-21/abascal-vox-covadonga-franco-guerra-civil_1944602/

Stes David

19 h 08, le 26 août 2021

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Commentaires (2)

  • En concernant la mission de démobiliser les soldats marocains enrôlés par le général Franco : je ne savais pas que des soldats marocains ont lutte pour Franco en 1937 mais en effet il semble qu'il y a eu des affrontements entre republicains et 'moros franquistas' a Covadonga https://www.elconfidencial.com/cultura/2019-04-21/abascal-vox-covadonga-franco-guerra-civil_1944602/

    Stes David

    19 h 08, le 26 août 2021

  • Merci

    Zampano

    08 h 39, le 26 août 2021

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