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Moyen-Orient - Au Moyen-Orient, ces personnages oubliés 

Arwa, « la petite reine de Saba »

Le nom de ces « personnages oubliés » ne vous dit peut-être rien, mais ces hommes et ces femmes issus de la région ont, d’une manière ou d’une autre, marqué l’histoire du Proche-Orient, chacun dans son domaine. Issus de familles royales ou simples personnages de l’ombre, leurs parcours de vie atypiques inspirent fascination et admiration. D’un joueur d’échec alépin à une scientifique égyptienne, « L’Orient-Le Jour » propose ainsi une série de six portraits publiés chaque jour au cours de cette semaine. Aujourd’hui, la reine Arwa du Yémen (1/6).

Arwa, « la petite reine de Saba »

Le mausolée de la reine Arwa à Jibla. Source Wikicommons

1088. La reine Arwa arpente patiemment les couloirs de son palais à Jibla, dans le sud-ouest du Yémen. Dans toute la région, le bruit court que la souveraine, lâchée par ses alliés, est affaiblie politiquement et militairement. La réalité est pourtant tout autre. Fine stratège, c’est elle qui tire les ficelles d’un jeu qu’elle prépare minutieusement depuis qu’elle a fait transférer la capitale Sanaa à Jibla l’année précédente pour se rapprocher de son ennemi juré, Saïd ibn Najar. Seul un objectif occupe ses pensées depuis son accès au trône cette même année : venger la mort de son beau-père, le sultan Ali al-Sulayhi, assassiné vingt ans plus tôt par le chef de la tribu rivale des Najahides lors d’une embuscade sur la route de La Mecque. Lorsqu’il lance l’offensive sur Jibla, Saïd ibn Najar ne sait pas qu’il vient d’activer le piège qui lui sera fatal alors qu’il périt lors de la contre-attaque de la reine, aidée par ses alliés. Son désir de vengeance sera terrible : le corps de Saïd ibn Najar est décapité et sa tête est plantée sur un piquet en face de la cellule où sa femme est emprisonnée, lui réservant ainsi le même sort que celui infligé par les Najahides en 1066 à la reine Asma, la belle-mère d’Arwa. « Et cet acte, qui prouvait qu’al-Hurra (titre royal ultime) était tout aussi cruelle qu’un politicien comme Saïd, l’ennemi de sa dynastie, devait supprimer toute illusion de quelque compassion féminine que ce soit », écrit la sociologue marocaine Fatima Mernissi dans son livre Sultanes oubliées : femmes chefs d’État en islam.La méthode paye. Son règne sera incontesté pendant plus de 50 ans, faisant d’Arwa une reine au parcours inédit dans l’histoire de l’islam médiéval. Née en 1048 dans les montagnes du Haraz, chef-lieu de la dynastie des Sulayhides et berceau de l’ismaélisme situé entre Sanaa et Hodeida, Arwa bint Ahmad al-Sulayhi grandit dans le majestueux palais de Sanaa. Orpheline, la fillette vit une enfance privilégiée sous la supervision de son oncle, le sultan Ali al-Sulayhi, et de sa femme, la reine Asma. Cette dernière, qui la prendra sous son aile, lui permettra d’accéder à une éducation de la plus haute qualité. Décrite comme brillante par les historiens, Arwa aurait été férue d’histoire, de poésie et de théologie. À ses 17 ans, ses noces avec son cousin et fils du sultan, al-Mukarram, sont célébrées avec faste, prédestinant Arwa à marcher un jour sur les traces de la reine Asma et à porter également le noble titre de « al-sayyida al-hurra » (« la femme souveraine libre »). « La reine Asma a créé une véritable tradition de partage du pouvoir au sein du couple, élevant son fils, al-Mukarram, dans l’idée qu’une femme est une force qu’il serait absurde de laisser stagner à l’ombre du harem. Et al-Mukarram a fait de sa femme, Arwa bint Ahmad al-Sulayhi, une associée et une partenaire », remarque Fatima Mernissi. Quatre enfants naîtront de leur union. « Elle a donné deux fils à al-Mukrram, mais c’était elle, et personne d’autre, que Sanaa considérait comme l’héritière naturelle du pouvoir », précise Fatima Mernissi.

Privilège ultime

Des responsabilités qu’elle prend à bras-le-corps en tant que corégente aux côtés de la reine mère Asma lorsque son mari, malade et paralysé, lui délègue une partie de ses pouvoirs. Accédant officiellement au trône en 1087, la souveraine affectueusement surnommée « la petite reine de Saba » par son peuple met l’accent durant son règne sur la prospérité économique, l’amélioration des routes et la construction d’infrastructures, d’écoles et de mosquées. Privilège ultime, elle est la seule figure royale féminine dans le monde arabo-musulman – avec sa belle-mère Asma – à avoir eu son nom prononcé lors de la khutba (sermon du vendredi en islam) dans les mosquées du Yémen : « Qu’Allah prolonge les jours d’al-hurra, la parfaite, la souveraine, qui gère avec soin les affaires des croyants. »

Bien qu’elle dispose d’une certaine indépendance et d’une large marge de manœuvre dans l’exercice de ses pouvoirs, la reine Arwa doit conjuguer avec le califat des Fatimides, à qui le sultan Ali al-Sulayhi a prêté allégeance lors de l’instauration de la dynastie. Basé au Caire, le califat ismaélien s’étend alors de l’Afrique du Nord au Yémen et confère légitimité et pouvoir à l’échelle régionale aux Sulayhides. Au-delà de ses responsabilités royales, la souveraine se voit également attribuer le titre de « hujja » par le calife al-Mustansir Billah. Première femme à détenir cet illustre statut religieux, elle est alors considérée comme l’intermédiaire entre Dieu et l’humanité. Différents « da’i » (missionnaires) seront déployés sous son règne à travers le Yémen et en Inde de l’Ouest, où des communautés ismaéliennes existent toujours aujourd’hui.

À la mort du sultan al-Mukarram en 1091, le calife al-Mustansir Billah ne conçoit alors pas que la souveraine règne seule et envoie ses conseillers et le frère d’Arwa pour l’enjoindre d’épouser le cousin de son mari défunt, Saba ibn Ahmad. L’écrivaine Fatima Mernissi note toutefois que les versions divergent selon les sources ; il n’est pas clair si la procédure avait été définie à l’avance par le sultan al-Mukarram, partageant les responsabilités entre Arwa, détentrice du pouvoir sur terre, et Saba, endossant le rôle de leader spirituel de la communauté ismaélienne au Yémen (da’wa). Si elle finit par céder aux demandes du calife, le mariage est vite écourté avec la mort de Saba onze ans après. En 1102, la situation est cette fois différente : le califat est affaibli dans la région et est miné par des dissensions en interne dans la foulée du décès du calife al-Mustansir huit ans plus tôt. Des circonstances qui permettent à la souveraine de continuer à régner seule, jouissant d’un soutien sans faille de son peuple, jusqu’à sa mort en 1138. Devenus des lieux de pèlerinage aujourd’hui, la mosquée qui porte le nom de la reine Arwa et le mausolée où elle est enterrée surplombent toujours les hauteurs de Jibla.

*Fatima Mernissi, « Sultanes oubliées : femmes chefs d’État en islam » (Albin Michel/Éditions Le Fennec, 1990).

1088. La reine Arwa arpente patiemment les couloirs de son palais à Jibla, dans le sud-ouest du Yémen. Dans toute la région, le bruit court que la souveraine, lâchée par ses alliés, est affaiblie politiquement et militairement. La réalité est pourtant tout autre. Fine stratège, c’est elle qui tire les ficelles d’un jeu qu’elle prépare minutieusement depuis qu’elle a fait...

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